3ème jour de mon voyage en Polyamorie, étape n°2, et déjà je ne suis plus seule, certain.e.s d’entre vous m’ont en effet choisi de m’emboîter le pas et ont commencé à écrire leur propre carnet de voyage. Chouette ! Mon cœur se remplit de joie et de gratitude ! Nous sommes en effet des animaux sociaux et réfléchir à des relations éthiques et en conscience n’a de sens que dans le cadre de relations, précisément : nous sommes tous interconnecté.e.s et interdépendant.e.s.
Hier, j’ai évoqué la première étape de ce qui constitue le parcours d’un héros ou d’une héroïne, au sens archétypal du terme. Chacun.e de nous est le héros ou l’héroïne de sa propre histoire : c’est nous qui écrivons le récit de notre vie, qui nous inscrivons dans une histoire transgénérationnelle, qui transmettons à nos enfants (et/ou à nos ami.e.s ou lecteurs/trices) l’histoire que nous nous racontons sur nous-mêmes. Écrire une fiction ne consiste ni plus ni moins qu’à vouloir organiser, ordonner, donner du sens, là où la vraie vie en a rarement.
Tout récit commence par : « Il était une fois… » et nous présente le « monde ordinaire » du héros ou de l’héroïne. Jusqu’au jour où…
C’est ce « jusqu’au jour où… » qu’on appelle en dramaturgie un « incident déclencheur« .
En effet, un jour, on voit. On voit le monde ordinaire tel qu’il est vraiment. On réalise que le mythe du prince – ou de la princesse – charmant.e est un mythe, précisément. Que si soi-même, on se sent à l’étroit dans son couple, ou bien qu’on en est sorti.e, qu’on n’a pas envie de s’engager ou se ré-engager dans une relation exclusive (qui exclurait, de fait, les autres), ce n’est pas nécessairement parce qu’on a soi-même un problème alors que les autres semblent « y arriver » très bien (Qu’est-ce qui ne va pas avec moi ? C’est moi qui ne suis pas aimable, moi qui ai un problème), mais peut-être bien que l’ensemble de notre société repose sur un idéal – celui de la monogamie (Je renonce à tous/tes les autres pour toi, en échange du fait que toi aussi, tu renonces pour moi à tous/tes les autres) – en réalité inatteignable pour la plupart d’entre nous.
C’est quand je me suis séparée du père de mes enfants, quand je me suis autorisée à choisir la vie en moi, qu’un ami proche a pour la première fois devant moi prononcé le mot : « polyamour ».
[Ouvrons une parenthèse : je n’aime pas ce mot de « polyamour ». En anglais, le mot qui a été créé dans les années 90 pour décrire ces relations intimes (amoureuses ou non, sexuelles ou non) non-exclusives consensuelles et éthiques, qui allaient « plus loin » que le libertinage dans l’ouverture d’un couple (le libertinage étant traditionnellement associé à des relations avant tout sexuelles, alors que là, des sentiments sont possibles, et une relation poly peut être asexuelle), mais qui pouvait aussi se rapporter à des relations intimes hors de cette référence normative au couple (c’est en ce sens qu’une intervenante dans LUTINE dit que la polyamour « déconstruit l’idée même de couple »), le mot qui a été créé, donc, est polyamory.« Polyamory » est un parfait barbarisme, un mélange contre nature entre du grec (poly) et du latin (amor). Certes, il y a cette racine « amor », n’empêche que : ce n’est pas « poly-love ». Et tous/tes les Américain.e.s n’ayant pas étudié le latin à l’école, quand on leur parle de polyamory, sont obligé.e.s de se poser la question : de quoi parle-t-on ?
Les francophones, eux/elles, quand on leur dit « polyamour », croient immédiatement comprendre qu’il s’agit d’être amoureux.se de plusieurs personnes. Et que par exemple, quelqu’un.e qui serait amoureux de son amant.e serait poly. Eh bien, non !
Si on utilisait « polyamorie » (comme les Allemands utilisent « die Polyamorie » – et non « die Polyliebe »), les francophones seraient obligé.e.s de se poser cette même question : de quoi parle-t-on ?
L’éditeur français de La Salope éthique (The Ethical Slut), la « bible » des poly (jusqu’à ce que paraisse il y a un an More Than Two) était parti pour « polyamorie » et s’est conformé au dernier moment à ce qui pratiquait déjà en France – notamment à polyamour.info – me promettant que si « polyamorie » se démocratisait, il changerait la 2ème édition ! Dossie Easton, l’une des deux auteures de The Ethical Slut que j’ai eu le privilège de rencontrer à San Francisco quand j’y ai présenté LUTINE, était furieuse quand je le lui ai raconté : elle aussi, milite pour « polyamorie ».
Outre « polyamorie » et « polyamour », un des mots que l’on utilise en français pour désigner des relations plurielles éthiques est « lutinage « , créé par Françoise Simpère dans son Guide des Amours plurielles : c‘est une des raisons pour lesquelles j’ai choisi d’appeler mon film LUTINE – en plus du côté « mutin, coquin, malin » qui collait bien à la comédie et au personnage qui tire les ficelles de manière facétieuse (et pas toujours très éthique). C’est un mot que je trouve à la fois ludique et joyeux, il éveille la curiosité, tout en renvoyant phonétiquement à « butinage » et à « libertinage »).
Parenthèse refermée.]
Mon ami, donc, m’a pour la première fois parlé de ce concept de polyamour / polyamorie / lutinage : la possibilité de vivre des relations non-exclusives consensuelles et éthiques. C’était soudain comme un voile qui se levait et me permettait d’entrevoir derrière tout un monde nouveau. Un monde où chacun.e pourrait être soi-même, où on n’aurait plus besoin de porter un masque ou de faire semblant de se conformer à cette norme normative, un monde où on pourrait être honnête, envers soi-même et les autres. Ne pas mentir, ne pas tricher. Vivre au grand jour. Sans hypocrisie.
Parce que dans le même temps, je découvrais le monde et la réalité d’un certain nombre de personnes adultères. Ces hommes et ces femmes qui aimaient leur conjoint.e et ne souhaitaient en rien la/le quitter, mais qui, sur un chemin parallèle, dans une autre vie que celle que connaissaient d’eux/elles non seulement leur conjoint.e mais aussi souvent leurs ami.e.s proches (et bien sûr leurs enfants), vivaient des amours (ou simples « relations sexuelles ») clandestines.
Bien sûr, j’avais toujours su que ça existait. Mais je croyais, comme le dit une intervenante de LUTINE, que « quand on trompait son conjoint, c’est qu’on ne l’aimait plus », que c’était un signe que la relation était fragile ou malade.
Or je découvrais des hommes qui aimaient leur partenaire de vie – souvent la mère de leurs enfants – et n’avaient jamais envisagé ne serait-ce qu’une seconde, de la quitter : ils l’aimaient elle, mais aussi leur vie avec elle, leur vie sociale, leur vie quotidienne. Ils l’aimaient, quoi, vraiment. Après parfois 12 ans, 15, ou 25 ans de vie commune.
Pourquoi la trompaient-ils alors ? Et comment pouvaient-ils cacher à la femme qu’ils aimaient et avec laquelle ils partageaient leur vie une part si importante d’eux-mêmes, de qui ils étaient, de leurs désirs, de leurs doutes, de leurs émotions ? (Je parle ici d’hommes, mais tout ceci est aussi bien sûr vrai pour les femmes). Ils ne lui en parlaient pas… parce qu’ils avaient peur de la violence de ses réactions, de ses jugements, d’être confrontés à sa souffrance, s’ils lui en parlaient. Ils avaient aussi peur de la perdre, tout simplement. Comme le dit Miguel Ruiz dans La Maîtrise de l’amour, ils vivaient non dans l’amour, mais dans la peur.
Parce que ces histoires de vie m’ont touchée quand je les ai découvertes, et que je suis tombée de haut par rapport à tout ce que je croyais, je choisis d’en partager quelques-unes avec vous.
J. trompait sa femme depuis 12 ans, après 15 ans de mariage. C’était organisé, systématique, assumé. Il lui est arrivé de tomber amoureux de certaines de ses amantes, il a même songé une fois à quitter sa femme. Il a essayé de lui en parler, ils ont suivi une thérapie de couple. Il en est ressorti que si lui était frustré sexuellement dans leur relation, elle pas. Il a alors eu le choix, puisqu’elle ne voulait pas entendre parler « d’ouvrir leur couple » : la quitter, pour ne plus lui mentir, ou continuer à la tromper. Il a continué à la tromper. Et est toujours très heureux avec elle six ans plus tard.
G. n’avait jamais trompé sa femme en 15 ans de mariage, mais lui aussi était frustré sexuellement et sentait qu’il devait / pouvait y avoir « autre chose ». Au fur et à mesure qu’il s’ouvrait à d’autres expériences, il a pris conscience que sa frustration sexuelle en cachait d’autres au sein de son couple… jusqu’à ce que sa femme, ayant découvert le pot-aux-roses, lui demande de choisir. Il a choisi sa liberté.
A. a trompé sa femme et lui aussi a été découvert. Lui aussi l’a quittée… mais il l’a regretté : il est retourné auprès de sa femme, qui a accepté d’entreprendre avec lui une thérapie de couple. Voilà six ans qu’ils sont à nouveau ensemble – et heureux.
R. n’avait jamais, prétendait-il, trompé sa femme en 25 ans, et quand il avait découvert qu’elle-même l’avait trompé, c’est tout son monde qui s’était écroulé. Il l’avait trompée à son tour, pour « se reconstruire ». Mais parmi leur bande d’ami.e.s depuis 25 ans, personne n’était au courant, car il avait peur qu’ils ne soient, l’un.e ou l’autre, (mal) jugé.e. Résultat : ils passaient aux yeux de leurs ami.e.s pour un couple modèle et sans histoires. Et si ça se trouve, toutes et tous autour d’eux vivaient dans la même hypocrisie d’un masque social « cache-misère ».
C’est cette hypocrisie généralisée qui m’a frappée soudain. Si tout le monde fait semblant, triche, ment, parce qu’ielle croit qu’ielle est le/la seul.e à vivre ces difficultés au sein de son couple ou à ressentir des tentations extérieures… alors chacun.e se sent mal et le/la seul.e coupable. Comment sortir de cette spirale négative infernale ?
L’hypocrisie n’est-elle en réalité pas celle de la société toute entière ? « On » veut nous faire croire que la monogamie est « naturelle » à l’homme, quand tout, autour de nous, nous montre le contraire : la plupart des gens aujourd’hui vivent des monogamies « sérielles », enchaînant plusieurs relations (théoriquement) monogames ; le taux de divorces atteint deux couples sur trois dans les grandes villes, et encore : on ne comptabilise que les « divorces » (de gens qui étaient mariés, donc) ; et parmi les couples qui restent ensemble, combien se trompent ? Certains sondages affichent 25%, d’autres 60 voire 80% : dans tous les cas, c’est énorme ; et parmi ceux qui sont exclusifs pour rester fidèles à la parole donnée (ça a été mon cas pendant 13 ans), combien sont malheureux, frustrés, résignés ?
[Pour celles et ceux que ça intéresse, le livre Sex at Dawn remet en cause brillamment et systématiquement la « croyance » que la monogamie est « naturelle », en revenant aux origines de l’humanité.]C’est cette soudaine prise de conscience de l’hypocrisie générale de la société, ce voile qui se lève, peut-être quand on atteint un certain âge, qu’on a vu les ami.e.s autour de nous se séparer, se déchirer, se mentir, ou qu’on en a soi-même fait l’expérience, que j’appelle « désillusion » : on ne croit plus aux contes de fée.
Pourtant, on veut encore croire en l’amour, et en des relations sincères, honnêtes, éthiques. Demain : le réveil de la conscience.
Si ces réflexions sur l’amour et les relations amoureuses vous intéressent et réveillent en vous des interrogations sur votre propre parcours de vie, n’hésitez pas : rejoignez-nous dans ce voyage vers une nouvelle éthique amoureuse, et racontez-nous vous aussi vos découvertes et vos expériences – l’espace des commentaires ci-dessous vous est réservé.
Au plaisir et à demain, pour une nouvelle étape.
Avec amour et bienveillance,
Isabelle