Voyage en Polyamorie #21. Des relations en conscience

Me voilà arrivée au terme de ce Voyage en Polyamorie, que j’avais annoncé sur 21 jours. Et je me dis qu’en réalité, ce n’est qu’un début.

Je ne sais pas vraiment pourquoi j’ai entamé ce voyage, ni ce que j’en attendais. Je savais juste que j’avais besoin de l’entreprendre. Je souhaitais suivre cette petite lumière qui s’était allumée en moi un jour, comme une voix venue de l’extérieur (ou au contraire, du plus profond de ma conscience) m’indiquant le chemin (#4. 3. L’Éveil à moi-même). Alors je l’ai fait.
Et non seulement j’ai appris beaucoup sur moi-même, avancé sur mon propre chemin, mais ce voyage m’a permis d’entrer en contact avec d’autres personnes, certaines plus loin sur la route, d’autres derrière moi, d’autres encore sur des routes parallèles, mais néanmoins amies, et ça m’a aidée – enrichie, nourrie, et réchauffée.

Que toutes celles et tous ceux qui m’ont accompagnée tout au long de ces 21 jours – et particulièrement Élisende Coladan, qui a relevé le défi avec moi  et dont je vous invite à découvrir les articles en-dessous de chacun des miens – en soient profondément et chaleureusement remercié.e.s.
Que toutes celles et tous ceux qui découvriront ce blog dans un temps décalé se sentent aussi les bienvenu.e.s : le voyage continue, et ce n’est qu’un début. N’hésitez pas à relever le défi vous-même, à jouer le jeu sur 21 jours pour parler de votre expérience ou de vos débuts en Polyamorie… ou simplement à commenter un article ou l’autre.

Car prendre ce temps de réflexion sur soi-même, s’interroger sur ce que l’on croit vraiment, attend vraiment, souhaite vraiment, pour soi-même, dans les relations amoureuses, et plus largement dans toutes les relations humaines… est un temps émouvant de reconnexion avec soi-même et ses valeurs profondes.

Un des livres qui m’aide vraiment au quotidien depuis que je l’ai découvert il y a trois ans, est L’Apprentissage de l’imperfectionde Tal Ben-Shahar. Là aussi, il s’agit de lâcher prise. De préférer « écrire de la merde« , comme m’avait dit une amie réalisatrice, plutôt que de ne rien écrire du tout. En temps « normal », et les premières 44 années de ma vie, j’ai souvent préféré ne rien faire… plutôt que de prendre le risque de faire quelque chose qui ne serait pas « parfait » (enfin, « préféré », n’est pas vraiment le mot…- la procrastination est une souffrance aussi.)
Ce qui a marché ici – et une fois de plus, je veux en retenir la leçon – c’est que m’a appris Florence Servan-Schreiber dans ses 3 Kifs par jour avec son image de « jeter son sac par-dessus le muret » : avoir pris un engagement public de tenir ce défi de 21 jours d’articles d’affilée. Résultat : même bloquée par un lumbago, et alors qu’en temps normal, je me serais accordé une « pause », je me suis tenue à mon engagement, et j’ai écrit.

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J’ai rarement relu ces articles. Jour après jour, je me jetais à l’eau, sans filet. Si j’avais dû écrire un livre, seule chez moi et sans lecteurs/trices, j’en serais encore certainement au premier chapitre… et je n’aurais pas eu tous ces retours éclairants, enrichissants, m’aidant à avancer plus avant.
Sans doute, quand je me risquerai à les relire, il y a des chances que je les trouve très mauvais, ces articles. Mais ils me sont précieux néanmoins : ils constituent pour moi un « shitty first draft » : une base de travail, à partir de laquelle je pourrais modifier, gommer, ajouter, moduler…

Je ne sais pas encore ce que j’en ferai… Peut-être un livret d’accompagnement de mon film LUTINE, pour prolonger le dialogue avec les spectateurs/trices. Peut-être carrément un livre, d’abord un e-book, comme Hypatia from Space est en train de rédiger sur la compersion ? Il me semble que plus nous serons nombreux.ses à prendre la parole, à nous « outer », plus nous pourrons aider les autres, à s’assumer, elles et eux aussi, différent.e.s, et fier.e.s de l’être.

J’ai appris tout à l’heure que LUTINE serait projeté à nouveau à San Francisco (ou Berkeley ?) le 26 juin, le jour même de la fierté : Pride DayWaouh !
En effet, depuis que j’ai entamé ce voyage, je me sens de plus en plus d’affinités et de connexions avec la communauté LGBTQI+. Jusqu’à présent, je faisais partie de la « norme » : femme cis hétéro blanche, en couple, deux enfants, séparée…
Et en même temps, je me suis toujours sentie « différente ». Je sentais que je ne rentrais pas dans les cases. J’étais tour à tour rebelle, et profondément déprimée : je n’y arriverais donc jamais, je ne comprenais pas comment fonctionnait cette société, ce qui régit les rapports entre les gens.

Deux éléments ont sans aucun doute contribué à ce que je me « réconcilie » avec moi-même, à ce que je commence à m’accepter telle que je suis : la découverte de ma douance, quand j’ai lu Je pense trop, de Christel Petitcollin, tout à fait « par hasard » (je l’avais contactée parce que je préparais un documentaire sur les violences psychologiques au sein du couple) et l’accueil dans la communauté poly parisienne, où j’ai découvert que beaucoup, comme moi, étaient « surefficients », neuro-droitiers, ou neuroatypiques.

Ce Voyage en Polyamorie marque en réalité mon coming outDans LUTINE, mon personnage adopte une position ambiguë – qui était la mienne, certainement, au moment où j’ai écrit et tourné : « Ce n’est pas parce qu’on fait un film sur les escargots, qu’on est hermaphrodite ».
Je craignais d’éventuelles retombées si je prenais « le risque » d’avancer au grand jour, je ne me sentais pas en sécurité, je parlais depuis une position de peur.

La semaine dernière, étrangement, au jour #13 de mon voyage, soit pile au milieu, juste après ma descente dans le ventre de la baleine, j’ai annoncé que je n’avais « plus peur du loup« .

C’est aussi (est-ce un hasard ?) le jour où j’ai écrit à propos de communication compassionnelle (autre nom donné à la CNV, Communication non violente).
Ai-je enfin compris – plus que « compris » : « ressenti » – ce que j’explique depuis des années à mes enfants : que quand quelqu’un.e vous attaque, vous juge, vous critique, vous dévalorise (« dévaloriser » : enlever de la valeur), c’est parce qu’ielle parle depuis le royaume de la Peur ? Que quand on ne sait pas communiquer autrement que par des menaces, du chantage…, c’est avouer sa faiblesse ?

En réalité, quelqu’un.e ne peut vous « dévaloriser » que si vous lui laissez ce pouvoir-là sur vous.

Un livre m’avait déjà grandement aidé.e, en me proposant  un outil qui depuis m’est très précieux, celui d’une échelle de « ranking » et une de « linking » dans les relations humaines. Il s’agit de The Undervalued Self de Elaine N. Aron, qui a par ailleurs beaucoup écrit sur l’hypersensitivité.

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En gros (ou du moins, la manière dont je l’ai retenu), il y aurait dans les relations humaines, deux types de relations possibles :
– l’une hiérarchique, de domination, rapports de pouvoir (les parents sur les enfants, les professeurs sur les élèves, le patron sur l’employé, et avant, le mari sur la femme, avec son lot de « dominants » : les policiers, juges, patrons, hommes politiques, riches, têtes pensantes, etc.) : une échelle verticale, où les gens sont plus ou moins haut, plus ou moins bas, où certains dominent, d’autres sont dominé.e.s. C’est l’échelle du ranking (j’ignore comment cela a été traduit en français), et de la pénurie, où on a tout le temps peur de manquer, où on possède, au détriment de quelqu’un.e d’autre ;
l’autre, horizontale, vertueuse, qui est l’échelle des relations d’amour, d’amitié, d’altruisme, gratuite, où l’on donne par plaisir, sans attendre de retour, des relations de générosité, de don, d’abondance : c’est l’échelle du « linking », du lien.

Elaine N. Aron explique que dans la nature, quand deux animaux se sont affrontés (par exemple deux loups) et que l’un des deux est vaincu, pour ne pas risquer la mort s’il continuait à se battre alors qu’il a été physiquement mis en échec, sa réaction physiologique, biologique, est de baisser la tête (et de rentrer la queue), en position de soumission, pour montrer allégeance. C’est une réaction naturelle d’auto-protection : il ne sert à rien de continuer à se battre contre plus fort que soi.

Dans Le Livre de la Jungle (magnifique adaptation récente au cinéma, remarquable scénario qui suit tout à fait à la fois le voyage du héros et celui de l’héroïne, avec la « brillance » intérieure (« être un homme » au pays des loups) avec laquelle le héros doit se réconcilier pour remporter la bataille finale), Mowgli et ses amis les loups ne remportent la victoire contre « plus fort qu’eux » individuellement (le tigre, Sherkhan) qu’en se montrant solidaires les uns avec les autres.

Eh bien, pour nous les humain.e.s, quand on subit une « défaite » (réelle ou projetée, sociale, judiciaire ou amoureuse), c’est la même réaction physiologique que l’on observe : on entre en « dépression« , on renonce à se battre, on s’avoue vaincu.e. Parce que soudain, on se projette dans une position de « ranking », sur une échelle sur laquelle l’autre (quel.le qu’ielle soit) serait (je dis bien « serait », car ce n’est qu’une pensée) plus haut, plus fort.e que nous.
Et la solution pour se sortir de cette « dépression », c’est de prendre conscience de ce phénomène naturel, physiologique, de l’accueillir en nous comme quelque chose mis en place par notre corps pour nous protéger et nous sauvegarder, de ne pas s’en culpabiliser, de ne surtout pas croire les pensées qui l’accompagnent, qui sont en réalité induites, crées par l’état même de dépression du corps, et le nourrissent en retour… et de s’en extraire en faisant du « linking » : se reconnecter à celles et ceux qui comptent vraiment pour nous, qui nous aiment sincèrement, et réciproquement, non pas pour ce qu’on leur apporte, ni pour ce qu’on représente, mais pour ce qu’on est (à nouveau, l’avoir et le faire… face à l’être).

Appliqué à la Polyamorie, ça pourrait donner : quand la personne que j’aime ou qui compte pour moi, choisit de passer un moment avec un.e autre que moi… parce la société, ma culture, mes parents, m’ont « appris » que c’était une « défaite », un « échec » de la relation, alors mon corps se met en « ranking », et mes pensées battent la chamade : il est plus beau, plus fort, plus puissant que moi, elle est plus belle, plus sexy, plus intelligente ; il lui fait mieux l’amour, elle suce mieux…
Et quand on est en ranking, on déprime, et notre état dépressif nourrit nos pensées dévalorisantes, qui en retour nous font chuter dans une spirale négative.

Et quand on en prend conscience, quand on a intégré que cette réaction « spontanée » – qui peut tout aussi être « acquise », apprise, enseignée depuis notre enfance (car dans les sociétés matriarchales par exemple, que décrivent notamment les auteurs de Sex At Dawn, la jalousie n’a aucun sens, et les hommes et les femmes sont naturellement multi-partenaires, comme le sont les bonobos) – s’auto-alimente, alors on peut choisir de passer en mode linking, et de se rapprocher de nos ami.e.s, de notre famille, de nos autres amoureux.ses, de notre communauté.

C’est grâce aux liens et à l’Amour… que l’on va pouvoir quitter le pays de la soumission et de la Peur.

Fin de la parenthèse sur The Undervalued Self…mais voilà longtemps que ce paragraphe, pour le coup, me trottait en tête, et les attentats de novembre me l’avaient fait reporter, jour après jour, au cours de mes 21 jours de Mindsight.

Est-ce donc, disais-je, grâce à la CNV, que j’ai enfin ressenti, en me projetant par empathie dans la personne en face qui m’attaque, qu’ielle avait tout aussi peur que moi, voire plus ?
La CNV nous apprend à enfiler nos oreilles de girafe et à entendre, derrière l’attaque, le jugement, la critique… le besoin non satisfait qui s’exprime ainsi de manière « tragiquement suicidaire », comme l’écrit si justement Marshall Rosenberg.

Si la personne jalouse, par exemple, dit à son partenaire : Je t’interdis d’aller voir Machin.e ce soir, sinon je te quitte, on peut se dire, par exemple, si on n’a pas le décodeur : Je sais bien que c’est une menace vraisemblablement pour m’impressionner, mais au cas où quand même ielle mette sa menace à exécution, je préfère m’abstenir de le/la provoquer.
C’est une expression « tragiquement suicidaire » de la personne jalouse, car sa victime ne ressentira que peur et mépris… (rien ne tue plus sûrement l’amour, que la contrainte et la peur), mais elle s’en moque : la seule chose qui compte pour elle sur le moment, c’est que son/sa partenaire n’aille pas voir Machin.e.

Si on a le décodeur en revanche, et si au lieu de projeter sur le/la jaloux.se et bourreau un regard « venu d’en haut », qui juge à notre tour (Il est pathétique, mais j’ai peur quand même), si on enfile nos oreilles de girafe, alors on peut entendre le besoin non satisfait : ielle a besoin d’être rassuré.e, ielle n’a aucune confiance en mon amour pour lui/elle.
Son attitude (de chantage et menaces, inacceptables par ailleurs) n’est pas quelque chose qu’ielle fait « contre moi », pour me détruire, m’annihiler, me rabaisser (lecture de ranking), mais la seule manière (tragiquement suicidaire) qu’ielle a trouvée pour sauver sa peau… Alors en effet, on peut être en compassion… et non plus en Peur.
Et au lieu de se dire : cette personne est toxique, cette personne est manipulatrice, cette personne fait exprès de me faire du malcette personne veut me détruire, on peut choisir de se dire : Cette personne ne sait pas s’exprimer autrement, et moi, j’ai le choix d’entrer ou non, de rester ou non, en relation avec elle, et par ailleurs, je ne suis pas obligé.e de croire ce qu’elle me dit.

C’est là où j’ai aussi libéré quelque chose en moi, je crois, grâce à la lecture des Quatre Accords toltèques et à La Maîtrise de l’amour, de Don Miguel Ruiz :
1. Que ta parole soit impeccable ;
2. Ne prends rien personnellement ;
3. Ne fais pas de suppositions ;
4. Fais toujours de ton mieux 
(qui rejoint L’Apprentissage de l’imperfection).

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Si je ne fais plus la supposition que la personne en face de moi « veut me détruire », mais essaie juste, de manière tragiquement suicidaire, de satisfaire un besoin essentiel pour elle, alors je peux choisir de « ne pas le prendre personnellement » et de ne pas croire un mot de ce qu’elle me dit de moi : Je ne suis pas la personne qu’elle me dit que je suis.
Je sais qui je suis, je sais d’où je parle (depuis le pays de l’Amour) et j’ai compris d’où elle, parlait (depuis le royaume de la Peur), et… je n’ai PLUS PEUR DU LOUP.

Waouh. En fait, je crois que c’est ça qui s’est passé en moi au cours de ce Voyage.  L’avenir me dira si cette révélation – cette épiphanie, presque – restera en moi de manière durable, et surtout, m’aidera à vivre mes relations au quotidien. En attendant… j’ai le sentiment que c’est comme une porte qui s’ouvre en moi, une libération.

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Je peux donner l’impression de m’éloigner de mon sujet de départ… mais en réalité, je ne crois pas.

Je crois que tout est lié : le patriarcat, la domination de l’homme sur la femme parce qu’en réalité, l’homme a peur de la puissance de la sexualité de la femme à laquelle il ne comprend rien (souvenez-vous de l’aveu d’impuissance de Freud : « Les femmes, c’est le continent noir« .  Et pourtant, toute notre société, et une grande partie des psy fonctionnent avec ces références : au secours ! ) ; donc « l’instinct » (dicté par la peur) de propriété, de possession, de possessivité et les rapports de force et de soumission (la petite fille obéissait à son père, puis à son mari ; l’enfant obéissait à ses parents, la femme à son mari, le mari à Dieu ; une femme restait « demoiselle » tant qu’elle n’était pas mariée, et n’accédait au statut de « Madame » que par son mari ; une femme ne pouvait pas voter, ouvrir un compte en banque, avorter, disposer de son corps…).

Respect et pensées pour nos grands-mères, nos arrière-grands-mères et toutes ces reines (de mon article Fêtons les reines, qui était le nom de mon arrière-arrière-arrière grand-mère, en lignée féminine) grâce auxquelles nous sommes en vie aujourd’hui et qui se sont tant battues pour nous.

Donc le mariage bourgeois du XIXème siècle, qui permettait à l’homme de prendre possession du ventre de sa femme et de s’assurer que les rejetons auxquels il allait transmettre son patrimoine étaient bien de lui. Puis, au XXème siècle, apparition du mariage d’amour, qui remplace le mariage arrangé. Et où, au lieu d’étendre à la femme le privilège accordé jusque-là aux hommes (avoir plusieurs relations), on a au contraire étendu à l’homme la prison dans laquelle étaient tenues les femmes : exclusivité (appelée fidélité). Quelle absurdité.

Toutes et tous victimes du même système, des mêmes croyances : que l’être humain est « naturellement monogame », et que si on a envie d’aller voir ailleurs, c’est que quelque chose ne va pas, qu’on est « déviant.e », ou bien alors que ce n’est pas « le/la bon.ne ».

Mais si l’être humain était « naturellement monogame », comment expliquer que tant d’hommes et tant de femmes prennent encore le risque de l’adultère, au risque de perdre la famille qu’ils ont mis tant d’années à construire ? C’est bien qu’ielles sont poussé.e.s par quelque chose de plus fort d’eux, qui les dépasse. Et ce quelque chose, c’est cette pulsion naturelle à l’exploration, à la découverte, à la curiosité, à repousser nos limites, à sortir de notre zone de confort : c’est la vie en nous.

Le désir, la sexualité, est ce qui nous rend vivant, ce qui nous fait nous dépasser. Ce qui fait tourner le monde. Ce qui nous motive, profondément. Je milite fondamentalement, et depuis toujours, pour une sexualité positive, joyeuse, profonde. Une sexualité parfois sacrée, parfois plus ludique et légère. Une sexualité multiple, parce que nous sommes des êtres multiples.

Qu’est-ce qui nous reste, quand on arrive au seuil de notre vie ? Nos propriétés, nos réussites professionnelles ? Ou bien les gens qui nous ont aimé.e et qu’on a aimé.e.s, profondément, sincèrement ? Je pense évidemment au Rosebud de Citizen Kane.

Qu’est-ce qui fait tourner le monde ? Le pouvoir, ou bien l’amour et le sexe ? N’est-ce pas pour avoir plus de sexe et parce qu’ils n’ont pas assez reçu d’amour et qu’ils ne sont pas capables d’en donner, parce qu’ils jalousent les gens qui donnent et reçoivent de l’amour, parce qu’ils ne comprennent pas cette force qu’ont en eux les gens simples, mais heureux… que les hommes de pouvoir veulent « toujours plus » ? Ils croient – ou veulent croire – qu’ils peuvent acheter l’amour.
Or s’ils peuvent acheter le sexe, ils ne peuvent pas acheter l’amour. Parce que le pouvoir et l’amour ne se situent pas sur la même échelle : l’une de ranking, l’autre de linking.

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La domination de l’homme sur la femme, le système patriarcal… ont conduit à la monogamie – théorique pour l’homme au début, imposée à la femme (comme dans bien des pays encore, où les femmes adultères sont lapidées – cf Timbuktu, qui est l’un des films les plus forts et les plus terriblement bouleversants que j’aie vus ces dernières années)…
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Aujourd’hui, tout le monde est piégé dans le même système absurde, où nos croyances sont chaque jour mises à mal, où plus rien ne tient la route.

Car les femmes ont acquis leur autonomie, leur indépendance, elles n’ont plus « besoin » des hommes, elles s’assument, professionnellement, financièrement. La révolution sexuelle est passée par là, la contraception, l’avortement.
Tandis que des hommes – certains hommes, héritiers du machisme, de la misogynie de leurs pères – continuent pourtant à essayer de les dominer, de les réduire à des objets.

Les créatrices de la Conférence gesticulée sur le consentement me l’ont appris et ont contribué à ce que le voile se lève enfin pour moi : ce qui motive un viol n’est pas tant un désir irrépressible, une pulsion irrésistible (ça, c’est ce qu’ils veulent croire, ce qu’ils veulent nous faire croire), mais la volonté de dominer, d’écraser l’autre, de le/la faire taire. Cette résistance qu’elle oppose, cette liberté qu’elle affiche, cette sexualité libre et affolante… sont insupportables. Il leur faut la réduire à néant, l’écrabouiller, l’anihiler.

Allez voir Les Chatouilles – ou la Danse de la Colère, le magnifique et bouleversant spectacle écrit et interprété par Andréa Bescond au théâtre Montparnasse. Surveillez les dates de la Conférence gesticulée sur le consentement, qui se rejouera à Paris le 25 juin, puis en tournée en province pendant l’été 2016. Lisez les articles et le livre de Muriel Salmona sur les violences sexuelles.

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Quel rapport entre les violences faites aux femmes, le système patriarcal, la domination de l’homme sur la femme… et la Polyamorie ? Tout.

Le rapport, c’est la violence au fondement de la violence : la violence éducative ordinaire (VEO). Lisez cet article bouleversant de Frédérique Herbigniaux, sociologue belge : La Violence éducative ordinaire : enfant du patriarcat.
Cette violence avec laquelle on est toutes et tous élevé.e.s, cette violence qui nous est tellement « ordinaire », qui est tellement ancrée en nous, qu’on n’en a même pas conscience.
Cette violence qui fait que, quand on ressent une sensation désagréable (qu’on appelle « émotion négative ») dans notre corps, on l’attribue à l’autre. Si j’ai mal, c’est parce que l’autre a « fait » quelque chose. Et si je veux que cette souffrance en moi cesse, alors j’ai le « droit » de tout faire pour que l’autre change son comportement, puisqu’il s’agit – je le crois – de ma « survie » : menaces, chantage affectif, contraintes de toutes sortes, punitions (ou son contraire : la récompense, qui fait partie du même système) et, si ça ne marche pas, les grands moyens : la force et la violence physiques. 
C’est la croyance à la racine de toute la violence.

Or si on écoute Marshall Rosenberg, si on se forme à la CNV, si on apprend à « enfiler nos oreilles de girafe » et à entendre le besoin non satisfait derrière ces expressions tragiquement suicidaires (Je veux que cette sensation désagréable cesse), alors il me semble que l’autre devient absolument, intrinsèquement AUTRE, tout aussi LIBRE que moi. Je suis libre, mais toi aussi, tu es libre.
Je suis responsable de mes émotions et de mes réactions, et toi aussi, tu es responsable de tes émotions et réactions.

En aucun cas et en aucune manière, je ne peux envisager utiliser « contre » l’autre, la moindre mesure coercitive, ou de contrainte.
Je ne « possède » pas l’autre. L’autre s’appartient à lui/elle-même. Et si ielle n’a pas envie d’être en relation avec moi, alors je ne peux fondamentalement pas l’y obliger.
Je ne peux parler que d’une position d’amour, de confiance et de liberté.
Je sais à tout moment que l’autre ne fait rien « contre » moi : ielle vit son propre rêve, et poursuit son propre chemin.

Et si ielle essaie de me contraindre à quoi que ce soit, si ielle se croit, s’attribue, le moindre « droit » sur moi, c’est parce qu’ielle parle depuis le royaume de la Peur.
À moi, alors, de décider en conscience, si je souhaite – ou non – continuer cette relation.

(Évidemment, quand on parle de relations entre un enfant et son parent, c’est plus compliqué pour l’enfant / adolescent de se protéger en se retirant de la relation : c’est la raison pour laquelle les parents ont d’autant plus le devoir fondamental de respecter l’autre intrinsèquement en leur enfant).

Si je suis dans une relation d’amour, d’amour vraiment… d’amour où j’accepte l’autre tel.le qu’ielle est, autre, séparé.e de moi, autonome, libre, et si je construis avec lui/elle une relation d’amour et de confiance, alors je sais que si ielle a envie de vivre d’autres relations en dehors de moi, ce n’est pas « contre » moi, c’est « pour » lui/elle, parce qu’ielle en a besoin, sur son chemin de sa vie.

Si je peux alors maintenir avec l’autre une communication compassionnelle, si je choisis, décide de ne pas projeter (3. Ne fais pas de suppositions), de ne pas le prendre contre moi (2. Ne prends rien personnellement), si dans tous les cas, et même quand les émotions me font valdinguer dans les tours, quand j’ai envie de pleurer, de crier, quand je suis en colère, quand je me « sens » trahi.e (c’est une pensée)… si je sais que ce sont des émotions, donc par définition passagères, éphémères, si dans tous les cas, donc, je choisis de maintenir le lien et la connexion, ou de le reconstruire quand il a été malmené, parce que fondamentalement, j’ai confiance dans l’amour et la bienveillance de l’autre envers moi… alors j’accepte que l’autre puisse trébucher, puisse ne pas être parfait.e en toutes circonstances, puisse faire des choix suite auxquels je peux me sentir en insécurité… Et je choisis de travailler à rétablir la connexion d’amour.

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Pour moi, la CNV, les Quatre Accords toltèques, l’accueil des émotions, la Mindsight, si on suit leur logique interne d’acceptation de l’autre comme un être libre et autonome, nous conduisent à la Polyamorie comme la seule façon réellement éthique d’envisager les relations entre les êtres.

Sachant que « Polyamorie » ne veut pas dire « relations plurielles », mais bien : possibilité de relations non-exclusives consensuelles et éthiques.
Dans lesquelles entre totalement pour moi la possibilité de choisir la Monogamie en conscience.
Pour moi, la Monogamie choisie en conscience, consensuelle et éthique, fait partie de la manière dont je comprends, envisage et définis la Polyamorie.
L’idée est de savoir que la Monogamie est un choix, de même que la Polyamorie est un choix, et qu’en réalité, tout est envisageable et acceptable à partir du moment où on peut en parler librement, assumer qui on est ou ce que l’on souhaite pour soi-même, sans craindre des mesures de rétorsion (chantage affectif, drame, crise, conséquences, punitions), et où chacun.e est libre de déterminer pour soi le type de relations qui lui convient. 

Pour moi, la Polyamorie est bien à l’inverse absolue du système de domination patriarcale – l’idée fondamentale à la base étant que les êtres humains, quels qu’ils soient, sont libres et égaux en droit
La Polyamorie est égalitaire. L’égalité stricte, absolue et non négociable entre les partenaires est à la base de ces relations choisies en conscience. Donc absolument féministe. Fondamentalement féministe. Au sens de pro-femmes, et contre le système patriarcal – pas contre les hommes. En Espagne, les polyamoristes sont féministes, les féministes, polyamoristes.

[Connaissez-vous cette vidéo du premier Ministre canadien, Justin Trudeau, qui dit : « Je continuerai à affirmer haut et fort que je suis un féministe, jusqu’à ce que cette affirmation soit reçue par un haussement d’épaules » ?]

Notre combat est le même, femmes et hommes féministes (les vrais !) : contre le système de domination patriarcale. Contre cette société de domination des plus forts sur les plus faibles, des hommes sur les femmes, des majorités sur les minorités, des parents sur les enfants, de « ceux qui savent mieux que les autres » sur les autres.

Pour moi, la CNV et les Accords toltèques amènent à cette libération des relations entre les personnes, de même qu’à l’abolition de la violence éducative ordinaire.

Polyamorie, éducation bienveillante et positive, entreprises libérées… même logique, même évidence. Tout fait sens. Tout est cohérent, interconnecté.

Dans la mesure où, je l’ai dit, pour moi une Monogamie choisie en conscience, consensuelle et éthique, fait partie de la manière dont je comprends, envisage et définis la Polyamorie (la « possibilité de relations non-exclusives consensuelles et éthiques), alors peut-être faudrait-il en réalité lui trouver une autre appellation ?

Le « libre amour » ? (parce que l’amour libre est déjà pris…). Liberté fondamentale de chacun.e de choisir pour lui/elle, les relations qui lui conviennent, de façon consensuelle et éthique. Sans contrainte d’aucune sorte. Sans jugement. Tout est possible, tout est envisageable, du moment que toutes les personnes concernées sont fondamentalement d’accord et de manière enthousiaste. Des relations en conscience.

C’est, si j’ai bien compris, le sens de Designer relationships : des relations qu’on se choisit, qu’on se dessine sur mesure.
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L’amour à la carte ? Des relations sur mesure ?

Comme on a l’éducation bienveillante ou positive, la psychologie positive et la sexualité positive… on aurait les amours positives ?

J’aimerais bien un nom de pays, comme la Monogamie ou la Polyamorie. Parce que Voyage en Amours positives, ça sonne tout de suite moins bien…

La libre Amorie ? Hahaha !
Manifeste des amours libres et positives.

Puisqu’en France, c’est « polyamour » qui a dominé le terrain sémantique jusqu’à présent, Françoise Simpère parlant pour sa part plutôt d’amours plurielles ou de lutinage, je peux peut-être choisir d’adopter, moi, la Polyamorie.
Dans laquelle j’inclurais la Monogamie choisie en conscience.

Car l’enjeu fondamental est qu’il s’agit de relations déterminées, dessinées sur mesure, de manière consensuelle et éthique, avec un consentement enthousiaste de toutes les personnes concernées.
On peut donc très bien imaginer que deux personnes, après en avoir discuté ensemble, décident d’adopter… jusqu’à la prochaine discussion, négociation, une monogamie librement consentie. Mais qu’elles en aient discuté, et qu’il soit convenu, qu’à la seconde même où l’un.e d’entre eux a envie d’ouvrir la relation, on en rediscute.
Si l’un.e a envie d’ouvrir et l’autre non, alors chacun.e doit décider en conscience… si ielle désire rester dans cette relation – ou non.
Et si les deux sont d’accord pour ouvrir, parce qu’ielles ont confiance l’un.e en l’autre, que rien ne sera fait sans tenir compte des émotions de l’un.e et de l’autre, alors ielles ouvrent, en discutant des modalités.

Si la Polyamorie est bien définie comme la possibilité de relations non-exclusives consensuelles et éthiques, il me semble qu’est incluse dedans la possibilité de relations exclusives. Dans ce cas, gardons le nom, mais changeons les termes de la définition ?

La possibilité de choisir en conscience le type de relations – exclusives ou non-exclusives – qui nous convient, de manière consensuelle et éthique.

Est-ce cela que Brigitte Vasallo (poly activiste espagnole) appelle des relations « inclusives » ?
Est-ce que le contraire d’exclusives serait « inclusives » et non « non-exclusives » (double négation) ?

La Polyamorie serait alors la possibilité de relations inclusives, consensuelles et éthiques ?

C’est sur cette interrogation à laquelle je n’ai pour l’instant pas de réponse, que se terminent mes 21 jours de Voyage en Polyamorie.

Je me sens heureuse et libérée. Fondamentalement, je me rends compte que ma revendication (et non « combat », car je souhaite rester positive : je lutte pour, et non contre quelque chose) va dans le sens de la liberté de choisir des relations en conscience, telles qu’elles conviennent à chacun.e d’entre nous.

Il ne s’agit pas pour moi de lutter contre la Monogamie, mais contre le système patriarcal qui impose la Monogamie comme une norme par défaut.
Si la Monogamie vous convient, à l’un.e et à l’autre, et que vous êtes d’accord que ce n’est que pour un temps donné, tant que ça vous convient, et non « pour toute la vie », alors tout va bien !

Je ne vois pas comment on peut s’engager pour l’avenir sur des éléments aussi fluctuants, éphémères et passagers, que des émotions et des sentiments.

La Polyamorie, en cohérence avec la Mindsight, la méditation de pleine conscience (Mindfulness) et l’accueil des émotions en nous, nous invite à vivre au moment présent, ici et maintenant.

Je t’aime, ici et maintenant. Demain, j’en aimerai peut-être un.e autre, en plus. Ou tellement en plus, qu’ielle prendra de plus en plus de place, et que nous en viendrons peut-être à rediscuter de notre relation, à la faire évoluer, transitionner vers un autre type de relation, moins impliquante, moins quotidienne peut-être.

Tu es libre. Je suis libre. Nous sommes en relation parce que nous le souhaitons l’un.e et l’autre, en conscience, de manière consensuelle, éthique, et enthousiaste. Ici et maintenant.

Je ne peux pas m’engager, tu ne peux t’engager, sur des sentiments. Mais bien sur un comportement, le plus possible (4. Fais de ton mieux) éthique et respectueux, de moi-même, de toi-même, des émotions de l’un.e et de l’autre, et de toutes les personnes amenées à entrer en relation avec l’un.e ou l’autre d’entre nous. Sans jugements, sans projections, sans suppositions. Dans l’écoute, la confiance, le respect et la bienveillance de toutes et tous.

Waouh. Tout un programme.

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Et à demain, bien que ce Voyage en Polyamorie soit désormais terminé, pour un récap’ des 21 articles.

Avec amour et bienveillance,
Isabelle

NB. Je dédie cet article à toutes mes amies proches qui m’ont aidée, guidée, soutenue, inspirée, tout au long de ce Voyage : Élisende, Patricia, Laura, Frédérique, Malika, Anne, Tamara, ainsi qu’à Muriel Salmona. Et à l’homme avec lequel je partage tant depuis bientôt cinq ans, qui m’a tant donné et qui m’aide à devenir moi-même, une meilleure moi-même, à ses côtés, jour après jour, pas à pas, et chaque jour de mieux en mieux.

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