Voyage en Polyamorie #10. 8a. Remonter à la surface

Alors voilà, c’est la crise : le ventre de la baleine, le cœur de la tempête, l’œil du cyclone, le  fond de la caverne – ou du gouffre.

On est parti.e.s confiant.e.s et plein.e.s d’espoir (bien qu’avec aussi quelques appréhensions), on a quitté les rives sécurisantes de la monogamie érigée en norme sociétale et culturelle (#2), on a vu le monde avec des yeux nouveaux (#3) et on a choisi de suivre notre petite voix intérieure qui nous disait qu’on avait envie d’essayer autre chose, de vivre autrement (#4). On s’est préparé.e, on a lu, discuté (#5) et on s’est lancé.e dans l’aventure (#6). Bien sûr, on savait qu’en naviguant sur des eaux inconnues (#7), on allait rencontrer des obstacles, aussi bien internes (faire face au monstre vert de la jalousie, qui nous renvoie à nos insécurités) qu’externes (le jugement et les a priori des autres) (#8), qu’on allait devoir travailler sur nous-mêmes… Mais on ne s’attendait pas à d’aussi grandes difficultés et au ventre de la baleine (#9).

[NB. Bien sûr, il y en a pour lesquel.le.s tout se passe plus en douceur, et tant mieux : je vous invite à lire les articles de mon amie Elisende Coladan, anthropologue et sexothérapeute, qui publie dans les commentaires sous chacun de mes articles, car son voyage est bien différent du mien. J’ai, moi, précisément choisi d’écrire pour les cas où c’est douloureux, et où on peut en arriver à se dire qu’on s’est trompé.e, que finalement c’était une mauvaise idée, voire qu’on souhaite renoncer au voyage.]

Une fois qu’on est parti.e, cependant, il est parfois difficile de « revenir en arrière »…  Et de toute façon, le « monde ordinaire » qu’on a choisi de quitter ne sera plus jamais le même. Sans compter bien sûr qu’en général, on n’est pas non plus tout.e seul.e dans ce voyage…
Et puis… renoncer ? Non, parfois, c’est vraiment important, on sait que c’est là qu’on veut aller, on ne croit pas / plus à la monogamie et au monde de l’hypocrisie, on a besoin de relations nouvelles, honnêtes, en conscience. On veut y arriver.

Souvent, ce qu’on découvre au fond de la caverne, c’est… soi-même. Le voyage en Polyamorie nous invite à nous regarder en face, et à décider en conscience, ce que l’on souhaite de la vie et des relations.

Et c’est là, que fort.e de cette nouvelle résolution et de ce désir profond, on accepte qu’on ne peut pas toujours tout faire tout.e seul.e et que parfois – souvent, toujours – on a besoin d’aide. C’est en forgeant qu’on devient forgeron, en élevant ses enfants qu’on apprend à être parent, en faisant qu’on apprend à faire, en vivant en Polyamorie qu’on devient poly. L’amour, les relations amoureuses, ça s’apprend.

Dans les livres, dans les films, on nous raconte souvent la rencontre amoureuse, le moment où deux personnes « tombent » amoureuses. C’est l’amour des débuts, l’amour souvent passionnel, parfois fusionnel, la passion (Françoise Simpère dans  LUTINE, dit de la passion : « C‘est une pathologie de l’amour, qui heureusement se guérit, et passe  » !) C’est le éros grec des débuts. Or l’amour, l’amour durable, se construit dans la durée, précisément.
L’amour, si on reprend la définition qu’en donne Barbara Fredrickson dans Love 2.0 et qui me parle particulièrement, est un moment d’émotion positive partagée entre deux (ou plusieurs) personnes. Et le « sentiment d’amour » dans une relation (la philia grecque, l’intimité, cet amour mutuel où l’on se veut du bien, le même entre deux ami.e.s) se construit à partir de tous ces petits moments d’émotions positives partagées, jour après jour.
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L’amour, les relations, l’art des relations, c’est comme tout, ça n’est pas donné, pas inné, ça s’apprend, ça se transmet, ça se partage. Certain.e.s sont plus ou moins « doué.e.s » dès le départ, ils ont eu des débuts dans la vie plus heureux, ont connu un attachement sécure à leur(s) parent(s) ou à leur figure de référence, D’autres, nombreux/ses, ont malheureusement plutôt un attachement insécure (anxieux, évitant ou désorganisé), et pour celleux-ci, c’est plus compliqué de faire confiance, et de lâcher prise dans la relation amoureuse.

La bonne nouvelle, et ce que nous apprennent depuis peu les neuro-sciences, c’est que le cerveau est malléable, toute la vie. Qu’on peut avoir connu un attachement insécure, et évoluer vers un attachement sécure.

Et ce qui est sûr, c’est que la polyamorie nous invite à un travail sur nous-même, à regarder en face nos modes de fonctionnement et nos réactions « automatiques », qui sont parfois de fuite ou d’attaque quand on se sent – ou qu’on se croit – en danger et qu’une situation réveille en nous le souvenir (souvent inconscient, mais le corps, lui, se souvient) d’une situation antérieure douloureuse.

Parfois, la polyamorie peut en effet nous confronter à des situations où on se sent en totale panique ou angoisse, et où on n’a alors plus qu’une seule envie : que ça s’arrête.   Et la réaction que l’on nous a apprise, depuis toujours, c’est d’en accuser l’autre : si je souffre, là, c’est parce que l’autre a fait quelque chose. Sauf que non, ce n’est pas comme cela que ça marche.

C’est là, alors, qu’il faut nous armer de patience et d’indulgence, et d’abord envers nous-même. Avancer pas à pas. Avec empathie, compassion et bienveillance. Commencer par repérer, prendre conscience de nos fonctionnements. Puis dés-apprendre nos réactions automatiques, dé-construire, pour re-construire, autrement. De manière plus sécure.

Alors évidemment, il est souvent difficile de s’aventurer seul.e dans ce terrain inconnu, où l’on peut parfois être rattrapé.e par des émotions d’une violence telle que l’on en est le/la premier.e surpris.e.

Quand on est en couple, et qu’on voit l’autre être bouleversé.e par de telles émotions, ça peut être tout aussi secouant. On peut (réaction apprise) se sentir coupable, proposer soi-même de repartir en arrière.

C’est là que l’aide et le soutien d’une communauté prend toute son importance. Voir, savoir, lire, entendre… que d’autres sont passé.e.s par là avant, et qu’il est possible de s’en sortir. Possible d’avancer, de progresser, de trouver un chemin vers la lumière.

Et cette communauté peut vous donner des outils, des pistes, des lectures. Les jours prochains seront consacrés à quelques-uns de ces outils de développement personnel pour des relations plus harmonieuses avec nous-même et les autres.

Aujourd’hui, je veux vous parler de cette communauté poly, qui désormais, existe.
L’intérêt d’avoir un mot commun (polyamour ou polyamorie dans les pays francophones, polyamory dans les pays anglophones), bien que par ailleurs on parle donc aussi de relations plurielles, ou multiples, ou non-exclusives, consensuelles et éthiques, est bien de créer ce vocabulaire commun, avec ces concepts communs, et des outils.

Si vous habitez un hameau dans la campagne, vous avez malgré tout Internet (sinon ne seriez pas en train de lire ce blog). Et donc accès à toutes sortes d’informations, et de blogs, sites, forum. Vous n’êtes pas seul.e.
Si vous tapez « aimer plusieurs personnes » sur un moteur de recherche, par exemple, vous allez très vite arriver sur les livres de Françoise Simpère, qui ont aidé tant d’entre nous, et très vite sur ce nouveau mot, qu’on entend cependant de plus en plus dans les médias : polyamour.
Et alors, très vite, vous tomberez sur le site polyamour.info. Qui est une mine d’infos, précisément, et notamment pour les événements : tous les cafés, goûters, pique-niques, groupes de parole… y sont répertoriés.
Vous pouvez vous inscrire à la newsletter, et recevoir chaque mois les infos et la liste des différents événements.
Vous pouvez aller poser une question, de manière anonyme si vous le souhaitez, sur le forum.
C’est un forum, donc parfois des gens prennent l’initiative de répondre… d’une manière qui leur appartient. Mais le site est « modéré », de façon très sérieuse. Les modérateurs sont compétents, consciencieux, présents. Et communiquent entre eux.

Parallèlement au forum de polyamour.info, vous pouvez demander à rejoindre l’un des nombreux groupes sur Facebook : polyamour ou polyamour Paris, ou Poly Lyon… et tant d’autres. Là aussi, les groupes sont modérés.

NB : si, suite à l’un de vos posts, vous êtes contacté.e par quelqu’un.e en MP (message privé) qui vous dérange, n’hésitez pas à le signaler aux modérateurs ! Le groupe polyamour sur Facebook n’est pas un site de rencontres ni de drague ! Il y a d’autres espaces pour cela. C’est en étant chacun.e de nous vigilant.e et en osant dénoncer les comportements non éthiques, que l’on créera petit à petit un espace safe autour de nous.

Au-delà d’Internet, il y a donc nombre de rencontres dans la vraie vie : cafés poly (on y parle de polyamorie), goûters poly, pique-nique poly, soirées Poly Pop In à Paris une fois par trimestre, groupes de parole et de soutien.

Et la communauté est internationale ! Mon film LUTINE m’a permis de m’en rendre compte et de vivre des moments très forts avec les communautés poly locales à Rome, Lisbonne ou San Francisco. Et ce n’est pas fini. Je suis en contact avec les communautés poly à Barcelone, Milan, Vienne, New York, Montréal, Varsovie…

Réaliser que dans tous ces pays, où l’on parle des langues si différentes, ce sont les mêmes outils que les gens ont développés pour apprendre à vivre en Polyamorie… est très émouvant.

Si vous choisissez de vous engager en Polyamorie… ne restez pas seul.e. Rencontrez d’autres gens qui, comme vous, ont fait ce même choix et ont peut-être défriché quelques chemins embourbés avant vous : ils auront des « trucs » à vous transmettre, soyez-en sûr.e. Et ielles seront heureux.ses de partager avec vous. Car eux/elles-mêmes auparavant ont été aidé.e.s par d’autres. L’information circule, libre, gratuite, désintéressée. Et rien que pour ça, déjà, ça fait chaud au cœur d’intégrer une communauté poly, de gens a priori bienveillants, tolérants, ouverts, accueillants.

Et vous, où en êtes-vous ? Êtes-vous déjà en contact avec d’autres « poly » ? Avez-vous connaissance d’événements près de chez vous ? S’il n’en existe pas… vous pouvez les créer, et créer autour de vous la communauté dont vous avez envie et besoin. Sans doute d’autres autour de vous n’attendent que ça et seront ravi.e.s de vous rejoindre. Au plaisir de lire vos témoignages dans les commentaires ci-dessous : l’espace vous y est réservé.

À demain pour de nouvelles aventures en Polyamorie,
avec amour et bienveillance,
Isabelle

2 réflexions sur « Voyage en Polyamorie #10. 8a. Remonter à la surface »

  1. Voyage en Polyamorie #10 – Les bonbons empoisonnés

    La carte du tirage de tarot est L’EMPEREUR. J’y vois un homme qui domine et cette carte symbolise pour moi le patriarcat. Dans le tarot, il symbolise ce qui est stable, solide, durable. Ainsi que de l’autorité et du pouvoir. C’est également la carte de la réalisation des projets qui arrivent à leur concrétisation.

    Isa parle de ceux.celles pour qui tout se passe en douceur en parlant de moi. Mais ce n’a vraiment pas été le cas. Ce n’est pas parce qu’aujourd’hui j’ai surmonté bien des épreuves et que je me sens très sereine, que tout s’est passé calmement. Loin de là !
    Entre 34 et 48 ans, j’ai vécu seule avec mes deux filles en Amérique Centrale et ce serait mentir que de dire que ma vie était facile. Que je pouvais vivre librement mes choix de vie. Une des raisons pour lesquelles je suis rentrée en France, c’est parce que je voulais enfin vivre ma vie affective et sexuelle plus librement. Comme je l’ai déjà expliqué, pendant des années, j’ai vécu pratiquement toutes mes relations dans le secret et cela a fini par devenir usant. L’impression de vivre des vies parallèles qui ne peuvent jamais se croiser. D’avoir à montrer en société une image qui donne le change, dans le but d’éviter toute stigmatisation ou remarque, tout en sentant que les critiques, les remarques et les suppositions allaient bon train dans mon dos.
    Cela était présent aussi dans la vie de tous les jours, comme par exemple le fait que je ne pouvais pas me promener seule hors des zones urbaines. Heureusement, j’avais une chienne berger allemand qui m’accompagnait dans mes promenades. Mais même ainsi, je n’ai jamais fait de balade sans me faire aborder, même si rapidement ils battaient en retraite face aux grognements de ma chienne. Une des premières choses que j’ai appréciées en arrivant en France, c’est le fait de pouvoir aller partout tranquillement toute seule. J’ai eu un sentiment de liberté que je n’avais plus vraiment connu pendant presque 15 ans !
    Evidemment, on s’habitue à tout et j’ai vraiment fait beaucoup de choses en tant que femme seule, comme voyager un peu partout en Amérique Latine. J’avais une technique : je demandais à un chauffeur de taxi de m’accompagner partout où j’allais et ainsi j’étais tranquille. Il n’est jamais arrivé qu’un, abuse de ma confiance. Je demandais qu’on m’en recommande un à l’hôtel ou je logeais, ou bien je suivais mon intuition et en « choisissait » un à la sortie de l’aéroport. Il est arrivé également que des amis d’amis, ou dans les Alliance Française, les ambassades, on me conseille quelqu’un de confiance. J’ai également le souvenir d’avoir traversé l’Amérique Centrale en voiture, avec mes filles et le chauffeur des services culturels. L’attaché culturel de l’époque n’avait pas voulu me laisser partir toute seule. Il avait donc demandé à son chauffeur de m’accompagner, à condition que je couvre tous ses frais de voyage ainsi que son voyage retour. Il va s’en dire que tout cela m’a toujours valu des frais supplémentaires alors que j’avais un salaire local peu important… C’est dans ces instants que j’ai très fortement ressenti combien certaines sociétés sont vraiment peu sûres pour les femmes.

    Alors, il est possible de dire, oui mais cela c’est en Amérique Latine, pas chez nous… Depuis huit ans que je suis rentrée en France, je pense que c’est bien plus insidieux, mais bien réel. Dans ce sens, c’est tout aussi grave (voire plus), car il y a une apparente égalité, qui n’en est rien dans les faits.

    En tant que sexothérapeute, j’ai imaginé un atelier qui s’appelle « Les Bonbons empoisonnés ». En gros, il s’agit d’exprimer toutes les phrases ou situations qui ont marqué notre vie, depuis notre plus petite enfance, donc parle Isa dans son texte précédent, et ensuite les mettre en commun, puis faire un exercice pour les éliminer.
    J’en ai eu mon lot, avec ma « préférée » : Quand tu vas refaire ta vie ?, ce qui en ce qui me concerne est assez risible, puisque je change régulièrement de profession, de pays, d’ami.e.s et donc également de partenaires, tout en gardant un lien fort.
    Ce n’est pas parce que j’ai quitté un pays, que je ne pense pas y retourner ou que je n’y retourne pas. Je continue à y avoir des ami.e.s (et Internet facilite vraiment la pérennité des liens) que je retrouve parfois au gré de nos voyages respectifs. Mes professions successives, même si elles peuvent paraître très différentes, me nourrissent et m’apportent de précieuses expériences que je peux appliquer à ce que je fais aujourd’hui. Lorsqu’il y a eu des ruptures « définitives » avec mes partenaires, c’est de leur fait, car j’aime garder contact et si possible un lien avec mes ex.
    Là aussi, j’y vois l’empreinte d’un fonctionnement social distillé par les romans, les films, les séries, dans lesquels une rupture doit être faite de déchirements, d’un travail de deuil et d’une distanciation obligatoires. Cela doit être le cas dans des situations de relations toxiques, mais s’il s’agit juste d’un fait que nous prenons d’autres chemins de vie, que ce que nous avions partagé ne nous convient plus, tout comme cela arrive avec nos ami.e.s, il est possible et tellement agréable de garder un lien.

    En faisant l’atelier des « bonbons », j’ai constaté ce que je savais déjà : ces petites phrases ou mots proviennent, le plus souvent, des personnes qui nous sont les plus proches et qui ont le plus d’influence sur notre vie. Elles sont terriblement pernicieuses car, même si nous les rejetons, elles finissent quand même par nous imprégner. J’y vois dans ce cas-là, un parallèle avec les abus sexuels et explique ainsi le titre de l’atelier.
    Il est enfin admis actuellement que la majorité des abus sexuels ne proviennent pas de personnes étrangères à l’entourage de la victime. Bien au contraire, elles vont souvent partie de son cercle familial, amical ou de voisinage (je recommande vraiment la lecture du blog de Muriel Salmona). Pourtant, enfants, nous avons pratiquement toute.s entendu qu’il ne faut pas accepter de bonbons des personnes inconnues, car elles pourraient nous endormir, nous kidnapper et abuser de nous.

    Beaucoup de ces bonbons empoissonnés sont les fruits du patriarcat et pèsent lourdement sur nos épaules. Je reviendrai probablement sur le sujet au cours de ce voyage, mais dans ce texte, je souhaite exprimer le fait qu’ils imprègnent également les milieux « poly ».
    J’ai déjà mentionné ici que j’ai fait quelques (très rares) expériences de cafés ou goûters poly à Paris et que je n’en ai pas apprécié l’ambiance. Il en a été de même des groupes Facebook dont j’ai fait partie. Il s’agit bien évidemment de mon vécu et je ne souhaite pas porter de jugement ou de critique. Je vais expliquer ce que j’y ai vécu et les raisons qui font que j’apprécie bien plus l’ambiance des groupes catalans et valenciens en Espagne.

    Se sentir appuyé.e par une communauté lorsqu’on décide de franchir le pas (comme Isa) ou d’affirmer sa manière de vivre les relations (comme moi) me semble très important. Ce devrait être un soutien et une source d’équilibre. C’est donc pour cette raison que, après avoir lu Aimer plusieurs hommes de Françoise Simpère et avoir fait des recherches sur le Net, je suis allée dans des cafés/goûters poly parisiens mais malheureusement pour moi, je ne m’y suis pas sentie bien.
    Les expériences que j’ai eues dans les groupes Facebook ont été encore pires. Je me suis d’abord inscrite dans le groupe public Polyamour. Dans un premier temps, je m’y suis sentie très bien : enfin je pouvais parler de ce que je vivais, de qui j’étais, de comment je fonctionnais, avec d’autres personnes qui pensaient comme moi. Ça a été un vrai bonheur de courte durée.
    J’ai d’abord été contactée en MP par des hommes me proposant des rencontres purement sexuelles et souvent dans le BDSM. Puis un jour, j’ai décidé de faire part sur le groupe d’une idée que j’avais en tête : créer un groupe de parole sur la polyamorie ouvert uniquement aux femmes (que j’ai réalisé ensuite dans mes ateliers sur la sexualité fénimine, ouverts exclusivement aux femmes, et des espaces de parole qui seront alternativement ouverts qu’aux femmes et mixtes, à partir de septembre). J’en ai ressenti le besoin car je trouvais que les hommes étaient prépondérants dans le groupe, parce que j’allais dans des cercles de femmes et je constatais combien la parole y était beaucoup plus libre, qu’en présence d’hommes.
    Ma proposition a été suivie de plusieurs jours de discussions, parfois très agressives de la part de beaucoup d’hommes et de rares femmes. Il m’était reproché le simple fait d’envisager d’ouvrir un espace non mixte. J’ai essayé de répondre calmement, en argumentant simplement, mais les attaques ont souvent été violentes, au point de lire des commentaires où j’étais accusée de nazi ! J’ai appris par la suite l’existence du terme de feminazi utilisé par les anti-féministes et masculinistes… J’ai écrit en MP à un des modérateurs, qui ne m’a pas vraiment aidée, et j’ai donc décidé de quitter ce groupe, pour ma propre tranquillité et sécurité. Je sais que suite à cela, il a été demandé à une femme d’être modératrice et que cela est encore le cas actuellement. J’espère que le groupe est devenu plus « safe »…

    J’ai fait également l’expérience d’un groupe de « rencontres poly » sur Facebook où quelqu’un m’avait inscrite sans me demander mon avis et que j’ai quitté très rapidement. Là, une nouvelle fois, les messages en MP sont arrivés très rapidement. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase a été un homme se définissant comme « maître », qui m’a contactée en commentaire sous ma présentation et à qui j’ai dit non. Cela a entraîné toute une série de commentaires, jusqu’à ce qu’un modérateur dise : soit vous likez, soit vous vous taisez. Ce qui a fait que j’ai quitté également ce groupe.

    Un groupe ouvert uniquement aux femmes a finalement vu le jour sur Facebook. J’y ai participé pendant plus d’un an. Puis j’y ai été de moins en moins active et j’ai fini par le quitter. J’y ai lu une quantité assez impressionnante d’histoires où, sous couvert de polyamour et d’Amour (le vrai, le grand, celui avec un grand A), des femmes racontaient de véritables situations de manipulation, voire d’abus. Mes interventions n’ont pas toujours été comprises ou appréciées. J’y ai notamment publié la traduction d’un article de Brigitte Vasallo sur les polyfakes, ces hommes qui sont dans les milieux poly, connaissent toute la théorie et le vocabulaire poly, mais l’utilisent à leur propre profit (publié en français sur polyamour.info. Une première fois, la publication a été accueillie dans une quasi indifférence et une seconde fois, par de fortes critiques. D’où ma décision de quitter ce groupe également.

    J’ai du mal à comprendre pourquoi en France il y a un tel aveuglement de la part de certaines femmes devant une réalité dont quasiment personne ne parle. Alors qu’en Espagne, c’est un sujet très fréquemment abordé et que de nombreux articles ou des vidéos sont publiés à ce sujet.
    Je dois dire que, à l’époque de mes premières incursions dans les groupes francophones polyamoureux, j’étais loin de me proclamer féministe, mais ces expériences, plus mes lectures, ma formation en sexothérapie extrêmement imprégnée de Freud et de pensée patriarcale, tout cela plus un nouveau regard sur mon expérience de vie de femme, ont fait que peu à peu, je me sente de plus en plus féministe et qu’aujourd’hui je me dis féministe.
    A ce sujet, régulièrement, alors que j’annonce une activité ouverte uniquement aux femmes, j’ai au moins un commentaire d’un homme (parfois même parmi ceux qui se disent féministes ou égalitaires) qui montre (souvent sous couvert d’humour) qu’il se sent exclu… Alors que je sais combien nous avons réellement besoin de ces espaces pour pouvoir libérer notre parole.
    À l’heure actuelle, je ne participe qu’à un groupe Facebook francophone, qui parle également de parentalité. C’est un groupe fermé et jusqu’à maintenant, je m’y sens bien.

    Quelle différence alors avec ce que je vis dans les groupes catalans et valenciens ? J’ai très vite rejoint le groupe « Poliamor Catalunya », puis celui d' »Amors Plurals », où le travail des différents modérateurs et modératrices me semble absolument remarquable. Je n’ai rien vu de semblable dans les groupes francophones dont j’ai fait l’expérience. Les messages en MP à teneur sexuelle sont, dans mon cas, rarissimes et à ma connaissance, chaque signalement est suivi d’une expulsion de la personne. De même que chaque post ou commentaire pouvant porter atteinte à une personne parce que femme ou LGBTI ou d’une autre culture, est rapidement modéré. C’est à mon sens, un espace absolument safe, dans lequel je peux m’exprimer librement et en sécurité. Ce qui est extrêmement aidant et apaisant.

    En juin 2015, j’ai été invitée par une association de femmes de Valencia, pour parler de sexualité féminine dans les relations plurielles et ça a été une expérience exaltante. Une vingtaine de femmes y ont participé, d’âges et orientations sexuelles divers et cela m’a confirmé la nécessité d’ouvrir un espace exclusivement féminin pour parler de sexualité et de relations plurielles, ici en France.
    Puis en décembre 2015, j’ai présenté le film LUTINE devant une cinquantaine de personnes à Barcelone, la veille de la première journée d’« Amors Plurals », à laquelle j’étais invitée pour participer à toutes les tables rondes. J’ai vécu une expérience réellement extraordinaire. Le public (plus de 150 personnes) était mixte, mais la majorité des exposant.e.s étaient des femmes. Deux hommes géraient les discussions. Dès le départ, ils ont expliqué que la parole lors des débats seraient donnée de manière égalitaire aux femmes comme aux hommes, car les hommes ont tendance à occuper l’espace, par habitude. J’ai vu interrompre gentiment, mais fermement, des hommes qui accaparaient la parole.
    J’ai réalisé que c’était la première fois de ma vie que je vivais une telle expérience et j’avoue qu’elle me donne vraiment confiance en la possibilité d’une société plus égalitaire. J’ai ainsi eu la confirmation que ces hommes que mon amie Coral Herrera Gomez appelle « les nouveaux hommes » existent réellement et je suis vraiment heureuse de pouvoir en compter parmi mes amis.
    Pendant ces journées, je n’ai vu aucune démonstration de « roulages de pelle » publics. Il était difficile de dire si dans le public il y avait des groupes, des triades, des trouples ou des personnes seules. Il y a eu de très bons moments, remplis d’émotions, avec de très beaux hugs (mais cela se fait tellement plus facilement là-bas) qui sont venus naturellement.

    J’ai revécu une très belle expérience, en mars dernier, lorsque j’ai proposé une lecture/débat sur « les ruptures : se séparer avec affection et dans la bienveillance », devant une assistance d’une trentaine de personnes. Bien qu’il y ait eu quelques exemples personnels, la discussion a également eu une portée plus générale vers une réflexion groupale sur comment arriver à bien vivre nos séparations/ruptures et continuer à garder des liens affectifs. Alors que je trouve qu’à Paris, y compris dans mes espaces de paroles, la discussion se base prioritairement sur des expériences personnelles.

    J’aime ce mélange d’espace personnel et de réflexion groupale. Lorsqu’il arrive que quelqu’un.e se trouve dans le ventre de la baleine, les deux groupes Facebook catalan (les seuls que je connaisse comme réellement safe, d’abord parce qu’ils sont secrets et ensuite parce que, comme je l’ai dit, les modos y jouent très bien leur rôle) sont une véritable structure de soutien. Il y a notamment des personnes formées en CNV (communication non violente), par exemple, qui sont un véritable support. J’aime en entendre parler comme de la « grande famille ou la « tribu » poly ».
    C’est pour cela que j’ai souhaité ouvrir, ici à Paris, un espace de parole (que je souhaite aussi safe que possible) avec peu de participant.e.s et où les hommes sont minoritaires. J’essaie de faire attention à qui y vient et, même s’il peut y avoir quelques « couacs », je rectifie la fois suivante, n’hésitant pas à refuser l’accès à certaines personnes.

    En Espagne, dans ces groupes poly, le slogan féministe « le personnel est politique » est tout le temps repris. L’expérience personnelle s’inscrit dans une réflexion plus ample, au niveau sociétal. À mon sens, c’est toute la richesse que propose le mode de vivre les relations plurielles de façon consensuelle, réfléchie et libre. Il s’agit non seulement d’ouvrir son couple, de dire à sa.son.ses partenaire.s qu’il.elle peut.peuvent faire des rencontres car soi-même on en fait, mais d’imaginer une société moins consumériste, plus égalitaire et plus juste. Loin de la société de consommation et patriarcale dans laquelle nous vivons.

  2. J’ai effectivement eu à deux reprises des expériences déplaisantes : sur le forum de polyamour.info, j’ai un jour demandé de l’aide car j’étais en détresse (mon mari avait craqué sur une fille et ils avaient flirté par MP derrière mon dos, ce qui m’avait fortement déstabilisée) et j’ai eu des réponses fort déplaisantes du genre « Tu veux contrôler sa vie, tu n’es pas polyamoureuse mais libertine« , etc.) ; la deuxième fois, je suis tombée sur un malade sur une page poly qui a commencé à me harceler. Il a été bloqué par les admins, car il n’en était pas à son coup d’essai.

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