ÉTHIQUE RELATIONNELLE #14. La Polyamorie est révolutionnaire

Oui, bon, je le reconnais, j’y vais peut-être un peu fort, là… Quoique.

Je l’ai dit, je le redis : la polyamorie est intrinsèquement féministe : par principe, chaque partenaire a les mêmes droits, quels que soient son genre, son âge, son orientation sexuelle ou relationnelle, ou son rôle dans la société. C’est un principe de base.

{NB. Et c’est d’ailleurs bien en cela notamment, que, bien que certain·es se posent encore des questions en ce sens, la polyamorie n’a vraiment rien à voir avec la polygamie telle qu’elle est le plus souvent pratiquée : polygynie.}

Et rien qu’en cela, franchement, dans notre société, eh ben disons-le : c’est pas acquis.

Allez, pour le plaisir (le mien, en tout cas !), je remets ici cette vidéo du Premier Ministre canadien Justin Trudeau à un sommet des Nations Unies :

« Je continuerai à dire que je suis féministe jusqu’à ce que ça soit accueilli par un haussement d’épaule. »
« I’m gonna keep saying loud and clearly that I’m a feminist until it is met with a shrug.(…) It shouldn’t be something that creates a reaction. It simply is saying I believe in equality in men and women and I believe that we still have an awful work to do to get there. »

Parce qu’en effet, il est plus que temps que les hommes se disent, s’assument et prouvent qu’ils sont féministes, parce que, comme il le dit, ça devrait être « normal » et non remarquable, d’être féministe.

Bien au-delà cela dit, la polyamorie n’est pas « seulement » féministe, elle est aussi fondamentalement et profondément égalitaire.

Parce qu’il ne s’agit pas seulement d’égalité entre les « hommes » et des « femmes », mais bien entre les personnes, i.e. les êtres humains, quel que soit leur genre. Qu’ielles se reconnaissent hommes ou femmes – ou pas. La polyamorie est inclusive. Des personnes trans, des personnes non-binaires, des personnes agenre. Des personnes aromantiques ou asexuelles.

Il n’existe pas de « hiérarchie » entre les personnes, personne n’est supérieur à personne, tout le monde a les mêmes droits. Point.

un pas de côté

La polyamorie nous fait faire un pas de côté par rapport à l’escalator relationnel, et rien qu’en cela, en réalité, c’est déjà révolutionnaire. Elle nous fait changer de paradigme.

Plus aucune injonction ou attente pré-établie
sur ce que sont « supposées » être nos relations. Du sexe ? Pas de sexe ? De l’amour dit « romantique » ? Une vie sous le même toit ? Quelle différence entre un·e « ami·e », un·e amant·e, un·e amoureuxe ? (Car – cela n’aura échappé à personne – il s’agit bien ici de la même racine du verbe latin amo, amare : aimer.)

Pourquoi vouloir étiqueter les personnes, et/ou nos relations ?
Pourquoi ne pas, quand on rencontre quelqu’un·e, laisser la place à l’inconnu, à la surprise, à la vie, tout simplement ? Laisser évoluer la relation… en fonction de ce que chacune des personnes concernées a envie de vivre ?

En ce sens, la polyamorie est écologique. Respectueuse de la vie telle qu’elle est. La vie est changement, la vie est mouvement, la vie est… vie. Quand on ne bouge plus, quand on n’évolue plus… c’est qu’on est mort·e.
Françoise Simpère ne s’y était pas trompée, qui sous-titrait déjà, en 2009, son Guide des Amours plurielles : Pour une écologie amoureuse.

Guide des amours plurielles

La polyamorie est éthique : égalitaire, démocratique, écologique. Elle s’épanouit dans un cadre de collaboration, solidarité, empathie, écoute de l’autre. Elle repose sur une logique d’abondance – par contraste avec une logique du manque et de la pénurie.

Un de ses mantra est : l’un·e n’empêche pas l’autre.

Alors bien sûr, le temps ou l’argent, contrairement à l’amour, sont des ressources limitées. Et il ne s’agit pas de prétendre que la polyamorie est un mode relationnel « facile » à vivre, ni qu’elle peut convenir à tout le monde. Bien sûr que non.

La polyamorie ne convient pas à tout le monde, de même que… la monogamie, non plus, ne convient pas – et ne peut pas convenir – à tout le monde.
Tout simplement parce que (attention, roulements de tambours…)

un même modèle ne peut pas convenir à tout le monde.  

Dans notre société et culture saturées d’histoires toutes construites sur le même modèle (le fameux Boy Meets Girl des comédies romantiques, elles-mêmes héritées des contes de fées), combien de personnes se sentent exclues, ont l’impression d’être « différentes », « pas normales », simplement parce qu’elles ne s’y reconnaissent pas ? Combien de personnes aromantiques ou asexuelles, par exemple, ne se sont jamais retrouvées dans ces romans ou films à l’eau de rose, quand bien même « on » voudrait leur faire croire que c’est ce dont chacun·e rêve ?

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En réalité, nos histoires sont toutes construites à partir d’un imaginaire collectif, dont font partie les fameux archétypesLes créateurices ne sont que des humain·es parmi d’autres, s’inspirant bien sûr de ce qu’ielles voient dans la vraie vie, mais avant tout des structures éprouvées des histoires qui les ont précédé·es.

C’est en partie comme ça que les mythes (tels que le mythe de l’Amour romantique) se perpétuent et se transmettent de génération en génération, et que certain·es, avec les meilleures intentions du monde, répètent : « C‘est comme ça ! Parce que ça a toujours été comme ça, et si tu ne t’y conformes pas, tu seras malheureuxe. »

Or, au risque de me répéter, chacun·e a le droit de se définir soi-même, de même que de définir pour soi les relations qui lui conviennent. 

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Je ne suis pas en train de prêcher en faveur des relations plurielles éthiques comme « modèle » ou « idéal »  – si c’est l’impression que vous avez à me lire, j’en suis désolée : là n’est clairement pas mon intention.
En revanche, ce en quoi je crois, c’est qu’il est temps qu’on déconstruise le mythe de la monogamie comme « naturelle », « évidente » et « applicable à tou·tes ».

La monogamie convient à certain·es : tant mieux !
Mais elle ne convient pas à d’autres : c’est un fait.
Mon enjeu ici est donc bien qu' »on » ne cherche alors pas à la leur imposer comme « seul mode de relations valable ». Parce que par principe, aucun modèle relationnel ne peut s’appliquer à tou·tes. Parce que nous sommes toute·s différent·es.

Et en ce sens qu’elle remet en cause ces croyances qui nous sont transmises par notre culture et la société dans son ensemble (le prince charmant, etc.), la polyamorie est intrinsèquement politique et… révolutionnaire. Oui, j’assume.

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La polyamorie remet en cause la structure hiérarchique à la base même de la société patriarcale : et je ne parle pas ici « seulement » de l’institution du mariage, mais bien au-delà – le principe même des rapports de force et de pouvoir entre les personnes, tels qu’ils sont définis sur une échelle sociale « verticale », avec des personnes qui seraient « supérieures » à d’autres.

Le mariage a été conçu comme un contrat social, entre autres pour garantir à l’homme qu’il transmettait bien son patrimoine à ses descendants biologiques – et non à ceux du voisin (quand bien même on le sait aujourd’hui, entre 10 à 20% des enfants ne seraient pas de leur père reconnu).
C’était un instrument de domination de l’homme sur la femme, considérée comme une sous-personne, comme une mineure (cela veut tout dire de la manière dont, encore aujourd’hui, on considère les enfants dans notre société comme des « sous-personnes » ; pensons aussi à cet héritage qui dit que, tant qu’une femme n’était pas mariée, elle restait une « mademoiselle », et n’avait pas le statut d’adulte réservé aux « madames »).

L’exclusivité était à l’origine bien plus imposée à la femme qu’à l’homme, qui a toujours joui d’indulgence à l’égard de ses aventures extra-conjugales.
Et à l’époque, d’ailleurs, le mariage n’avait rien à voir avec l’amour, mais bien avec la transmission du patrimoine.

Quand, dans les années 20 et 30, les femmes ont commencé à s’émanciper, et plus encore après-guerre, le mariage d’amour s’est généralisé, on a associé le sentiment d’amour… avec le contrat du mariage qui liait deux personnes pour le restant de leurs jours.

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Sauf que… comment peut-on envisager même de s’engager sur la pérennité d’un sentiment ?
Je peux te promettre d’être honnête, respectueuxe, fiable, fidèle au sens de « digne de confiance »… mais comment te promettre de t’aimer toujours ?

La fidélité ne signifie pas, pour moi, la même chose que l’exclusivité – sentimentale ou sexuelle.

Quand le mariage d’amour s’est généralisé, au lieu d’accorder aux femmes la même tolérance que celle qui s’appliquait jusque-là aux hommes sur leurs relations extra-conjugales (la contraception n’existait pas encore, ça restait « risqué » d’avoir un amant)… on a au contraire appliqué aux hommes la même exigence d’exclusivité.

Aie. Du coup, tout le monde logé à la même enseigne, piégé par le même contrat de base, implicite, d’exclusivité.

Certes. Mais aujourd’hui….?
Aujourd’hui, les femmes sont autonomes financièrement (même si leurs salaires sont encore inférieurs à ceux des hommes) et… on a la contraception !

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D’où la question : à partir du moment où la sexualité est enfin dissociée de la procréation, au nom de quoi cette exigence implicite d’exclusivité a-t-elle encore lieu d’être ?

Une des réponses est : nos croyances ! Nos habitudes, la culture, le story-telling, tout ce passé que l’on a hérité de nos parents, grands-parents et romans, films et contes de fées…

Eh bien… c’est tout cela que la polyamorie vient remettre en cause.
Et c’est aussi en cela qu’elle dérange.
Parce qu’elle vient titiller à un endroit où on n’a pas nécessairement envie d’être titillé·e.

Parce que beaucoup d’entre nous ont grandi avec des idées toutes faites… auxquelles ielles croient et veulent croire. Parce que beaucoup d’entre nous, au nom de ces croyances, ont accepté, toléré, voire subi, beaucoup de choses qu’ielles n’auraient peut-être pas acceptées sinon.

Et quand un·e trublion·ne à qui on n’a rien demandé, vient secouer tout ça en disant : « C’est possible de faire autrement, si si, je t’assure ! », eh bien… on n’a pas nécessairement envie de l’entendre.

Parce que se dire qu’on s’est peut-être sacrifié·e toute sa vie en renonçant à des tentations parce qu’on croyait que c’était la condition sine qua non pour maintenir à flot son couple… et apprendre au détour du chemin qu’une autre voie était possible… franchement, je comprends que ça soit rageant !

Peut-être est-ce en réalité moins douloureux de balayer tout ça d’un revers de la main en disant : « C’est n’importe quoi ! Ça marche pas, ces trucs-là ! Si ça avait marché dans les années 70, ça se saurait ! »

années 70

Sauf que voilà : dans les années 70, on parlait de libération sexuelle, pas de relations éthiques et égalitaires, d’accueil des émotions et de communication compassionnelle.

Dans les années 70, le féminisme n’en était qu’à ses balbutiements. Et souvent, ce qui était mis en avant était une « injonction à jouir » ! Celleux qui ne souhaitaient pas se conformer au nouvel ordre libertaire – et surtout celles qui ne souhaitaient pas coucher avec ceux qui prêchaient cette « libération » ! – étaient critiqué·es, raillé·es, et taxé·es de « petit·es bourgeois·es ».

Ce n’est pas de cela dont il est question aujourd’hui avec la polyamorie, et en rien, l’idée n’est de remplacer une norme par une autre ! Bien au contraire.
Il ne s’agit pas de proposer la polyamorie comme « une meilleure manière de vivre nos relations ». Non non.

Juste en revanche de dire : c’est possible. 
Et si la monogamie imposée comme norme dans notre société ne vous convient pas, ou vous étouffe… alors sachez qu’il est possible de vivre autrement.

La polyamorie est une alternative à la monogamie. 

L’idée est que chacun·e puisse choisir en conscience la manière dont ielle a envie de vivre ses relations.

C’est en ce sens que je n’ai pas peur de dire que la polyamorie est non seulement éthique, féministe, écologique, foncièrement politique, mais aussi… révolutionnaire !

Hâte de lire vos commentaires.

Au plaisir,
avec amour et bienveillance,
Isabelle

 

NB. Si vous souhaitez m’encourager à écrire mon livre sur la polyamorie et les relations positives et éthiques, vous pouvez :
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ÉTHIQUE RELATIONNELLE #13. En quoi la polyamorie dérange ?

L’ascenseur relationnel, autrement dit la « norme » implicite dans notre société de ce qu’est – ou doit être pour être reconnue comme telle – une relation, conjugue certains éléments :
– un couple hétéro
– qui fait des enfants
– et est monogame / exclusif à vie.

Sauf qu’aujourd’hui, on admet :
– que les mariages homo puissent aussi être des mariages d’amour ;
– que certain·e·s puissent ne pas vouloir avoir d’enfants ;
– que les monogamies puissent être « sérielles » ou « séquentielles » : on n’est plus monogame « à vie », mais le temps d’une union donnée.

Autrement dit, notre regard sur ce que sont censés être – ou ne pas être – l’amour et une relation d’amour, évolue selon la période de l’histoire ou la culture données. Dans certains pays, l’amour homo n’a toujours pas droit de cité (j’en profite pour vous inviter à signer la pétition à propos des tortures et arrestations des homosexuels en Tchétchénie).

Or, je ne le répéterai jamais assez : personne ne peut me définir à ma place.
Si une personne se dit amoureuse… c’est qu’elle est amoureuse. Personne ne peut savoir à ma place ce qu’il se passe dans ma tête ou ce que je ressens. Le jugement des autres sur ce que je vis est tout simplement absurde : c’est du non-sens.

Peut-on alors imaginer que si certain·e·s continuent à dire des relations plurielles que « ce n’est pas vraiment de l’amour« , ou que « ce n’est pas possible d’aimer plusieurs personnes à la fois« , comme on l’entend encore tellement souvent, c’est leur jugement, leur point de vue, qui n’engagent qu’elleux et leur idée préconçue de ce qu’est l’amour ?

Peut-on accepter que seule la parole des personnes qui vivent ces relations plurielles a de la valeur pour définir ou qualifier ce qu’elles vivent ?

Peut-on espérer que, parce que de plus en plus d’entre nous assumerons au grand jour nos relations différentes, hors de l’ascenseur relationnel, le point de vue des « normo-pensants » pourra évoluer, de même qu’il a évolué pour les couples homo ?

Off the Escalator

Aujourd’hui, même si les mœurs évoluent (on ne croit plus à la monogamie “jusqu’à la mort » et on accepte les divorces et séparations, qui créent, de fait, des monogamies sérielles), le mythe de la monogamie tient toujours : si ce n’est plus « à vie », au moins le temps d’un couple.

Paradoxalement, on peut se demander si le mariage homo n’a pas en réalité renforcé ce mythe de l’idéal de la monogamie : de l’exclusivité sentimentale et sexuelle.
Si « même les homo », qui avaient plutôt une « réputation » d’ouverture et de de non-monogamie veulent de l’institution du mariage (sous-entendu, du mariage exclusif), alors c’est bien qu’elle a encore du sens…?

Sauf que dans les faits, selon les sondages, il semblerait qu’entre 50 à 80% des couples “mono” ne sont en réalité exclusifs qu’en apparence et en théorie : en effet, beaucoup reconnaissent avoir au moins une fois, fait une « entorse au contrat ».

Or la grande différence entre ces « entorses » que l’on nomme adultères ou infidélités, et la polyamorie… est précisément l’éthique. 

L’adultère – aussi appelé infidélité : le fait d’être infidèle au contrat passé d’une exclusivité sentimentale et sexuelle – n’est en effet rien d’autre qu’une non-monogamie non-consensuelle (puisqu’au moins l’une des personnes concernées n’est pas au courant) – donc non-éthique.

Si la polyamorie dérange encore tant, n’est-ce pas parce qu’elle attire l’attention sur le fait que cette pratique « implicite » des relations maritales que constitue l’adultère (pensons à la tradition française du vaudeville !) est précisément non-éthique ?
vaudeville

Je me souviens de certaines critiques hyper virulentes à l’égard de mon premier long métrage Tout le plaisir est pour moi (*) qui parlait de clitoris, de masturbation féminine et encourageait les femmes à « prendre leur plaisir en mains » au lieu d’accuser leurs partenaires d’être « de mauvais amants ».
Je ne comprenais pas la véhémence de certaines, notamment des magazines féminins tels que Elle ou Marie-Claire (elles écrivaient que le film était « vulgaire » et « grossier » : or on peut lui faire plein de reproches… mais pas ceux-ci !), et ai posé la question à mon psy. Et sa réponse résonne encore à mes oreilles : Parce que votre film les confronte avec leurs propres compromis avec leur sexualité alors qu’elles ne vous ont rien demandé ! 
Et en effet, pendant les années qui ont suivi, je peux vous assurer que j’ai surveillé les unes des magazines : les premières sur la masturbation féminine sont arrivées… huit ans après seulement, en 2012.

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Sans doute en 2004 était-il encore trop tôt pour un certain nombre de personnes, pour parler aussi ouvertement et librement de masturbation…

Eh bien, je me demande si ce n’est pas la même chose avec la polyamorie, et si on n’a pas là, juste quelques années d’avance sur le « grand public » !

En gros, tant qu’on vit en monogamie hypocrite (tout le monde se dit monogame tandis qu’une grande majorité triche ou ferme les yeux)… tout va bien.

Mais quand la polyamorie commence à faire parler d’elle et à s’afficher dans les magazines grand public (comme Marie-France en janvier dernier), elle déplace les projecteurs sur le côté non-éthique et non-consensuel des relations monogames hypocrites.

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Et les gen·te·s n’ont pas nécessairement envie qu’on attire l’attention de leur conjoint·e sur leur éventuel désir “d’aller voir ailleurs”, ou de se confronter à l’idée que peut-être  leur conjoint·e a des relations extra-maritales. Petits Arrangements avec l’amour, pour reprendre le titre d’un livre de Lucy Vincent. 

Ielles ont peut-être envie de ne pas se confronter avec la réalité, parce que ça les arrange comme ça.
C’est le fameux Don’t ask, don’t tell.
Si je ne le sais pas, ça n’existe pas.
Je préfère ne pas savoir. 

Et quand certain·e·s parlent alors ouvertement de non-monogamie consensuelle et éthique – ce qu’est la polyamorie – en jouant la carte de l’honnêteté, en travaillant sur leurs émotions, leurs éventuelles difficultés relationnelles, leurs ombres, leurs insécurités… eh bien, c’est comme avec Tout le plaisir est pour moi : ça renvoie peut-être certain·e·s à leurs propres non-dits, arrangements et compromis alors que… ielles n’avaient rien demandé !

Cela fait-il sens pour vous ?
Hâte de lire vos commentaires.

Avec plaisir,
amour et bienveillance,
Isa

NB. Si vous souhaitez m’encourager à écrire mon livre sur la polyamorie et les relations positives et éthiques, vous pouvez :
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ÉTHIQUE RELATIONNELLE #12. À propos d’amour

Aujourd’hui plus que jamais, je m’interroge : qu’est-ce que l’amour ?

Comment sait-on qu’on est « amoureuxe » ? Comment cela se manifeste-t-il en nous ? Peut-on rester amoureuxe au-delà des « trois ans » mis en avant par Helen Fisher, anthropologue (Histoire naturelle de l’amour, Pourquoi nous aimons?) et rendus célèbres en France par Lucy Vincent (Comment devient-on amoureux ?) ?

L’idée à la base serait que la nature a « créé » l’amour pour pousser l’homme et la femme à procréer et rester ensemble tant que leur rejeton ne pourrait pas tenir seul sur ses deux pieds.

Sauf que… il s’agit clairement d’une vision hétéro-centrée de l’amour, et qui met d’emblée la femme en dépendance de l’homme (l’homme chargé d’assurer sa subsistance tandis qu’elle allaite leur enfant) et qui ne semble plus convenir à la réalité pratique de notre société moderne.
Et quand bien même : il ne s’agit là que des premiers mois de l’amour, donc, et en réalité, de ce qu’on désigne bien plus sûrement sous le terme de « passion amoureuse« .

Helen FisherLucy Vincent

Traditionnellement, on dit que l’amour « amoureux » – celui que l’on appelle l’amour « romantique » entre deux personnes – commence par une période que l’on peut rapporter à l’Eros des Grecs, cette période de limerence que dans les milieux poly, on désigne sous le nom de ENR : énergie de nouvelle relation, qui dure, dit-on – ceci étant appuyé par la biologie – entre quelques semaines et maximum 18 à 36 mois.

Passée cette première phase de passion amoureuse, on voit alors l’autre tel·le qu’ielle est et non plus tel·le que notre regard amoureux des premiers temps nous l’a fait voir : l’amour rend aveugle, dit le dicton, et ceci semble corroboré par la biologie. C’est là où, le plus souvent, « ça passe ou ça casse » : la plupart des relations ne dépassent pas ce stade des premières semaines ou mois.

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Si la relation continue, si l’amour-passion s’est enrichi au quotidien d’amitié, de respect, de partage et d’intimité, on parle alors d’amour Philia : c’est l’amour-intimité, l’amour-amitié, où l’on partage, où l’on se révèle à l’autre peu à peu et à tour de rôle, en réciprocité, comme le fait remarquer Michel Bozon dans Pratique de l’amour

On peut aimer quelqu’un très fort sans se sentir « amoureuxe » de cette personne, de même qu’on peut aimer quelqu’un·e sans avoir envie de lier sa vie à elle.

Car c’est là qu’intervient traditionnellement cette injonction sociétale à « faire couple » qui correspond à ce que l’on appelle l’escalator relationnel. Et qui, pour le coup, n’a plus grand-chose à voir avec la biologie, et tout avec les normes de la société (plus ou moins internalisées) dans laquelle on vit.

escalator_318-84529En effet, si deux personnes se plaisent, se fréquentent depuis un certain temps, la plupart des gens autour d’elles s’attendent à ce que leur relation franchisse l’échelon « supérieur » : qu’elles habitent ensemble, voire passent un contrat « officiel » (PACS ou mariage) et/ou fassent ou adoptent des enfants.
On parle alors d’engagement, selon la « théorie triangulaire de l’amour » développée par Robert Sternberg : les personnes partagent des valeurs communes, voire un projet de vie commun, et lient leur vie l’une à l’autre.

Cette théorie (après tout, ça n’en est qu’une parmi d’autres) applique à l’amour qui réunirait ces trois facettes – amour romantique, intimité et engagement – le terme de « accompli » (« consummate« ) : il s’agit bien ici encore et toujours du modèle dominant du couple monogame dans notre culture, présenté comme « supérieur » – dans le sens de « plus complet » – aux autres formes de relations.

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Or en réalité, aujourd’hui, force est de constater que ce modèle dominant, dans les faits, n’est guère compétitif : si tant est que l’on pose comme critère de réussite (car c’est encore souvent absurdement le cas) la durée ou la pérennité d’un couple, les taux d' »échec » sont retentissants.
Les statistiques des divorces sont impressionnantes, et le seraient bien plus encore si elles tenaient compte de toutes les unions libres, voire des couples qui se reconnaissent comme tels eux-mêmes, mais ne le sont pas par le recensement public, car non-cohabitant.

Or, malgré ces chiffres, malgré la réalité, comment se fait-il que l’on veuille encore y croire ?

Parce que quand on est amoureuxe, on est dopé·e aux hormones et, qu’en général, on est heureuxe. Et donc on a envie de se projeter dans l’avenir, et que ça dure longtemps.
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Et donc on continue à s’interroger (je continue à m’interroger !) : comment faut-il donc s’y prendre pour « faire durer l’amour » ?

D’où cette question première s’il en est : qu’est-ce que l’amour ?

Certain·es (Helen Fisher et Lucy Vincent en tête, donc) disent qu’il s’agit d’un phénomène biologique : les fameuses ocytocine et dopamine, et toutes ces endorphines qui nous font planer…
D’autres disent à l’inverse qu’il s’agit avant tout d’une construction sociale.

En réalité, on a changé de regard sur l’amour depuis quelques dizaines d’années.
La philosophe canadienne Carrie Jenkins vient de consacrer un ouvrage entier à l’amour, en s’interrogeant précisément sur cette question : l’amour est-il un fait biologique ou une construction sociale ?
Sa conclusion, sans grande surprise, est qu’il s’agit à la fois d’un fait biologique ET d’une construction sociale.

What Love Is

Là où son livre est puissant, en revanche, est dans sa déconstruction des schémas induits par notre pensée monogame traditionnelle, notamment des conclusions de Helen Fisher.
Que l’amour soit ocytocine et dopamine, certes : personne ne revient là-dessus ; de même que les IRM des cerveaux des personnes qui se disent amoureuses semblent assez parlants.

Sauf que… pourquoi Helen Fisher conclut-t-elle, par exemple, que l’ocytocine induit l’exclusivité, si ce n’est qu’elle lui fait dire ce qu’elle a envie de lui faire dire ?

Tout le livre de Carrie Jenkins tend à nous montrer que l’amour est aussi une construction sociale basée sur cette origine biologique de l’amour.

On ressent des papillons dans le ventre (si tant est qu’on ne soit pas aromantique), ce qui nous pousse à vouloir passer du temps avec une personne ; l’ocytocine que nous sécrétons alors favorise l’attachement entre nous : c’est un cercle vertueux ; et… là entrent en jeu la construction sociale et l’escalator relationnel, qui favorisent un certain type de relations plutôt qu’un autre.

Par exemple, il n’y a pas si longtemps, la vision « majoritaire » était que l’amour – le « véritable » amour – ne pouvait être qu’hétérosexuel : l’amour homosexuel était vu avec suspicion, on voulait croire qu’il s’agissait avant tout d’une attirance sexuelle (d’où ce terme de « homo-sexuel ? Pour le pathologiser ?)

C’est là où clairement, la légalisation un peu partout dans nos pays occidentaux du mariage entre personnes de même genre fait que désormais, l’amour homosexuel a acquis ses lettres de noblesse : on entend, on « accepte », que deux personnes du même genre peuvent être sincèrement amoureuses l’une de l’autre au point de vouloir lier leur vie l’une à l’autre sur le long terme.
Il ne viendrait plus à l’idée de qui que ce soit de remettre en cause le fait que c’est de l’amour.

baguesC’est en ce sens que l’on peut considérer l’amour aussi comme une construction sociale : en légalisant le mariage homo, la société dans son ensemble reconnaît que ce que ressentent les deux personnes qui se lient ainsi l’une à l’autre est tout aussi valide que ce que ressentent deux personnes hétéro – c’est ce qu’on reconnaît et appelle « l’amour ».

Selon Carrie Jenkins, l’amour est donc bien à la fois un fait biologique ce que je ressens : et je suis la seule personne légitime pour le définir ET une construction sociale : la forme que prennent mes relations est « reconnue » – ou non – par la société dans son ensemble.

Hâte de lire vos commentaires.

Au plaisir,
avec amour et bienveillance,
Isa

NB. Si vous souhaitez m’encourager à écrire mon livre sur la polyamorie et les relations positives et éthiques, vous pouvez :
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ÉTHIQUE RELATIONNELLE #5. Règles générales et Cas particuliers

Je parlais dans mon article #4 de la différence qu’on pouvait être amené·e à faire entre la morale d’un côté, l’éthique de l’autre – sachant que les deux mots ont en réalité exactement la même origine étymologique, l’une en latin, l’autre en grec : comportement, mœurs, et ce qui fait qu’un être vit « bien » dans un milieu donné à une époque donnée.

En simplifiant, la morale serait ce qui nous est « donné », par la société, la culture, transmis par les générations, ce qui est censé s’appliquer à tou·te·s et dans toutes les circonstances : les grandes « règles » universelles telles que « tu ne tueras point » ou  « tu ne voleras point » (car si on l’autorisait pour une seule personne, la société dans son entier ne pourrait pas fonctionner) ; et si on pousse la logique un peu plus loin : Ne fais pas à autrui ce que tu n’aimerais pas qu’on te fasse. 

Certes. Sauf que si – cas particulier – un parent n’a pas d’autre option sur le moment que de voler pour nourrir son enfant (sachant que par ailleurs, il ne met en danger la vie d’aucun autre enfant pour sauver le sien), qui songerait à le lui reprocher ?

Il y a donc bien d’un côté, les « règles générales » supposées s’appliquer et nous guider dans tous les cas… et de l’autre, des cas particuliers : d’où les questionnements sur « l’éthique ».

Qu’est-il « éthique » de faire ou pas ? Comment faire « au mieux », tant que ça ne fait de mal – ou le moins possible – à personne d’autre ?

C’est le fameux précepte : Ma liberté s’arrête là où commence celle de l’autre.
Cf l’article 4 de la  Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, adaptée à la mixité en 2015 Déclaration des Droits humains : 

« La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque être humain n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. »

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C’est en ce sens, et au nom de la liberté intrinsèque, absolue et inaliénable de chaque être humain à disposer de sa vie tant qu’ielle ne nuit pas à autrui, qu’une « norme » en termes de relations privées et intimes qui, au nom d’une certaine « morale », et sous prétexte qu’elle correspond à de nombreuses personnes, voire peut-être même à la majorité – et tant mieux pour elles – prétendrait s’appliquer à tou·te·s… me semble discutable.

Autrement dit, je réclame le droit pour chacun·e à dessiner pour soi des relations sur-mesure, qui lui conviennent, et non suivant des injonctions à un prétendu « prêt-à-porter ».

Je fais bien sûr ici référence à ce que les Anglo-Saxon·nes appellent l’escalator relationnel, que je choisis de « traduire » par « ascenseur relationnel » (car « escalator » est vraiment trop moche en français et escalier mécanique, euh… comment dire ?) : cf ce livre passionnant et inspirant de Amy Gahran, journaliste canadienne, sorti tout récemment, qui montre la réalité pratique de la myriade de modes relationnels possibles. 

Off the EscalatorL’idée, c’est que dans nos sociétés et notre culture, on se construit souvent avec des idées toutes faites – qui peuvent rapidement se transformer, si on n’y fait pas attention, en injonctions normatives – sur ce qu’est – ou doit être – une relation « réussie ».
En gros : on se rencontre, on se plaît, on tombe amoureuxe, on « sort » ensemble, on fait des projets, on s’installe ensemble, (on fait des enfants), on passe toute sa vie ensemble, jusqu’à ce que l’un·e des deux meurt.

Autrement dit, la « norme » de l’escalator relationnel nous dit qu’une « vraie » relation réussie, c’est :

  • un couple hétéro (je parle de « couple » au sens de : relation entre deux personnes, comme en physique ou en mécanique)
  • qui vit ensemble
  • fait des enfants
  • et reste ensemble jusqu’à ce que l’un·e des deux meurt
  • en étant exclusifve l’un·e envers l’autre toute leur vie.

(Walt Disney, quoi !).

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Sauf que… ça fait quand même un moment que c’est acquis que ça ne « marche » pas comme ça dans la vraie vie, non ? Prenons les « normes » une à une :

  • les couples homo sont aujourd’hui autant reconnus et légitimes que les couples hétéro ;
  • il y a de plus en plus de couples non-cohabitants, ou de couples « longue distance » ;
  • grâce à la contraception, on peut choisir – ou non – de faire des enfants ; et il ne viendrait à l’idée de personne de ne pas reconnaître comme légitime, par exemple, une union de deux personnes en « famille recomposée » ;
  • avec la multiplication des divorces et des séparations, la plupart des gen·te·s vivent aujourd’hui ce qu’on appelle des « monogamies sérielles » : des unions monogames (contractualisées légalement ou non) les unes derrière les autres.

La seule « norme » qui tienne encore serait donc celle de l’exclusivité ?

On entend en effet encore dire ici et là :  le « vrai » amour ne peut être qu’exclusif ; si on va voir ailleurs, c’est que quelque chose ne va pas dans son couple ; on ne peut aimer qu’une personne à la fois.

En réalité, il ne s’agit ici que de généralités et de croyances héritées des générations précédentes : la fameuse « morale » générale, censée s’appliquer à tou·te·s sous prétexte que ça correspond à la réalité que vivent certaines personnes – voire la majorité.
Il n’y a pas si longtemps – c’est malheureusement encore le cas dans certains pays – certain·e·s ne « croyaient » pas en un amour possible entre deux personnes du même genre.

J’ai vu il y a peu une émission de télé hilarante (ou effarante : c’est selon !) sur la bisexualité : un jeune homme prétendait mordicus que la bisexualité qu’assumaient un homme et une femme en face de lui n’était qu’illusion de leur part, et qu’en réalité, ielles « n’assumaient pas » leur homosexualité. Les deux personnes avaient beau lui dire : « La bisexualité existe puisque je suis là, je n’aurais aucun mal à assumer mon homosexualité si tel était le cas, sauf qu’en réalité je suis bisexuel·le et je l’assume« , il n’en démordait pas.

Autrement dit, il prétendait savoir mieux qu’elleux-mêmes ce qu’ielles ressentaient !
C’est intéressant, et instructif : comment qui que ce soit peut-ielle prétendre savoir ce qu’il se passe dans la tête, le corps ou le cœur de quelqu’un·e d’autre ?

En réalité, vouloir imposer aux autres ce qui nous convient à nous-mêmes, sous prétexte qu’on « sait mieux » qu’elleux ce qui serait supposément bon pour elleux… n’est-il pas tout aussi « fou » ?
C'est pour ton bien

Et si on remplaçait la notion de « norme » par celle de « majorité » ?
Quand on dit d’une situation qu’elle est « normale » alors qu’en réalité, elle est juste « majoritaire », est-ce qu’en poussant le bouchon un peu plus loin, on ne projette pas que celleux qui ne se conformeraient pas à cette situation seraient « anormaux·les » ?

Et si on reconnaissait que le « modèle » du couple hétéro-mono-pour-la-vie hérité des générations qui nous ont précédé·e·s – parce que c’est ce qui marchait le mieux pour la majorité des gen·te·s à ce moment-là de leur histoire – n’est en réalité rien d’autre qu’un « mode » possible de relations… parmi d’autres qui existent déjà dans les faits aujourd’hui ?

Mon credo personnel est tout simplement qu’il n’y a pas de “règles” qui puissent s’appliquer à tou.te.s en termes de relations.  Et que les seules « règles » légitimes sont celles de l’éthique, à la fois générale, et en particulier : que chacun·e est libre aujourd’hui de dessiner pour soi-même les relations sur-mesure qui lui conviennent, tant qu’ielle ne nuit pas à autrui.

Autrement dit, quand j’entre en relation avec une personne, je m’engage à la respecter et à tenir compte de ses émotions, de ses sentiments, de ses besoins. De même que j’attends d’elle qu’elle respecte mes émotions, mes sentiments, mes besoins.
Ma liberté s’arrête là où commence celle de l’autre. Primum non nocere. 

En réalité, chacun·e fait du mieux qu’ielle peut, en fonction de qui ielle est et de qui est l’autre. Si la “norme” du couple hétéro-mono-pour-la-vie convient à certain·e·s : grand bien leur fasse. Mais pour les autres, je demande :  accueil, tolérance, bienveillance !

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Au plaisir,
avec amour et bienveillance,
Isabelle

 

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