Voyage en Polyamorie #2. 1. Le Monde ordinaire

Après 13 jours de pensée positive… devenus 21 et 21 jours de Mindsight, j’ai longtemps hésité au titre à donner à cette nouvelle série de 21 articles d’affilée, où je ne souhaite pas seulement parler de relations plurielles, mais bien plus largement de relations et d’amour. J’ai d’autant moins l’intention de faire ici l’apologie de la polyamorie, que je ne crois pas que ce mode de relations puisse convenir à tout le monde.

Ce que je souhaite en revanche, c’est informer sur un mode de relations qui est possible, et que choisissent d’adopter aujourd’hui de nombreuses personnes, afin d’éviter certaines idées reçues – souvent accompagnées de jugements moraux négatifs – telles que, encore ce week-end, ma grand-mère (que par ailleurs j’adore) : « Ton truc, là, de coucher avec n’importe qui, c’est quand même n’importe quoi ! » (sic).

Quand, en février, nous avons présenté LUTINE à San Francisco, nous avons été surpris de découvrir que là-bas, les adolescent.e.s et jeunes adultes semblent savoir qu’ils ont le choix : ils peuvent choisir la monogamie, ou bien ils peuvent choisir la non-monogamie. Pour un temps donné, ou pour une relation donnée. Ils savent aussi qu’à tout moment, ils peuvent revenir sur leur choix, en discuter, en changer.

L’idée est de lever le voile et les tabous, de regarder les choses en face et les nommer par leur nom (comme je m’amusais à dire au moment de mon premier long métrage Tout le plaisir est pour moi : « Appeler un chat un chat, et un clitoris… un clitoris« ), d’assumer nos choix en prenant conscience que les jugements et les critiques parlent plus de celles et ceux qui les prononcent que de celles et ceux qu’ils/elles visent.

J’aimerais que ces articles de blog puissent accompagner les spectateurs/trices de LUTINE s’ils/elles souhaitent aller plus loin dans les questionnements que réveille le film en eux/elles, et que mes enfants puissent comprendre de l’intérieur ce dont il est question quand on parle d’amours plurielles, avant que d’autres adultes, peut-être sincèrement inquiets pour eux, ne viennent les polluer de leurs jugements négatifs sur la question, en projetant leurs propres angoisses et insécurités sur le sujet.

À nouveau ma grand-mère ce week-end, me posant des questions sur les enfants aujourd’hui adultes de parents notoirement lutins : « Ah ben tu vois, s’ils ont choisi la monogamie, c’est bien qu’ils ont été vaccinés en voyant la vie de leurs parents ! »
Sauf que si je lui avais dit qu’ils étaient devenus non-monogames, elle m’aurait répondu : « Ah ben tu vois, c’est bien ce que je dis, c’est une secte ! »

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Il va être ici question de tolérance, de bienveillance, d’accueil, de non-jugement, de gratitude, d’amour au sens large, de sexualité positive, mais aussi de communication compassionnelle (un autre mot pour CNV : communication non-violente) et d’outils pour accueillir nos émotions tels que TIPI ou la libération quantique.
Il va bien sûr être question de jalousie et d’insécurités, et de : « Concrètement comment on fait quand on sait que l’homme ou la femme qu’on aime est en train de passer la soirée dans les bras d’un.e autre ? »
Il va être ici question de relations, de choix en conscience, d’intentionnalité, de mindfulness, de confiance, de respect. Mais aussi d’impermanence, de changement, d’évolution. Et du fait que parfois, il est bon de laisser évoluer une relation, d’accompagner le changement, de dire oui à ce que la vie nous propose.

Je ne dis pas – ô que non ! – que tout le monde devrait devenir poly… (« Ça serait un beau b… », dixit ma grand-mère). En revanche, il me semble que les outils de communication et de gestion des émotions dont on a rapidement besoin quand on choisit de vivre en polyamorie, sont des outils formidables qui rendent la vie plus belle et plus harmonieuse – que l’on soit poly ou non – et qui gagnent à être connus du plus grand nombre.

J’ai finalement choisi d’appeler cette série d’articles Voyage en Polyamorie, car il me semble que c’est à cela que j’invite mon lecteur : à un voyage, construit sur le modèle classique d’un scénario. Alors, prêt.e.s ? Je ne sais pas vraiment où je vais, mais… j’y vais ! Vous embarquez avec moi ?

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Reprenons au début, donc. Mes enfants. Ma grand-mère. Le monde ordinaire de la monogamie érigée en modèle unique, en « norme » à laquelle se conformer. La culture au sens général du terme : les livres, les romans, les films, hollywoodiens ou non, les « Ils vécurent heureux ensemble et eurent beaucoup d’enfants » de nos jeunes années, qu’on est heureux.se (en tout cas, moi !) de retrouver dans des comédies romantiques.

Les injonctions parentales (ou des voisins, cousins, anciens camarades d’école) telles que « Quand est-ce que tu nous fait un bébé ? », « C’est sérieux avec Machin.e, vous allez habiter ensemble ? », « Quand donc vas-tu enfin te fixer ? », et quand on a le malheur – ou le bonheur, c’est selon ! – d’être séparé.e d’une union précédente avec enfants, c’est, pour reprendre ce que dit le personnage de la mère dans LUTINE : « Tu vas refaire ta vie avec lui ? Parce que pour les enfants, ce serait bien, un peu de stabilité ! » (à quoi mon personnage répond : « On ne refait pas sa vie, on la continue. »)

La peur de ne pas être « comme les autres ». La sensation intérieure de ne pas être comme les autres. Le syndrome du « vilain petit canard », associé à celui de l’imposteur (tiens, on dit comment « imposteur » au féminin ?). La volonté de se fondre dans la masse, de ne pas être remarqué.e.

J’avais tellement peur qu’on s’aperçoive qu’au fond, je n’étais « pas aimable », que le premier qui a bien voulu de moi (après une première rupture douloureuse), je ne l’ai plus lâché. En même temps, quelle idée de vouloir se « mettre en couple » à 17 ans ? Je l’ai trompé, le lui ai dit. Il l’a mal pris – je n’ai pas compris pourquoi.
Je l’ai quitté au bout de quatre ans. Quand j’ai voulu reprendre notre relation, il m’a dit : « Tu connais les conditions ? Exclusivité ! » (qu’on appelait alors « fidélité »). Je me souviens avoir pensé : « En me prévenant que si tu apprends que j’ai une autre relation, tu me quittes, tu m’obliges – de fait – à te mentir. »
J’ai promis, en me promettant de « tenir » le plus longtemps possible. Puis je l’ai à nouveau trompé après trois ans. J’ai fini par le quitter au bout de dix ans : il me semblait que j’avais rempli mon contrat, que j’avais prouvé au monde que je pouvais être en couple. Pour autant, je me voyais pas m’engager durablement – et faire des enfants – avec quelqu’un à qui je mentais.

Quand j’ai rencontré mon compagnon suivant, je lui ai annoncé la couleur : « Je ne crois pas à l’exclusivité à long terme ». Il a prétendu que ça lui convenait… puis a changé d’avis. J’étais amoureuse, j’ai pensé qu’on évoluerait ensemble. Que nenni. Treize ans de monogamie rigoureuse (de mon côté) et deux enfants plus tard, nous nous sommes séparés avec pertes et fracas. La sensation de revenir à la vie pour moi : je suis « re-née » avec ma fille, j’ai le même âge qu’elle.

Je connais donc, comme la plupart d’entre nous, le monde ordinaire de la monogamie. J’ai trompé et j’ai été trompée. J’ai aussi été – longtemps – exclusive. Mais je n’étais pas heureuse. La réussite d’une relation doit-elle se mesurer à sa durée (le fameux « jusqu’à ce que la mort nous sépare ») ou bien alors au bonheur qu’elle nous procure ?

Bien sûr que la monogamie peut apporter bonheur et épanouissement, en plus de la sécurité. Ma grand-mère (l’autre !) a été très heureuse toute sa vie avec son second mari. Ce en quoi je crois cependant, comme le dit un personnage dans LUTINE, c’est que « ça devrait être un choix  » qu’on fait en conscience, un contrat qu’on passe à deux, et non que la société, la culture, les parents, les voisins, le qu’en dira-t-on, le « je veux être comme tout le monde et surtout ne pas me faire remarquer »… nous imposent, consciemment ou non.

Combien d’entre nous se réveillent après de nombreuses années de couple (théoriquement) monogame, ou bien de « Je ne sais pas ce qui ne va pas avec moi, je n’arrive pas à me fixer », avec une sensation de gueule de bois et d’avoir été trompé.e par le mythe du prince – ou de la princesse – charmant.e auquel ils ont voulu croire ?

En termes d’écriture dramatique, cette phrase s’appelle une « accroche » : réponse… demain !

Et n’oubliez pas : l’espace des commentaires vous appartient ! Je vous propose, vous aussi, si vous le souhaitez, de vous embarquer avec moi et mon amie Elisende Coladan, anthropologue et sexothérapeute, qui me fait la joie de me rejoindre aujourd’hui dans mon aventure d’écriture, pour vous aussi nous raconter votre propre voyage en 21 jours ! Hâte de vous lire ! Rendons ce blog interactif, c’est tout l’intérêt d’écrire comme ça, au jour le jour, en fonction aussi des réactions des un.e.s et des autres.

Au plaisir et à demain,
Isabelle

13 réflexions sur « Voyage en Polyamorie #2. 1. Le Monde ordinaire »

  1. Tu sais, je n’ai jamais eu peur de ne pas être comme les autres, c’était toujours tellement évident que je ne l’étais pas (*). En revanche, l’idée m’est arrivée de temps à l’autre que si je suis malheureux, c’est du fait que les autres, ils font mieux. C’est un peu ce moment de Pascal, si seulement je pouvais croire à toutes ces histoires débiles d’homme au ciel… je serais heureux ! Ou la monogamie, bien sûr. Mais puis j’ai testé, ce n’était pas mieux (la monogamie, pour l’autre, il faut être un minimum sérieux). Mais, mais… je n’ai pas testé correctement ? Ce n’était pas avec la bonne fille ?
    Et de temps en temps, j’ai croisé justement une fille qui disait comme une évidence… « non, mais la monogamie… non ». Puis ça fonctionnait jusqu’à ce qu’elle ait dû partir à l’autre côté du monde… ou c’était moi. Après… on se résigne, ce n’est pas possible, on ne trouve pas celles qui pensent comme ça. Oui, on se dit « je n’y crois pas trop » jusqu’au jour où… si, on demande, même si on ne croit pas. Recommence.
    Finalement, je me rends compte… je suis comme ça. Et j’en trouve d’autres, et il y a de l’espoir… jusqu’au jour où je me rends compte que c’est toujours compliqué, qu’on peut y croire hier mais pas demain, que si à deux c’est compliqué, à trois…
    Et on continue, parce qu’il n’y a pas d’autre choix, enfin.

    (*) possiblement un truc de matheux, tu pourrais t’en renseigner, je pense.

    • Oui, je crois que la douleur ou l’angoisse de me sentir « pas comme les autres » revenait en effet un peu à : ils/elles semblent être heureux.ses dans des configurations qui ne me conviennent pas et dont je sens qu’elles ne me conviendront jamais. Mais alors comment faire ? Et je me suis résignée, longtemps, longtemps… à ne pas être heureuse, parce que je n’étais pas moi-même, parce que je ne me sentais pas « autorisée » à être moi-même, parce que je ne m’autorisais pas moi-même à être moi-même…

    • Que veux-tu dire par là ? À quoi fais-tu référence ? À ce que j’ai appelé le « monde ordinaire de la monogamie érigé en norme » ?

  2. Merci Isa ! Bon je me lance avec mon français plein d’accent du sud. Je crois que les mots ils peuvent, quand ils apparaissent donner du pouvoir. Apporter du soutien. Il sont comment des vents frais qui gonflent des voiles… Mais en réalité pour moi, c’est que la vie que chaque rencontre m’amène est sans nom, sans domicile, sans définition… Mais qu’est-ce que ça fait du bien de se savoir pas tout seul !! Avoir un nom que on peut utiliser. Que on peut réfléchir, faire et défaire. Et en fait si je me dis poly, c’est juste une façon de me dire indéfinissable. Et de me vivre en face de plein de possibles.
    Mon expérience, ce n’est pas sans douleur. Mais qui veut une vie « safe »? Qui veut vivre sans etre touché par la vie ? L’hiver est froid et gèle mes doigts, et la chaleur de l’été parfois me brûle… Mes amours, ils me mettent en face du meilleur et du pire en moi. Mes vieux démons viennent me visiter et je les accueille et on prend une « bière ». Ils me racontent n’importe quoi, et je laisse dire… Comment des vieux que on se connais et on se ecoute peu, mais que on s’apprecie quand meme. Souvent des amis que ils se disse monogame il me parler de la jalousie comment si j’avais de l’exclusivite. Commme si dans leurs relations « ordinaires », ils étaient protégés par un antidote magique. Ma jalousie était enorme, magnifique, grandiose… belle dans son pouvoir. Parce elle était vraie. Dans une relation vraie. Elle, dans son moment de plus ardeur, a brûlé plein d’images, des idées, des masques… On me laisse nu et beau. Neuf et plus libre. J’étais jaloux et j’avais de quoi. Et je remercie mille fois la femme libre qui m’a choisi pour partager une bonne partie de son chemin. C’est l’honnêteté que j’aime dans ce pays de poly. Le plupart des monogames que j’ai connus ne sont pas de vrais monogames ; si l’exclusivité est leur définition. Je ne milite pour rien, bien entendu… Peut-être que si ! Juste le choix ! je défends mes choix… Vivre dans des relations avec des choix et de respect et des limites qui ne sont pas imposés par des conventions. Merci encore !! J’espère que je n’ai pas été trop long, or hors contexte. Biz.

  3. Bonjour,
    Quelle belle initiative que ce beau voyage à partager tous ensemble.
    Cette première étape que tu décris résonne tellement en moi. A te lire et ne connaissant pas de poly ayant assumé ce choix de vie sans être passé auparavant par la monogamie exclusive, je m’interroge sur l’éducation que nous recevons. D’ailleurs, en recevons-nous une qui ouvre suffisamment l’esprit et favorise la liberté de chacun à ce sujet ? Notre société appelle au respect de la différence mais ce n’est déjà pas si simple quand on aborde des sujets comme le racisme, l’homophobie ou les religions. Alors lorsqu’on sort des limites d’un schéma familial éprouvé depuis des siècles comme étant le seul à suivre…
    Pour ma part, j’ai grandi à Madagascar. A l’époque, pas de télévision chez mes parents qui refusaient qu’on visionne les programmes de l’URSS communiste que le gouvernement malgache diffusait, ni de jouets venant de France. Mon échappatoire a été la lecture de romans pas forcément adaptés à mon âge. Je n’ai pas connu les histoires de princes et de princesses que j’ai découverts bien plus tard à l’adolescence et n’ai donc pas grandi avec ce mythe comme objectif à atteindre. J’étais plus intéressée par le discours d’Aristophane dans Le Banquet de Platon que de regarder des dessins animés de Disney qui n’arrivaient de toute façon pas jusqu’à ma grande île. Abreuvée de fiction en tous genres, j’aurais pu grandir avec des idées différentes sur le couple, la famille.
    Mais c’est sans compter le poids de la société traditionnelle malgache, bourrée de principes et dans laquelle la religion tenait une grande place. Mes parents avaient divorcé quand j’avais six ans et c’était très mal vu à l’époque… Pour ne pas subir regards en biais et jugements d’autrui comme eux, j’ai donc décidé d’adhérer à tout et tenté du mieux que je pouvais de respecter les règles qu’on m’avait apprises. Venue faire mes études en France à l’âge de 17 ans, j’ai commencé à entrevoir un monde très nouveau et à faire l’expérience de la liberté, dans ma vie quotidienne tout d’abord car j’étais seule à Paris puis petit-à-petit de pensée.
    Mais une éducation ne s’efface pas si vite. Durant la grosse vingtaine d’années qui suivit, j’ai été fort tiraillée entre un profond besoin de rester libre et la peur, ou la honte peut-être même, de ne pas correspondre à la bienséance du moule sociétal. Le résultat ? D’une part une jeune adulte, déjà poly sans même en soupçonner l’existence, qui à chaque début de relation exigeait de son partenaire une totale liberté de l’un et de l’autre, avec la possibilité d’aventures extra-couple avec information préalable au conjoint. D’autre part, cette même jeune adulte n’assumant pas entièrement ses choix n’osait passer à l’acte et finissait par quitter rapidement le chéri du moment lorsque le besoin d’une autre relation se faisait trop pressant. Toujours par peur du qu’en-dira-t-on et pour conserver le comportement correct et admis.
    Très vite, mes propres envies se sont teintées de culpabilité de ne pas arriver facilement à suivre ce qu’il fallait, renforcée par le sentiment d’être différente depuis l’enfance. Il me fallait retrouver un schéma normal, fonder une famille et être bien sous tous rapports. Je me suis donc accrochée à ceux qui voulaient bien de moi. Deux hommes en 14 ans avec lesquels j’ai me suis réinsérée dans la monogamie et l’exclusivité qui me frustraient mais auxquelles je m’accrochais pour être une femme bien comme tout le monde.
    Puis après l’accumulation d’échecs depuis toutes ces années, à l’aube de la quarantaine, la prise de conscience et tout qui vole en éclats…
    Aujourd’hui j’ai 43 ans. Je tente de vivre conformément à que j’avais refoulé durant toutes ces années. Pour moi, la réussite de mes relations ne peuvent se mesurer à leur durée. Car en quatre ans, et surtout depuis un an, je vis des relations plus courtes parfois mais plus sincères, plus authentiques et plus épanouissantes que toutes les autres cumulées.
    Ma vraie préoccupation actuellement est surtout de savoir comment en parler, comment « éduquer » les gens sur le libre choix de sa vie familiale et sexuelle, comment me positionner honnêtement dans une société qui me mettra de toute façon en marge si je dévoile ce à quoi j’aspire. Pour l’instant, une poignée d’amis ouverts savent mes choix de vie, sans me juger et sans que notre amitié soit en danger. Pour les autres, dans l’attente de me sentir plus libre d’en parler, je vois briller dans leur regard le sentiment de peine parce que « oh la la ça fait des années qu’elle n’est pas en couple, elle est pourtant si gentille »… et j’essaie de me dire que très bientôt, un jour, je trouverai le moyen, la force et le courage d’arrêter de me cacher pour vivre heureuse.

    • Merci Lantou pour ton témoignage qui en effet, nous éclaire d’un autre point de vue, venue d’une autre culture, d’un autre coin de la planète. Beaucoup d’émotion à te lire.

  4. Voyage en Polyamorie #2. Le Monde ordinaire
    Je commence donc, comme j’ai décidé de le faire, par un tirage de Tarot pour chaque étape. Je l’ai donc fait en pensant à ce que représentaient pour moi « le monde ordinaire » et « les relations plurielles » (comme j’aime dire plutôt que polyamour).
    LA ROUE DE LA FORTUNE.
    C’est une carte complémentaire du 7, le chariot, que j’ai tiré hier. Toutes deux indiquent la fin d’un processus et le commencement d’un autre. 10 est un nombre symbolisant une totalité en mouvement (10 : 1+0 = 1). J’aimerais y voir la fin d’un mode (monde ordinaire?) de fonctionnement et le début d’un autre, au niveau des relations sexo-affectives (terme que j’ai lu pour la première fois sous la plume de Brigitte Vasallo (http://perderelnorte.com/polyamor-2/sobre-la-monogamia/) : écrivaine, journaliste féministe espagnole qui propose les relations non-monogames inclusives comme une forme de résistance politique) qui prend de plus en plus d’ampleur. La roue de la fortune symbolise le mouvement vers une destinée inéluctable Elle peut également une idée d’évolution vers un ailleurs, un autre possible.
    Alors : destin, chance ? Mon monde ordinaire, n’en a jamais été un. Je suis née à Barcelone, fille de d’un des secrétaires de Francesc Macià, président de la Généralité de Catalogne de 1931 à 1933, parti en exil à Lyon, où il a connu ma mère, de presque 30 ans sa cadette. A la fin de la guerre, il est retourné en Catalogne, où ma mère l’a rejoint, en tant que sa maîtresse, car il y avait femme et enfants. L’histoire qu’elle m’a racontée, c’est qu’à ma naissance, elle lui a posé un ultimatum pour qu’il quitte sa femme, ce qu’il n’a pas fait. J’ai été donc élevée par ma mère qui vivait seule avec ma sœur, et mon père venait me voir relativement souvent, puisqu’il était à la retraite. A cette époque, ma mère avait une relation lesbienne qui a duré plusieurs années. Ceci, dans les années 60, dans l’Espagne de Franco. Comme « monde ordinaire » cela se pose là ! J’ai toujours entendu dire à ma mère que mon père aurait trouvé bien plus simple de pouvoir vivre avec les deux femmes et ses enfants sous le même toit. Lorsqu’elle en parlait, cela semblait être pour elle une idée complètement folle, alors qu’elle ne l’était pas pour moi. Car toute mon enfance a été bercée de disputes, de cris et de récriminations. Ce jusqu’à un jour, alors que j’avais 9 ans, où j’ai appris que nous allions partir à l’autre bout du monde, au Chili, avec ma mère. Et ensuite, enfin libre (j’imagine) elle a eu plusieurs amants et je crois bien, parfois, en parallèle. Mais rien de tout cela ne m’a été expliqué, c’était un sujet tabou.
    Lorsque j’ai été en analyse, puis en thérapie, j’ai donc appris que j’avais vécu dans une famille dysfonctionnelle. Je pense qu’elle l’était effectivement, non pas tant par sa structure, mais par la série de non-dits qui y pesaient de tout leur poids. Evidemment, ma question a été : pourquoi tout ce secret, pourquoi tous ces non-dits. Encore aujourd’hui, ce sont des sujets impossibles à aborder du côté de ma mère. Par contre, j’ai retrouvé ma famille paternelle, il y a un peu plus de deux ans. Je leur ai expliqué mon mode de fonctionnement et il a été bien accepté par une partie de la famille, notamment parce que j’ai une (demi) sœur aînée (aujourd’hui décédée), écrivaine, de la bourgeoisie intellectuelle catalane, dans laquelle, après-guerre, avoir plusieurs relations, de manière ouverte et assumée, paraît avoir été assez fréquent. Il semblerait qu’elle ait vécu dans un appartement avec son mari où chacun avait son entrée et sa chambre personnelle pour pouvoir recevoir librement.
    En ce qui me concerne, ayant vécu dans cette ambiance depuis ma naissance, avoir plusieurs relations m’a toujours apparu faisant partie de ma nature. Par contre, j’ai vite senti que je n’arrivais pas à me sentir bien socialement et, comme l’exemple reçu de mes parents, j’ai longtemps caché mon véritable mode de fonctionnement.
    Je n’ai jamais rêvé de Prince Charmant, l’idée m’a du reste toujours parue absurde. Je trouvais ridicule mes amies qui rêvaient de mariage en longue robe blanche. Par contre, je me disais que j’allais avoir des enfants (pourquoi pas avec des hommes différents) sans me marier. Je me voyais vivre et voyager, explorer, faire des recherches en élevant seule 4 enfants ! Mais une réalité sociale et économique m’a rattrapée insidieusement. Progressivement, je n’arrivais pas à envisager comment assumer pratiquement et financièrement le fait d’élever des enfants seule, notamment avec mon métier d’archéologue/anthropologue et un emploi « gagne-pain » de guide accompagnatrice culturelle au Mexique et d’autrice/pigiste d’articles scientifiques.
    Alors, un jour, j’ai rencontré un homme avec qui j’ai partagé cette envie d’enfant. Au départ, je n’envisageais pas de me marier, mais pour des questions pratiques, je suis passée par la case mariage et, me connaissant, j’ai dit à mon futur conjoint, que je ne me voyais pas pouvoir lui être fidèle. Ce qui a été accepté en théorie, mais lorsque c’est vite devenu une réalité, l’a fait beaucoup souffrir, et j’en ai également beaucoup souffert moi-même. Cela c’est accompagné de ressentiments, de reproches et l’ambiance est devenue vite très lourde. Surtout qu’une fois mère, je me suis sentie coincée dans un appart en banlieue parisienne, bien loin de mes rêves d’explorations et recherches. Loin aussi de mes amis/amants que je retrouvais lors de mes voyages.
    Assez rapidement, un peu comme ma mère, j’ai mis des milliers de km entre nous. Je suis partie en Amérique Centrale, d’abord avec lui et nos deux enfants, mais il a très rapidement décidé de rester en France. D’où un divorce et pour moi, plus de 22 ans aujourd’hui de non-monogamie et de non-vie de couple également. Mais, là encore, je l’ai toujours vécu en cachant socialement qui j’étais réellement. Ce qui est devenu, à la longue, un peu « schizophrène ».
    Lorsque je lis mon parcours, je réalise combien Brigitte Vasallo a raison de proposer les relations non-monogames inclusives comme un mode de résistance politique, notamment face au patriarcat. Je n’ai pas grandi avec le mythe de Prince Charmant, ni dans celui de l’homme « pourvoyeur » de sa famille, mais j’ai grandi en Espagne, au Chili, en El Salvador et au Maroc, tous pays extrêmement patriarcaux et même si dans « mon idéal », je rêvais de m’en sortir seule avec mes enfants, le moment venu, j’ai cherché la sécurité matérielle du mariage.
    En réalité, je diverge légèrement de la pensée de Brigitte Vasallo, dans le sens que, je pense que dans la monogamie choisie (et non pas imposée) il est également possible de se construire hors du modèle patriarcal, mais il est vrai que c’est surtout dans la non-monogamie que je rencontre des personnes (hommes et femmes) qui réfléchissent et imaginent des modes relationnels différents, faits de dialogues, d’échanges et de consensus.

    • Waouh ! Merci Elisende pour ce témoignage puissant et très personnel. Merci pour ta confiance, merci pour ta générosité. C’est en effet passionnant de pouvoir mettre en parallèle tous nos récits de vie, bien différents les uns des autres. Et clairement, ton « monde ordinaire » est bien loin du mien, mais aussi de celui de Lantou ou de Pepe…

      J’ai une question à propos de Brigitte Vasallo, et je m’en vais te la poser aussi sur Facebook, car je pense que ta réponse peut en intéresser plus d’un.e : qu’appelle-t-elle, ou qu’appelles-tu, les relations non-monogames « inclusives » ?

  5. Je pourrais expliquer rapidement que lorsque Brigitte Vasallo utilise l’expression de relations non-monogames inclusives, et d’autres avec elles, c’est par opposition à la monogamie hétéronormée. Mais, en fait, c’est bien plus large. Inclusive veut dire tout type de relations: sexuelles, affectives, sexo-affectives avec tout type de personnes et non pas seulement avec des personnes du sexe opposé ou du même sexe. Bref, avec des personnes dans toute la variété humaine possible, loin du couple « standard » occidental ou occidentalisé composé d’un homme cis et d’une femme cis (c’est-à-dire des personnes dont l’identité de genre est en accord avec leur sexe (celui qu’indique leur état-civil).

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