Après l’accueil des émotions en nous (quand on tente de les ignorer, voire de les refouler, quand on en a honte ou qu’elles nous culpabilisent… elles nous contrôlent d’autant plus que nous n’en avons pas conscience) et la psychologie positive (#11), après la mindsight (#12), l’art d’observer le fonctionnement de notre cerveau – et celui des autres – pour mieux avancer en harmonie avec nous-même, un autre outil remarquable – et pas seulement pour des relations en Polyamorie, mais plus largement pour des relations en conscience et dans le respect mutuel : la communication non-violente (CNV), développée par Marshall Rosenberg, et que je préfère appeler « communication compassionnelle » pour rester dans une définition positive et non en « non-quelque chose ».
Il ne s’agit bien sûr pas ici d’ériger ces outils en « modèles » ou « mode d’emploi » et on peut évidemment communiquer de manière plus spontanée dans une relation intime ou dans la vie de tous les jours : la CNV est simplement un outil de plus – un outil de choix – quand parfois les émotions sont fortes – ce qui est souvent le cas quand on voyage en Polyamorie et que l’on s’aventure vers des contrées inconnues et des situations inédites qui nous confrontent avec nos peurs parfois profondément ancrées et que notre vie en Monogamie ne nous avait jusqu’à présent pas permis d’explorer.
Voilà l’une de mes philosophie de vie : vivons chaque difficulté comme une expérience nous permettant de mieux nous connaître et de nous approcher de notre moi profond. Il n’y a pas/plus d’échecs : il n’y a que des expériences qui nous font avancer sur notre chemin. Comme un.e enfant qui apprend à marcher. Comme quand on apprend une langue étrangère ou à jouer d’un instrument de musique : il ne vous viendrait pas à l’idée de vous attendre à en maîtriser parfaitement toutes les subtilités du premier coup ?
Eh bien en Polyamorie, comme dans tout, c’est pareil : vous allez tomber, vous relever, tituber, vous rattraper, avoir le mal de mer, puis moins, puis avec un peu de chance, plus, et petit à petit, vous aurez le pied marin – ou pas. Car certaines personnes ne s’habituent jamais au tangage et aux roulis, et préfèrent la terre ferme. Et alors vous déciderez – en conscience, et fièr·e de vous d’avoir au moins essayé – de retourner au port, pour peut-être repartir une fois prochaine – ou pas.
J’aime beaucoup cette expression « – ou pas », qui me vient de Susan Jeffers, et permet souvent de relativiser une situation et d’éviter de s’accrocher à trop d’attentes, comme on s’arrimerait au bastingage en espérant que ça nous permettrait d’affronter la tempête : si on s’arrime au bastingage, quand le bateau coule… on coule avec !
En réalité, tant qu’on n’a pas essayé, on ne peut pas savoir comment on va réagir. Et il ne sert à rien d’anticiper ou de « faire des suppositions », selon l’expression de Miguel Ruiz dans La Maîtrise de l’amour : car, comme pour tout, ce n’est qu’en faisant qu’on apprend à faire.
Et à nouveau, au risque d’insister : si vous renoncez, ou mettez sur « pause » pour un temps, ce ne sera pas non plus un « échec » – juste une étape dans votre voyage.
La communication compassionnelle nous donne des outils concrets, précis, pour nous aider à dénouer une situation possiblement conflictuelle, ou dans laquelle les émotions de l’un·e et de l’autre des partenaires sont tellement fortes, qu’ils n’arrivent pas toujours à s’entendre… ou même à s’écouter.
Elle nous apprend aussi à entendre et écouter l’autre… avec des oreilles nouvelles. Marshall Rosenberg parle d’enfiler nos oreilles de girafe ! Il aime en effet dire qu’il y a deux types de communication : celle qui parle en « langage chacal » (en critiques, accusations, jugements… dont on n’a même pas toujours conscience, celle qui dit « tu » (tu n’as pas fait ceci, tu as fait cela, tu ne me respectes pas… ou Je ne me sens pas respecté.e – ce qui en réalité, bien qu’on parle en « je », renvoie malgré tout à une critique de l’autre), et celle qui parle en « langage girafe », la girafe étant selon lui, l’animal qui a le plus gros cœur (plus gros qu’un éléphant ? m’a demandé ma fille : je ne sais pas, je n’ai pas vérifié…).
Marshall Rosenberg a (avait – il est malheureusement décédé il y a peu…) pour habitude de parler lors de ses conférences ou ateliers en utilisant deux marionnettes : l’une de girafe, l’autre de chacal. Et il jouait à tour de rôle les deux protagonistes d’une même discussion. Ou bien répondait en langage chacal ou en langage girafe aux remarques de ses interlocuteurs. Il est fascinant : si vous parlez un peu anglais, regardez une de ses vidéos (dont les propos sont retranscrits mot pour mot dans certains livres), c’est passionnant, drôle, et tellement instructif !
L’idée est d’écouter, d’écouter vraiment… avant de parler soi-même. D’écouter avec un esprit d’empathie. Et d’écouter jusqu’au moment où l’autre a reçu assez d’empathie… qu’il peut alors vous écouter à son tour. On rejoint bien évidemment ici les préceptes de l’accueil des émotions et de l’intégration chère à Dan Siegel quand il nous décrit ce qu’il se passe dans notre cerveau.
J’ai parlé hier du cerveau dans la main (#12). Dan Siegel utilise une autre image que je trouve très parlante : celle d’une maison où le cerveau émotionnel serait représenté par le rez-de-chaussée (les fonctions essentielles, vitales : la cuisine, la salle de bains, la chambre à coucher, la salle à manger, la buanderie), et le cerveau rationnel par le 1er étage (le bureau, le salon, la bibliothèque, les pièces qui nourrissent notre « raison »).
Quand les émotions sont trop fortes, c’est comme si on coupait la communication entre le cerveau du haut et le cerveau du bas, comme si on fermait l’accès au 1er étage : les deux étages ne communiquent plus.
Rien ne sert alors, d’essayer de s’adresser à quelqu’un·e en langage qui se veut « raisonnable » ou rationnel : ielle ne vous entend / comprend pas. Il faut attendre que les émotions aient été accueillies, et entendues (c’est là que joue l’empathie de Marshall) jusqu’au moment où les deux parties du cerveau peuvent à nouveau communiquer, pour ensuite pouvoir parler de manière raisonnable ou rationnelle.
Dan Siegel, avec ses travaux sur le cerveau, nous explique scientifiquement ce que Marshall Rosenberg avait observé empiriquement.
Donner de l’empathie… jusqu’au moment où cellui qui en avait besoin, peut vous en donner à son tour, et vous écouter à son tour. Alors seulement, vous pouvez vous exprimer.
Et dans une relation, quand l’un·e et l’autre ont des enjeux forts (par exemple, l’un·e qui a envie de vivre une nouvelle relation, l’autre qui en a peur…), il n’est pas toujours facile de s’écouter, d’être capable d’écouter l’autre sans vouloir se faire entendre à son tour, là maintenant tout de suite.
Ou il n’est pas facile d’entendre l’autre nous faire des reproches sans céder à la tentation de nous « défendre » ou de nous « justifier ».
D’où l’intérêt d’apprendre déjà dans un premier temps à parler au « je », sans faire de reproches ou de critiques, sans rejeter la faute sur l’autre. Sans dire Je me sens mal parce que tu as fait ceci ou cela. C’est tout un changement de paradigme dans la communication traditionnelle, là encore.
Que nous apprend la communication non violente ? À parler au « je » : à exprimer nos émotions, nos sentiments, nos besoins, nos demandes.
Et à être capable d’entendre ceux de l’autre… même quand ielle ne s’exprime pas en langage « je » : être capable d’entendre le besoin non satisfait… derrière l’accusation, le jugement ou la critique !
Ouh la ! On met la barre haut ! Oui, et c’est bien cela qui est passionnant… et mind-blowing.
Si je vous la fais courte (je vous encourage à dévorer ne serait-ce que le petit livre aux éditions Jouvence : 4,90€ qui les valent largement !), on communique en 4 points essentiels :
1) On observe : quand… tu fais ceci ou dis cela (précisément : pas quand tu rentres tard, mais quand tu arrives avec un quart d’heure de retard sur l’horaire convenu) : parler en langage scénario (des descriptions, des faits, pas de jugements ou de suppositions, pas de généralités ou d’approximations… comme lors d’une déposition au poste de police).
2) On décrit le sentiment ou l’émotion que cela éveille en nous : Je me sens… (en colère, triste, agacé.e, angoissé.e – pas pas respecté.e, pas entendu.e, pas aimé.e : ce sont des projections).
3) On exprime son besoin : j’ai besoin que quand on se met d’accord sur le cadre, il soit respecté ; si tu es en retard, j’ai besoin que tu me préviennes.
4) On fait une demande précise : serais-tu d’accord pour...
D’où l’acronyme : OSBD ! (Il existe un groupe OSBD sur Facebook pour pratiquer au quotidien !)
Essayez, juste pour voir : c’est puissant !
Justement, vous avez sûrement déjà entendu parler de la communication non violente : avez-vous déjà essayé de la pratiquer en conscience ? Racontez-nous vos expériences dans les commentaires ci-dessous, partageons ! J’aimerais organiser des ateliers de communication compassionnelle sur Paris : est-ce que cela pourrait vous intéresser ? Au plaisir de vous lire.
À demain et au plaisir,
avec amour et bienveillance,
Isabelle
Voyage en Polyamorie #13 Communiquer et lâcher prise
Le tirage de Tarot d’aujourd’hui, au sujet de la communication, me paraît extrêmement inspirant dans le cadre de la polyamorie. J’ai donc tiré L’Amoureux (ou les Amants) qui est la sixième carte du Tarot de Marseille. Sur cette lame, à l’origine, était représenté un jeune homme, placé entre deux jeunes femmes avec, au-dessus de lui, un ange qui s’apprête à lancer une flèche. Cette carte est souvent associée à l’idée de choix : le jeune homme aurait à choisir entre les deux femmes. Dans mon Tarot (celui de Rider-Waite), il n’y a plus qu’un couple protégé par un ange. C’est un tarot qui date des débuts des années 1900, alors que l’original de Marseille aurait au moins 600 ans. Cette carte continue à symboliser le choix, mais également s’unir à d’autres pour réaliser un projet (pas nécessairement amoureux). Et pour faire le bon choix, il faut parvenir à avoir conscience de nous-mêmes, ne pas nous effacer face aux choix des autres, mais communiquer pour arriver ensemble au but.
Il y a de cela maintenant plus de 20 ans, j’ai commencé à enseigner (au Costa Rica) dans une école dont la pédagogie était basée sur des idées de Krisnamurti et de Rudolf Steiner. Pour la première fois, j’entendais parler d’apprendre à apprendre, de l’estime de soi et d’autonomie, comme essentiels dans l’apprentissage des enfants. Ils étaient au centre de notre travail d’enseignement. J’ai appris à toujours encourager mes élèves en regardant leurs progrès, là où il y avait des aspects positifs, plutôt que remarquer leurs erreurs. J’ai oublié le stylo rouge et je l’ai changé pour des stylos de couleurs.
À cette époque-là j’ai entendu parler pour la première fois de Jacques Salomé et lu ses premiers livres. Je l’ai beaucoup lu pendant plusieurs années et il a fait que je change profondément ma manière de communiquer. J’adorais l’image qu’il utilisait pour ne pas juger, mais plutôt expliquer son ressenti, en proposant d’éviter de faire le petit train : « tu, tu, tu, tu … ». Grâce à lui, j’ai appris à écouter et à m’écouter. À dire « je » au lieu de « tu », à oser demander et ne pas avoir peur du refus, à dire non, lorsque cela ne sonnait pas juste pour moi. À me faire confiance, à sentir ce qui me convenait et ce qui ne m’allait pas. Plus j’arrivais à sentir clairement ce qui se passait en moi et mieux j’arrivais à le communiquer.
De plus, je vivais dans un pays où les personnes communiquent facilement. Avoir une conversation dans un bus avec un.e inconnu.e y est chose habituelle. Attendre dans un aéroport ou chez le médecin, sans parler à personne, est quasiment impensable. Et la communication n’est pas seulement verbale, mais dans les pays latino-américains, les personnes se touchent amicalement, posent une main sur le bras ou l’épaule, les « hugs » se font tout naturellement. Au début, cela me faisait bizarre, mais ensuite j’ai réellement apprécié cette facilité de communication. J’avoue que de retour à Paris, cela m’a été un peu difficile de replonger dans les difficultés de communication, voire l’agressivité ambiante.
Tout cela m’est utile aussi bien dans mon travail de formatrice en langues et de thérapeute que dans ma vie quotidienne. Mes colères sont ainsi devenues de plus en plus rares et quand je les sens monter, j’essayer de m’apaiser en m’observant, ce qui les fait retomber rapidement. Lorsque je dois m’exprimer, pour expliquer mon ressenti, je commence toujours pas « je » : « je pense, je sens, je crois, j’entends que … » sont mes débuts de phrases presque systématiques. Ainsi que « j’aimerais, je souhaiterais, j’aurais besoin que… Serait-il possible que… » En fait, j’utilise beaucoup le conditionnel, beaucoup plus que les hypothèses avec « si » ou le « quand ». Ainsi plutôt que communiquer en disant « quand tu rentres tard sans me prévenir, je me sens mal », je dis « je souhaiterais que tu me préviennes au cas où tu rentrerais tard, afin d’éviter que je ne m’inquiète et ne me sente mal ».
Bien sûr, ce n’est pas toujours possible de s’exprimer aussi calmement et il m’arrive, comme à tout le monde, je pense, de me laisser emporter. Dans ce cas, j’ai également appris à dire que j’avais conscience de m’être laissée dépasser par mes émotions, à expliquer pourquoi et à demander d’en reparler calmement, à tête reposée. Lorsque ce n’est pas moi qui m’emporte, mais l’autre, je sais maintenant que la distance et le temps sont souvent indispensables. Et il s’agit parfois de beaucoup de temps (parfois des semaines, des mois, voire plus !), qui peuvent être nécessaires pour apaiser une situation réellement difficile et dénouer un conflit. En voulant résoudre un problème rapidement, il arrive qu’on l’exacerbe, alors que laisser la situation en l’état, prendre de la distance et la reprendre lorsque chacun a eu le temps d’y réfléchir, peut permettre de trouver des solutions consensuelles. L’autre personne n’a peut-être pas toutes les lectures ou connaissances que j’ai (puisque je suis formatrice et thérapeute), dans ce cas, je peux lui proposer certains auteurs, quelques titres et lui laisser le temps de lire, de penser, de regarder des vidéos et avancer vers une résolution plus calme de la situation conflictuelle.
Lors de ruptures dans une relation, apparemment nécessaire car la suite devient trop difficile pour les deux personnes ou pour l’une d’elles, souvent des mots durs et blessants sont dits, de part et d’autre. C’est comme un volcan qui explose. Ou bien alors, c’est net, tranchant et ce ne sont pas des torrents de lave, mais un vide sidéral. Dans les deux cas, j’ai appris à laisser passer le temps nécessaire, puis revenir vers mon-ex partenaire afin de comprendre ce qui s’était passé. Lorsque cela a été possible, ça a été très aidant pour tout le monde et nous a permis de mieux comprendre pourquoi nous sommes allés droit dans le mur. C’est ainsi qu’un de mes partenaires, avec qui j’ai beaucoup souffert et eu des ruptures successives, jusqu’à la vraie, la forte, est aujourd’hui devenu mon meilleur ami. Nous sommes sortis grandis de cette épreuve et bien plus complices que lorsque nous étions amants.
Il est habituel de dire qu’en polyamorie, tout doit être discuté, mais parfois, il peut être bon également de lâcher prise et laisser faire. Il y a de cela plus d’un an, une de mes relations avec qui j’étais depuis presque deux ans et qui faisait souvent des rencontres de son côté (et moi du mien) a commencé à me parler « autrement » d’une femme qu’il avait connue. J’ai bien senti qu’elle prenait de la place dans sa vie et, sans qu’il ait besoin de rien me dire, je me suis éloignée physiquement, tout en gardant un lien par texto et mails car j’ai compris qu’il était en pleine NRE (New Relationship Energy, NDLR) et qu’il avait besoin de vivre pleinement cette relation. Je n’en ai pas souffert, car moi-même j’avais d’autres relations, une vie bien remplie par diverses activités et plein d’ami.e.s. En fait, cette nouvelle relation était le début de la fin de la nôtre. Quelques mois plus tard, il est revenu vers moi, pour rompre avec pertes et fracas après quelques semaines. Encore une fois, j’ai laissé passer le temps, puis je l’ai recontacté par mail. Il a pu m’expliquer ce qui s’était passé en lui, pour lui et son besoin de ne plus me voir. Que je respecte, d’autant plus que je sais maintenant par expérience que, si je laisse passer le temps nécessaire, probablement, dans un futur (proche ou lointain), il sera possible de nous retrouver plus calmement.
Il me semble que nous avons nos pensées remplies de grandes amours suivis de ruptures tout aussi grandes. Que la passion (souvent démesurée du début) doit avoir une fin aussi passionnée. Nous n’avons pas appris à aimer dans l’échange, dans la communication, dans le calme. Dans la construction des mythes de l’Amour romantique, il y a toujours les composantes suivantes : la passion, la jalousie, la violence des sentiments qui se transforme en la violence de la rupture. Le tout parsemé de trahison et de douleur. Il ne tient qu’à nous d’identifier ces mécanismes et les défaire afin d’aller vers des relations plus sereines, plus construites, ayant pour base l’estime de soi et de l’autre, l’échange dans un dialogue apaisé, dans un réel lâcher prise et en nous donnant le temps. Certes, cela est moins enivrant, mais souvenons-nous de notre réveil après un bonne cuite et celui après la dégustation d’un bon vin, plein de saveurs qui accompagne un délicieux repas. Lequel choisissez-vous ?