ÉTHIQUE RELATIONNELLE #5. Règles générales et Cas particuliers

Je parlais dans mon article #4 de la différence qu’on pouvait être amené·e à faire entre la morale d’un côté, l’éthique de l’autre – sachant que les deux mots ont en réalité exactement la même origine étymologique, l’une en latin, l’autre en grec : comportement, mœurs, et ce qui fait qu’un être vit « bien » dans un milieu donné à une époque donnée.

En simplifiant, la morale serait ce qui nous est « donné », par la société, la culture, transmis par les générations, ce qui est censé s’appliquer à tou·te·s et dans toutes les circonstances : les grandes « règles » universelles telles que « tu ne tueras point » ou  « tu ne voleras point » (car si on l’autorisait pour une seule personne, la société dans son entier ne pourrait pas fonctionner) ; et si on pousse la logique un peu plus loin : Ne fais pas à autrui ce que tu n’aimerais pas qu’on te fasse. 

Certes. Sauf que si – cas particulier – un parent n’a pas d’autre option sur le moment que de voler pour nourrir son enfant (sachant que par ailleurs, il ne met en danger la vie d’aucun autre enfant pour sauver le sien), qui songerait à le lui reprocher ?

Il y a donc bien d’un côté, les « règles générales » supposées s’appliquer et nous guider dans tous les cas… et de l’autre, des cas particuliers : d’où les questionnements sur « l’éthique ».

Qu’est-il « éthique » de faire ou pas ? Comment faire « au mieux », tant que ça ne fait de mal – ou le moins possible – à personne d’autre ?

C’est le fameux précepte : Ma liberté s’arrête là où commence celle de l’autre.
Cf l’article 4 de la  Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, adaptée à la mixité en 2015 Déclaration des Droits humains : 

« La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque être humain n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. »

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C’est en ce sens, et au nom de la liberté intrinsèque, absolue et inaliénable de chaque être humain à disposer de sa vie tant qu’ielle ne nuit pas à autrui, qu’une « norme » en termes de relations privées et intimes qui, au nom d’une certaine « morale », et sous prétexte qu’elle correspond à de nombreuses personnes, voire peut-être même à la majorité – et tant mieux pour elles – prétendrait s’appliquer à tou·te·s… me semble discutable.

Autrement dit, je réclame le droit pour chacun·e à dessiner pour soi des relations sur-mesure, qui lui conviennent, et non suivant des injonctions à un prétendu « prêt-à-porter ».

Je fais bien sûr ici référence à ce que les Anglo-Saxon·nes appellent l’escalator relationnel, que je choisis de « traduire » par « ascenseur relationnel » (car « escalator » est vraiment trop moche en français et escalier mécanique, euh… comment dire ?) : cf ce livre passionnant et inspirant de Amy Gahran, journaliste canadienne, sorti tout récemment, qui montre la réalité pratique de la myriade de modes relationnels possibles. 

Off the EscalatorL’idée, c’est que dans nos sociétés et notre culture, on se construit souvent avec des idées toutes faites – qui peuvent rapidement se transformer, si on n’y fait pas attention, en injonctions normatives – sur ce qu’est – ou doit être – une relation « réussie ».
En gros : on se rencontre, on se plaît, on tombe amoureuxe, on « sort » ensemble, on fait des projets, on s’installe ensemble, (on fait des enfants), on passe toute sa vie ensemble, jusqu’à ce que l’un·e des deux meurt.

Autrement dit, la « norme » de l’escalator relationnel nous dit qu’une « vraie » relation réussie, c’est :

  • un couple hétéro (je parle de « couple » au sens de : relation entre deux personnes, comme en physique ou en mécanique)
  • qui vit ensemble
  • fait des enfants
  • et reste ensemble jusqu’à ce que l’un·e des deux meurt
  • en étant exclusifve l’un·e envers l’autre toute leur vie.

(Walt Disney, quoi !).

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Sauf que… ça fait quand même un moment que c’est acquis que ça ne « marche » pas comme ça dans la vraie vie, non ? Prenons les « normes » une à une :

  • les couples homo sont aujourd’hui autant reconnus et légitimes que les couples hétéro ;
  • il y a de plus en plus de couples non-cohabitants, ou de couples « longue distance » ;
  • grâce à la contraception, on peut choisir – ou non – de faire des enfants ; et il ne viendrait à l’idée de personne de ne pas reconnaître comme légitime, par exemple, une union de deux personnes en « famille recomposée » ;
  • avec la multiplication des divorces et des séparations, la plupart des gen·te·s vivent aujourd’hui ce qu’on appelle des « monogamies sérielles » : des unions monogames (contractualisées légalement ou non) les unes derrière les autres.

La seule « norme » qui tienne encore serait donc celle de l’exclusivité ?

On entend en effet encore dire ici et là :  le « vrai » amour ne peut être qu’exclusif ; si on va voir ailleurs, c’est que quelque chose ne va pas dans son couple ; on ne peut aimer qu’une personne à la fois.

En réalité, il ne s’agit ici que de généralités et de croyances héritées des générations précédentes : la fameuse « morale » générale, censée s’appliquer à tou·te·s sous prétexte que ça correspond à la réalité que vivent certaines personnes – voire la majorité.
Il n’y a pas si longtemps – c’est malheureusement encore le cas dans certains pays – certain·e·s ne « croyaient » pas en un amour possible entre deux personnes du même genre.

J’ai vu il y a peu une émission de télé hilarante (ou effarante : c’est selon !) sur la bisexualité : un jeune homme prétendait mordicus que la bisexualité qu’assumaient un homme et une femme en face de lui n’était qu’illusion de leur part, et qu’en réalité, ielles « n’assumaient pas » leur homosexualité. Les deux personnes avaient beau lui dire : « La bisexualité existe puisque je suis là, je n’aurais aucun mal à assumer mon homosexualité si tel était le cas, sauf qu’en réalité je suis bisexuel·le et je l’assume« , il n’en démordait pas.

Autrement dit, il prétendait savoir mieux qu’elleux-mêmes ce qu’ielles ressentaient !
C’est intéressant, et instructif : comment qui que ce soit peut-ielle prétendre savoir ce qu’il se passe dans la tête, le corps ou le cœur de quelqu’un·e d’autre ?

En réalité, vouloir imposer aux autres ce qui nous convient à nous-mêmes, sous prétexte qu’on « sait mieux » qu’elleux ce qui serait supposément bon pour elleux… n’est-il pas tout aussi « fou » ?
C'est pour ton bien

Et si on remplaçait la notion de « norme » par celle de « majorité » ?
Quand on dit d’une situation qu’elle est « normale » alors qu’en réalité, elle est juste « majoritaire », est-ce qu’en poussant le bouchon un peu plus loin, on ne projette pas que celleux qui ne se conformeraient pas à cette situation seraient « anormaux·les » ?

Et si on reconnaissait que le « modèle » du couple hétéro-mono-pour-la-vie hérité des générations qui nous ont précédé·e·s – parce que c’est ce qui marchait le mieux pour la majorité des gen·te·s à ce moment-là de leur histoire – n’est en réalité rien d’autre qu’un « mode » possible de relations… parmi d’autres qui existent déjà dans les faits aujourd’hui ?

Mon credo personnel est tout simplement qu’il n’y a pas de “règles” qui puissent s’appliquer à tou.te.s en termes de relations.  Et que les seules « règles » légitimes sont celles de l’éthique, à la fois générale, et en particulier : que chacun·e est libre aujourd’hui de dessiner pour soi-même les relations sur-mesure qui lui conviennent, tant qu’ielle ne nuit pas à autrui.

Autrement dit, quand j’entre en relation avec une personne, je m’engage à la respecter et à tenir compte de ses émotions, de ses sentiments, de ses besoins. De même que j’attends d’elle qu’elle respecte mes émotions, mes sentiments, mes besoins.
Ma liberté s’arrête là où commence celle de l’autre. Primum non nocere. 

En réalité, chacun·e fait du mieux qu’ielle peut, en fonction de qui ielle est et de qui est l’autre. Si la “norme” du couple hétéro-mono-pour-la-vie convient à certain·e·s : grand bien leur fasse. Mais pour les autres, je demande :  accueil, tolérance, bienveillance !

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Au plaisir,
avec amour et bienveillance,
Isabelle

 

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3 réflexions sur « ÉTHIQUE RELATIONNELLE #5. Règles générales et Cas particuliers »

  1. Je ne crois pas que le modèle du couple unique pour la vie était le modèle majoritaire car c’était celui qui marchait le mieux.

    Avant on ne se mariait pas par amour. C’est assez récent comme concept généralisé.

    La vie en couple était assez courte car on mourrait beaucoup plus tôt.

    Cela ne se faisait pas de divorcer et de toute façon, les femmes souvent ne pouvaient pas partir n’étant pas indépendantes financièrement.

    Pour moi, ce modèle est hérité du patriarcat qui permet aux hommes d’être sûrs qu’ils sont les pères de leurs enfants.

    • Je suis tout à fait d’accord avec les remarques de Chloé, qui, à mon avis, viennent très bien compléter l’article.

      Concernant le mariage, il s’agissait surtout de raisons financières, et concernant la paternité, de questions d’héritage. Eh oui, encore l’argent, il ne faut pas oublier que le mariage est un « contrat » (dont il n’est pas toujours facile de se désengager, j’en sais quelque chose !).

    • Oui oui oui, bien sûr : le mariage d’amour est venu s’inscrire après des générations de mariages arrangés pour de toutes autres raisons que l’amour, et j’ai fait ici un raccourci parce que ce n’était pas l’objet de mon article de revenir sur l’histoire du mariage, mais au contraire, de dire qu’aujourd’hui, il était temps de reconnaître que ces formes héritées de « contrat » entre deux personnes pour la vie entière… n’étaient peut-être plus adaptées à notre société…
      Merci à tou·te·s les deux d’avoir été vigilant·e·s et d’être revenu·e·s sur un point d’histoire !

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