Article d’Ana Stendhal

… sur son blog Le Rouge et le Noir, le 16 mars 2016

Note : C’est par l’intermédiaire d’un ami que j’ai entendu parler du projet et surtout que j’ai eu l’occasion de le voir grâce à une invitation à une séance privée. Le sujet nous est assez cher, car lui comme moi sommes polyamoureux (mais pas ensemble), et nous échangeons au sujet de nos expériences respectives depuis de nombreux mois. Lutine nous intriguait l’un et l’autre, forcément.

Synopsis : Une réalisatrice décide de tourner, là maintenant, tout de suite, un documentaire sur le lutinage – aussi appelé polyamour, ou l’art des amours plurielles.
Comédie documentaire, ou plus exactement : une comédie ET un documentaire, Lutine est un OFNI : un Objet Filmique Non Identifié.
Le film à l’arrivée est un montage improbable entre d’un côté, un vrai documentaire sérieux sur le lutinage, et de l’autre, le pseudo making of de son tournage, doublé d’une véritable fiction le jour où la réalisatrice embauche un comédien pour jouer… le rôle de son amoureux dans la vie !
Jouant avec les émotions et les sentiments – surtout ceux des autres – brouillant les pistes entre réalité et fiction, elle prend des risques dont elle ne mesure pas toujours les conséquences…
Son couple y résistera-t-il ? Finira-t-elle son film ?Et ce que j’en dis : Ah, ces synopsis qui en disent trop et me coupent l’herbe sous le pied, j’adore… Car oui, le film est exactement ça : un OFNI. Mais un OFNI dont la forme déroutante le rend au final très futé et ludique.Les premières minutes sont un peu perturbantes, le temps de comprendre que la réalisatrice se met elle-même en scène dans une mise en abyme de la réalisation de son propre film sur un sujet qu’elle va à la fois documenter et explorer par elle-même. Mais est-ce Isa, la réalisatrice dans le film, ou Isabelle, la réalisatrice du film, qui parle vraiment ? Et qui parle quand Isa se met à son tour à jouer dans son film ?

La forme joue en permanence sur trois niveaux : le film en lui-même qui est une comédie qui relate le tournage du film documentaire sur le polyamour et les tournages avec des acteurs (qui gardent souvent leurs vrais prénoms) qui interprètent des polyamoureux, mais qui ne le sont pas vraiment, mais vont parfois le devenir dans le film. Le tout entrecoupé de témoignages de vrais polyamoureux qui vont aussi jouer un rôle dans le film. Et tous les niveaux s’intersectent sans prévenir. Vous suivez ? Tout le trouble généré par Lutine est là et est même souligné, à un moment du film,  par les acteurs qui ont l’air de s’y perdre entre les personnages qu’ils interprètent dans le film du film et dans le film. Pourtant, quelque part, c’est amusant de s’égarer, de se raccrocher aux branches et de penser avoir finalement compris. Ou pas. Le résultat est là en tout cas : le spectateur est attentif.
En utilisant ce procédé qui donne un peu mal à la tête sur le papier, ça force le spectateur à prendre constamment du recul sur ce qu’il voit, à comparer les situations et à analyser. On croit regarder un documentaire, mais on comprend vite, à force de digressions, qu’il s’agit d’une comédie qui traite sérieusement du polyamour. Et que le polyamour, comme beaucoup d’autres situations dans nos vies (la vie de couple à deux notamment), n’est pas un fonctionnement si simple que ça. Il y a un apprentissage à faire et c’est en le vivant qu’on en comprend vraiment les mécanismes.

Qu’en est-il du contenu du coup ? Il s’y dit des choses tellement vraies, tellement limpides, qui me parlent énormément. Ça me rappelle mon propre parcours en fait. Et j’aime tellement entendre dire que le polyamour est féministe. Puis, on y cite La Salope éthique, mon livre de référence, celui que je conseille à mes amis libertins (car La Salope n’est pas que sur le polyamour, c’est avant tout sur les relations non exclusives, quelle que soit leur teneur). Par la mise en parallèle de scènes de vie qui n’ont rien de polyamoureuses avec ce qu’est le polyamour dans les faits, il y a un paquet de bonnes questions soulevées. Comment gérer la jalousie ? Comment travailler sur soi ? Comment identifier et gérer ses peurs ? Comment apprendre à bien communiquer ? C’est vraiment bien vu et applicable dans bien des domaines de la vie amoureuse, en plus d’être des questions essentielles à se poser quand on se lance dans les amours plurielles.

Cerise sur le gâteau, comme de plus en plus souvent quand il est question de polyamour, le sujet est traité avec une absence de jugement et beaucoup de douceur qui donne à la chose une aura de bien-être et d’épanouissement. Ce qu’elle est si on a la chance de pouvoir s’y abandonner.