Le « Ventre de la baleine » (cf Pinocchio !), c’est une image qu’utilise James Campbell dans son Héros aux 1000 visages pour parler de « the inmost cave » : la grotte, la caverne, au fond de laquelle le héros s’affronte au dragon. Sauf que comme j’ai depuis le début de ce voyage opté pour une métaphore de la pleine mer, loin des terres rassurantes de la monogamie (#2), l’image de la grotte paraissait plus compliquée à utiliser.
Cette fameuse grotte, c’est celle à propos de laquelle je fais dire à mon personnage dans LUTINE ce que j’ai moi-même compris, grâce au Parcours de l’héroïne – ou la Féminité retrouvée de Maureen Murdoch, de la différence entre le voyage du héros et celui de l’héroïne (les polarités masculine et féminine s’entendant comme nos animus / anima : la part masculine en nous, la part féminine en nous – celle tournée plus vers l’extérieur et la conquête de nouveaux territoires d’un côté ; celle tournée plus vers l’intérieur, et la connaissance de notre inconscient, de l’autre) :
« Ce que je comprends de la différence entre le héros et l’héroïne, c’est que le héros part à l’horizontale pour combattre le dragon au fond de sa caverne. Et l’héroïne, elle, descend dans les profondeurs de la terre, dans ses entrailles, à la recherche de la Grande Déesse, la Déesse des origines, la Déesse de la créativité. Comme ça, elle peut remonter en étant réconciliée avec elle-même – et sa féminité.«
[Évidemment, le film étant une comédie, et mon propos étant de me moquer de mon propre personnage qui est loin d’avoir un comportement éthique exemplaire, c’est dit et joué de façon à ce qu’on se moque un peu d’elle.D’où la réponse que lui fait la comédienne à qui elle tente d’expliquer pourquoi elle ne pourra pas « la couper au montage cette fois-ci« , d’un air un peu inquiet pour elle : « Ben écoute, du moment que tu sais où tu vas » (ce qui est loin de sembler être le cas…)]
Le voyage en Polyamorie nous invite à descendre en nous-même, à la recherche de qui on est vraiment, au fond, quand on enlève le masque social, quand on enlève les barrières qu’on s’est construites pour se protéger de nos émotions trop violentes, qui peut-être, quand on était enfant, n’avaient pas l’écoute dont on aurait eu besoin pour pouvoir les considérer comme nos alliées, et non nos ennemies (Arrête de pleurer, tu m’énerves ! Oh ça va, c’est pas si grave, non plus ! Je vais t’en coller une, tu comprendras pourquoi tu pleures ! Quand on est un garçon, on ne pleure pas ! Il faut souffrir pour être belle ! Pourquoi tu veux pas faire un bisou à la dame ? Tu es vilain.e ! Dans notre famille, on sait se tenir. Reprends-toi, tu es ridicule. )
On a décidé de partir en voyage, donc. On a quitté les rives sécurisantes, normées, formatées, de la monogamie imposée par les codes de la société et de la culture (#2), on a ouvert les yeux sur l’hypocrisie générale de la société et des relations entre les gens (ah, les plaisirs compliqués d’une communication indirecte au lieu d’une communication directe), on a constaté autour de nous que la monogamie était un idéal, que la plupart d’entre nous ne parvenaient pas à atteindre, tout en se sentant coupables, ou indignes (puisqu’on croit que les autres, eux, y parviennent, puisqu’ils mentent tous…) (#3) et on a accepté de se connecter à notre petite voix intérieure, à notre désir profond de vivre autrement, malgré nos peurs (#4).
Alors on s’est préparé.e (#5) et on s’est lancé.e dans l’aventure (#6). Seul.e, ou bien déjà en relation avec quelqu’un.e. On a créé une relation sur des bases nouvelles, en parlant ouvertement et sans tabous de non-monogamie… ou bien alors, on a remis en cause les clauses d’un contrat préexistant, et on en a rediscuté.
On est convaincu.e que la polyamorie est ce qui nous convient. La polyamorie est féministe, fondamentalement féministe, parce qu’égalitaire. Parce que, comme le dit Meta dans LUTINE : « On ne prend pas des libertés qu’on n’accorderait pas à l’autre. »
On assume de faire ce voyage ensemble avec un idéal de communication, de franchise, d’honnêteté, d’accueil de nos émotions. On tâtonne, on essaie, on fait un pas, on recule, on repart, un autre pas, un pas de côté, deux pas en avant, trois pas en arrière. Petit à petit, en faisant attention à soi et à l’autre. En écoutant nos émotions, nos sensations, en apprivoisant nos peurs, une par une. (#7) On rencontre des obstacles, on se cogne à nos doutes, nos insécurités, ça tangue, on a parfois le mal de mer, mais on garde le cap (#8).
Super ! C’est super, ça, ça donne carrément envie ! Sauf que ça, c’est… la théorie. Et qu’en pratique, c’est euh… comment dire ? Moins… lisse.
Parce que comme le dit mon personnage dans LUTINE : « La théorie, c’est une chose. Les émotions, c’est… plus compliqué à gérer. »
Le ventre de la baleine, en termes dramaturgiques, c’est l’œil du cyclone, le cœur de la tempête. C’est le moment où le héros – ou l’héroïne – se confronte à soi-même et à ses plus grandes peurs (le dragon). C’est le moment où ielle affronte sa mort symbolique.
Dans la vraie vie, c’est le moment où on se dit qu’on n’y arrive pas, qu’on n’y arrivera jamais, que c’est trop dur, qu’on souffre trop. C’est le moment où on a peur de perdre l’autre, où on croit devenir dingue quand ielle passe la soirée dans les bras d’un.e autre. C’est le moment où on a mal partout, la boule au ventre, la gorge nouée, le dos bloqué (je sais de quoi je parle…).
C’est le moment où on se voit agir comme un monstre ou une sorcière, où on crie, on pleure, on est en colère, on en veut à l’autre parce qu’ielle est rentré.e avec un quart de retard sur l’horaire annoncé et qu’on a eu le temps de se dire : Ça y est, je le savais, ielle est tellement bien avec lui/elle, qu’ielle préfère déborder sur le cadre prévu, au risque que je fasse une crise. Je ne compte plus, je compte moins.
Ou alors, si votre mode d’expression de vos émotions, c’est au contraire de ne pas les exprimer, de les rentrer, de les refouler, de refuser de les voir en face, c’est le moment où vous vous cachez sous votre carapace, le moment où plus rien ne semble vous toucher, où vous êtes planqué.e derrière un masque de façade, et où en réalité, vous êtes enfermé.e en vous-même, et où l’autre ne sait plus comment vous atteindre.
C’est le moment où vos émotions ont pris le contrôle et vous ne comprenez même plus ce qui vous arrive. Le moment où le cerveau du bas s’est déconnecté de votre cerveau du haut (vous avez vu Inside Out (Vice Versa en français) ? Si non, achetez le DVD !) et où ils ne communiquent plus. Les mots que vous vous entendez dire ne viennent plus de votre cerveau rationnel, mais sont dictés par vos émotions primaires qui sont aux commandes.
Ce sont tous ces moments où on se met en ranking, pour reprendre les mots de Elaine N. Aron dans The Undervalued Self : quand on se compare à l’autre. Quand on bascule en mode « je bats en retraite, je rentre en moi-même, je ne suis qu’un.e nul.le« , comme un animal qui, après avoir subi une défaite, se soumet, pour ne pas risquer sa vie s’il continuait à se battre.
Or (phrase à réciter comme un mantra) : toute comparaison est toxique, toujours.
On est au plus bas, on est au plus mal. On se confronte à ses plus grandes peurs. On a l’impression qu’on va y laisser sa peau, que notre relation ne s’en remettra jamais. C’est le moment où on dit : « J’ai joué, j’ai perdu. » On regrette, on n’aurait jamais dû, on veut revenir en arrière. Mais parfois, l’autre n’est pas d’accord. Parce qu’il y a maintenant une troisième personne concernée, il y a des sentiments nouveaux, des désirs nouveaux.
Alors on lâche prise. On s’avoue vaincu.e. C’est fini.
Le ventre de la baleine, c’est symboliquement la rencontre avec la Déesse des origines, à la fois la Déesse de la Créativité, mais aussi celle de la Destruction.
C’est aussi en général le moment que choisit votre entourage pour vous faire remarquer que « Évidemment, à quoi t’attendais-tu d’autre ? C’est foireux depuis le départ, votre truc ! »
Quand ce n’est pas votre psy, à qui vous demandez de l’aide, qui se fait le porte-parole de la société et de la culture : revoilà le « Vous êtes immature, infantile », que nous a raconté mon amie Elisende Coladan, anthropologue et sexothérapeute, qui a entrepris le voyage avec moi.
[Si vous n’avez pas lu ses articles, jour après jour, sous les miens, foncez-y : c’est passionnant, d’autant plus que son parcours de vie est bien différent du mien, et qu’elle nous raconte une histoire et un voyage qui n’ont absolument rien à voir avec ceux que je vous propose ici, vous invitant d’autant plus, me semble-t-il, à trouver votre propre voie, votre propre voix.
Plus nous serons à nous raconter, plus ça pourra aider les autres, celles et ceux qui en sont encore au tout début du voyage… ou bien précisément celles et ceux qui en sont ici-même, au cœur de la tempête, des doutes et des regrets.]
C’est le moment où, comme le dit mon personnage dans LUTINE : « Le gouffre, le fond du gouffre, je vois assez bien. Mais comment je remonte, moi ?«
Réponse, ou ébauche de réponse… demain !
Et vous, est-ce que ça vous est déjà arrivé, de croire que vous alliez y rester ? Que tout était fini, que vous avez joué aux apprenti.e.s sorcier.e.s et que la vie s’est bien jouée de vous et vous a « puni.e » (encore une de ces satanées petites voix de votre enfance et de votre parent intérieur normatif).
Vous les entendez, toutes ces petites voix qui vous assaillent, qui vous harcèlent ? Qui vous jugent, qui vous condamnent ? Comment les accueillez-vous ? Est-ce que vous savez distinguer parmi elles, votre « petite voix intérieure », celle de votre pulsion de vie intérieur, de votre élan vital ?
Au plaisir de vous lire dans les commentaires ci-dessous, dont l’espace vous est réservé.
Et à demain, avec amour et bienveillance.
Isabelle