Arrivée (presque) au bout de l’engagement que j’ai pris envers moi-même d’écrire 21 articles d’affilée sur la Polyamorie, je m’interroge : est-ce que j’ai dit tout ce que j’avais envie de dire sur le sujet ?
Jusqu’à l’article #18, j’avais un cadre, une structure : ce mixte que je me suis fabriqué sur mesure entre le voyage du héros et celui de l’héroïne, et chaque jour, je savais donc quand même plus ou moins où j’allais. Depuis hier, me voilà livrée à moi-même : je n’ai plus cette architecture pré-existante pour m’aider à donner du sens, une direction à ce que j’écris. Me voilà en free style, et je vois bien que la liberté peut parfois paraître enivrante : quand tout est possible, par où partir, dans quelle direction aller ?
Une amie poly nous confiait, lors du premier groupe de parole poly que nous avons tenu chez moi, que parfois, entre ses deux amoureux réguliers, elle se sentait prise de vertige, se demandant où tout ça « allait la mener ».
D’habitude, en effet, tout semble écrit d’avance, le cadre nous est donné par nos parents, la culture, la société : on rencontre quelqu’un.e, on se plait, on couche ensemble, on se plaît décidément beaucoup, on se voit de plus en plus, on se présente nos ami.e.s, puis notre famille ; les gens commencent à nous inviter « en couple », avant même parfois qu’on ose se définir ainsi soi-même ; puis les questions se font insistantes, les gens ont besoin de mettre des mots : est-ce que c’est sérieux entre vous ? Est-ce que vous allez habiter ensemble ? Selon votre âge : Est-ce que tu envisages d’avoir des enfants avec lui/elle ? Ou bien : Est-ce que tu vas lui présenter tes enfants ? Est-ce que tu as rencontré les siens ? Est-ce que vous allez faire famille recomposée ?
Un jour, vous vous rendez compte qu’en effet, vous êtes un « couple », ne serait-ce qu’aux yeux des autres : ça les rassure, vous êtes rentré.e dans le rang. Les normo-pensants ont besoin d’étiquettes.
Alors quand on est une jeune femme d’une trentaine d’années, qu’on a deux amoureux (voire plus) entre lesquels on navigue, et qu’on ne se projette pas dans un couple avec enfants, je comprends que cela puisse donner le vertige : on n’a plus de carte toute tracée. La Polyamorie vous encourage à être vous-même, à vous poser les questions de ce que vous souhaitez pour vous-même, de ce que vous attendez de la vie et des relations. On ne se définit plus par son/sa conjoint.e, sa « moitié ». On ne fabrique plus de la co-dépendance.
Hier, une femme d’une soixantaine d’années me donne un chèque où il était indiqué « M. ou Mme Philippe A. » Elle était « Mme Philippe A. » ! Même pas de prénom ! Difficile quand / si un jour une séparation se produit, de savoir qui on est, soi-même, quand on s’est toujours défini.e comme « mari » ou « femme » de.
La Polyamorie nous invite à sortir du cadre, à réinventer nos relations, à nous interroger sur ce qu’on souhaite, nous, en conscience. Penser, aimer « outside the box« . Avec qui a-t-on envie de passer la soirée ou la nuit ? De partir en week-end ou en vacances ? On ne se définit plus par rapport à un.e autre (mon mari, ma femme), mais par rapport à qui on est, nous.
Aujourd’hui, de même, je suis sortie du cadre que je m’étais donné à moi-même, celui du Voyage, et me voilà livrée à moi-même. Et je réalise que ce Voyage en Polyamorie parle presque autant d’écriture dramatique, que de polyamorie.
Tout comme LUTINE parle autant de cinéma – et de qu’est-ce que faire un film ? – que de polyamour.
Mon fils me disait tout à l’heure : « Ton film, tu crois qu’il parle de polyamorie, mais en fait, pas du tout ! » Moi, surprise : « Ah bon, de quoi il parle alors ? » Lui, très sûr de lui : « Du couple ! »
Et de développer : « Les gens, ils ne s’intéressent pas à ce qu’ils ne connaissent pas, donc si tu leur dis que ça parle de « polyamour », ils vont te répondre : « Polyamour, connais pas ! », et passer leur chemin. Alors que si tu leur dis : « C’est l’histoire d’une femme qui trompe son amoureux avec son comédien », là, tout de suite, ça les intéresse ! Parce que les gens, ce qui les intéresse, c’est le sexe ! »
Il a 11 ans.
Parlons donc de sexe, donc, aujourd’hui ! Et plus particulièrement, de sexualité positive – comme on parle de psychologie positive et d’éducation positive (ou bienveillante).
Sentiment de vivre dans une société schizophrène : d’un côté, le sexe est partout, sur les affiches, dans les magazines, sur les bus, sur Internet des images porno sont disponibles en trois clics, au point que les enfants en voient de plus en plus tôt, alors qu’ils n’y sont pas prêt.e.s et pas préparé.e.s (lire à ce sujet l’article que j’ai co-signé sur Mediapart avec Jérôme Soubeyrand, le réalisateur de Ceci est mon corps : Parlons sexualité avec nos enfants, et celui que j’avais écrit ici-même : Parlons de sexualité – et de respect – à nos enfants ! ) ; et d’un autre côté, dans l’intimité, dans les familles, entre parents et enfants, entre partenaires, même, c’est toujours autant tabou.
Un des livres qui m’a le plus aidée à comprendre cette ambiguïté, cette apparente contradiction, est Et si nous n’avions toujours rien compris à la sexualité ? de Didier Dumas (cf mon article Osons l’émerveillement de la découverte).
Si aujourd’hui, le sexe est encore tant tabou, c’est en grande partie dû au transgénérationnel : parce que nos parents ont été élevés par leurs parents, eux-mêmes élevés par leurs parents, directs héritiers de la société bourgeoise puritaine du XIXème siècle, où les médecins se sont associés à l’Eglise pour garantir la stabilité du mariage bourgeois et la transmission de son patrimoine. À cette grande époque des recherches de Charcot sur l’hystérie féminine, la masturbation était considérée comme une manifestation du diable en nous (et parallèlement, ironie de l’histoire bien sûr, on soignait les femmes dites « hystériques » en les masturbant : cf le film Oh my God !). Le plaisir était impensable, sinon on était une « putain ».
Dans TOUT LE PLAISIR EST POUR MOI, j’ai mis dans la bouche des vieilles dames qui discutent de la perte de son clitoris par Louise (Marie Gillain), quelques-unes des phrases entendues dans ma famille, et venues de la génération de mes arrière-grands-mères : » Ils nous racontaient de ces histoires… Que c’était sale, qu’on allait attraper la mort si on se touchait, qu’on irait en enfer… Moi, j’ai jamais cru à leur enfer. », « Ma mère disait à mon frère : faire l’amour, c’est comme faire pipi, ça soulage. », « Moi j’ai jamais pris de plaisir… et ma mère me disait « Heureusement, sinon tu serais une putain !« »
Dans tous mes films, je réalise que mes héroïnes – toutes, sauf une, dans A CORPS PERDU, qui raconte l’histoire d’une agression sexuelle et du chemin vers la résilience grâce à l’empathie et l’écoute bienveillante d’une femme qui ne parle pas français), sont des femmes qui interrogent ou mettent en scène leur désir :
CHOCOLAT AMER (une jeune femme a envie de faire l’amour avec son petit-ami, mais ses parents tardent à sortir) ;
PRESSE-CITRON (une femme s’invente une relation avec un homme pour attirer l’attention de son meilleur ami dont elle est amoureuse) ;
LES JOURS BLEUS (une femme, qui se demande si elle est enceinte, invite en week-end un homme qui la drague en prétendant vouloir le présenter à sa meilleure amie – complexité des désirs multiples, pression de la société qui lui fait croire qu’elle doit choisir) ;
TOUT LE PLAISIR EST POUR MOI : Louise perd la sensation de son clitoris à la veille de présenter son petit-ami à ses parents : l’image du couple comme contraignante, faite de compromis et de concessions, tel que sa mère et sa sœur la lui présentent, ne lui conviennent pas, et son corps se rebelle ;
LUTINE : une femme s’interroge sur la pérennité du désir dans son couple (mais c’est qu’il a raison, mon fils !) : son compagnon ayant trompé sa femme avec elle, il pourrait bien un jour faire de même avec elle ; alors elle part à la découverte de la Polyamorie, découvrant qu’elle-même n’est pas indifférente au comédien qu’elle a embauché pour jouer le rôle de son amoureux… avant de se confronter à sa plus grande peur : le désir de l’homme qu’elle aime pour une autre femme – qui était le point de départ même de son interrogation. Et elle décide en conscience que ce jour-là, elle préfère regarder la vérité en face, plutôt que jouer à l’autruche.
Ce qui pose problème, de mon point de vue, dans l’adultère, ce n’est pas d’avoir du désir pour quelqu’un.e d’autre que son/sa partenaire – « Ça me paraît normal, naturel et même sain, d’aller voir ailleurs au bout d’un moment dans un couple », dit Marianne dans LUTINE – c’est d’avancer masqué.e, de tricher, mentir. De ne pas respecter sa parole, et par là-même, de trahir la confiance de son/sa partenaire. C’est en ce sens que l’on parle « d’infidélité » : c’est en effet une infidélité à la parole donnée.
On le sait depuis la théorie de l’Attachement (cf le livre d’Yvane Wiart, L’Attachement, un instinct oublié), l’être humain, comme le petit enfant qu’ielle a été un jour, a précisément besoin de se sentir en sécurité pour pouvoir explorer… et revenir à son port d’attache si ielle se sent en danger.
Ce n’est pas parce que quelque chose ne va pas dans notre couple qu’on va voir ailleurs (parfois si, bien sûr, et une relation adultère peut-être un révélateur formidable d’un dysfonctionnement dans un couple), mais bien, la plupart du temps, parce qu’on a envie d’autre chose, en plus : les amours s’additionnent.
Françoise Simpère a cette très jolie formule dans LUTINE : « Je pense que aimer, c’est aussi garder les yeux ouverts sur le monde. Donc, on ne va pas voir ailleurs parce que ça va pas, on va voir ailleurs parce qu’il y a autre chose à regarder, y a autre chose à découvrir. C’est une histoire de découverte. »
Le désir, la sexualité, c’est la vie en nous, notre énergie de vie. C’est un élément essentiel de notre équilibre. Ce n’est pas pour rien que l’on revient aujourd’hui aux enseignements des anciens : le Tao chinois, le Tantra indien, qui mettaient la sexualité au centre de l’équilibre de l’être humain.
La culpabilité, la honte, sont des sentiments toxiques, destructeurs.
Accueillons au contraire nos émotions en nous avec bienveilance et tolérance.
À l’inverse, si les conjoint.e.s en question savaient au fond d’eux/elles-mêmes, que c’est normal d’éprouver du désir à l’extérieur d’un couple établi, alors peut-être, ielles souffriraient moins de la découverte d’un adultère, et pourraient se connecter par l’empathie au besoin non satisfait de leur conjoint.e qui s’est ainsi exprimé, ainsi qu’à sa peur, qui, pour ne pas risquer de perdre la relation à laquelle ielles tiennent, ont préféré tricher.
Dédramatisons les désirs multiples, les amours plurielles : ils font partie de nous, parce que nous sommes humains, multiples, pluriels, complexes, contradictoires.
Et puis aussi : cessons de croire à ce mythe de nos sociétés qui veut nous faire croire que les hommes ont plus de « besoins » (entendez « désirs ») que les femmes, qu’ils ont « besoin » d’aller semer leur semence, pendant que les femmes, elles, restent à garder le foyer. Peut-être nos grands-mères hésitaient-elles plus que leur mari à prendre un amant, de peur de tomber enceintes, mais les désirs sont très également répartis entre hommes et femmes.
C’est la thèse défendue par les auteurs de Sex At Dawn, et c’est très libérateur (leur théorie est qu’avant l’agriculture, il y a de grandes chances que nos ancêtres les chasseurs-cueilleurs aient été multi-partenaires, aussi bien multi-mâles que multi-femelles, comme chez nos cousins primates les plus proches, les bonobos).
Les femmes ont autant de désirs que les hommes, l’enjeu est simplement qu’elles l’assument et qu’elles apprennent à se faire confiance et à l’exprimer.
Inversement, il serait temps, plus que temps, que les hommes (entendez, les machos, les misogynes, ceux des temps anciens, pas nos amis les nouveaux guerriers) apprennent à garder leurs mains derrière leur dos et à attendre que les femmes viennent à eux. Qu’ils se réfrènent, qu’ils apprennent à contrôler et maîtriser leurs pulsions (c’est tout l’enjeu de pouvoir en parler, et notamment à nos enfants : que ça ne soit plus tabou !).
Je veux croire qu’il se passe quelque chose en ce moment dans la société française : que la parole se libère, que la honte change de camp.
Allons vers une sexualité joyeuse, ludique, émouvante, sacrée, allons vers une sexualité respectueuse, positive, égalitaire. Où primerait le consentement enthousiaste, le Fuck, yes! plutôt qu’un mou « pourquoi pas« .
Libérons la parole ! Apprenons à nous écouter, à nous respecter, à nous attendre, à nous entendre.
C’est à tout cela que nous permet de réfléchir la Polyamorie, car au-delà d’une manière d’aimer, c’est une manière de vivre, une philosophie de vie, éthique, qui nous apprend à s’écouter soi, tout en écoutant et accueillant l’autre, dans le respect et sans jugement.
Et vous, quelle est votre expérience de la sexualité ? Vous sentez-vous libre d’explorer à votre guise, d’être vous-même ? Vous sentez-vous écouté.e, accueilli.e, vivant.e ?
Hâte de lire vos commentaires et témoignages dans l’espace ci-dessous.
Au plaisir et à demain,
Isabelle
Je pense que ton fils a raison : « couple » veut dire presque « deux personnes autorisées à coucher ensemble ». Couple, c’est le seul contexte où (presque) tout le monde s’accorde que le sexe n’est pas honteux. Donc parler de polyamorie en passant délicatement à côté de la sexualité, ça risque de passer à côté de la plaque. 😉
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