À la fin de mon article #3 qui définissait la polyamorie comme « la possibilité de relations plurielles consensuelles et éthiques », Chloé m’a écrit en commentaire :
Pourrais tu définir le mot éthique de manière générale ? Pour moi, tu as écrit la définition pour toi de ce qu’est une relation éthique, mais je pense pour les lecteurs, il faudrait que ce mot soit clair pour que chacun ensuite puisse définir ce qu’est une relation éthique, vu qu’il y a plein de manière de vivre la polyamorie.
Merci Chloé ! Je crains en effet que, de parenthèse en parenthèse (#2. Pourquoi je choisis de parler de « polyamorie » plutôt que de « polyamour » ; #3. Qu’est-ce que la polyamorie ? Des relations consensuelles et éthiques »), je n’aie fini par perdre mes lecteurices !
Je propose donc un petit retour en arrière « logique », pour préciser ma démarche ici.
Il y a un an, j’ai écrit 21 articles d’un Voyage en Polyamorie : en m’inspirant de la structure du Voyage du héros et du Parcours de l’héroïne, deux livres essentiels pour moi en termes d’écriture dramaturgique, j’y explorais la polyamorie « de l’intérieur » – comment on peut y venir, et être amené·e à faire face aux défis que cela pose parfois, notamment d’un point de vue émotionnel.
Il y a six mois, j’ai éprouvé le besoin d’aller « plus loin » que la polyamorie, en travaillant sur ce que j’ai appelé des relations « positives » : m’inspirer des outils de communication et de gestion des émotions découverts en polyamorie, pour les appliquer à toutes nos relations.
J’ai alors soudain pris conscience qu’en choisissant de réaliser LUTINE plutôt que le documentaire sur les violences psychologiques sur lequel je travaillais en parallèle, j’avais choisi le verre à moitié plein, plutôt que le verre à moitié vide : le côté positif des relations, ce qui fait du bien et vous pousse à devenir le meilleur de vous-même… plutôt que ce qui fait du mal, et vous mine de l’intérieur.
Les « relations positives » ou en conscience, auxquelles j’étais arrivée par la polyamorie, seraient donc la face lumineuse, inversée, des relations abusives ?
Étant de nouveau malgré moi confrontée à des comportements que je considérais comme « abusifs », je me suis alors demandé : qu’est-ce qui me fait dire que c’est « abusif » ? Qu’est-ce qu’une relation abusive verbalement, émotionnellement ou psychologiquement ? Comment la reconnaître, quels sont les « trucs » qu’on peut apprendre à repérer, comment y faire face ?
D’où cette idée de l’éthique : est-ce que réfléchir à l’éthique des relations, à ce mot « éthique » dans « des relations consensuelles et éthiques », pourrait m’aider à mieux comprendre ce que je suis en droit d’attendre d’une relation, et ce que je me dois d’y apporter moi aussi ?
C’est donc l’enjeu de ce nouveau voyage que j’entreprends. Et je n’ai évidemment pas, du moins pour l’instant, les réponses aux questions que je me pose : je me dis que, comme souvent, ce n’est pas la destination qui compte, mais le voyage lui-même !
Donc : de quoi parle-t-on quand on parle d’éthique ? Quelle différence entre « l’éthique » et la « morale » ?
D’après Roger Pol-Droit, qui a écrit L’Éthique expliquée à tout le monde (je cite mes sources !), le mot « éthique » viendrait du grec ancien ἦθος, êthos, qui signifierait « étude du comportement dans un milieu donné », et par extension, « mœurs, coutumes » ; mais aussi, souci de l’autre : faire en sorte qu’un être vivant se sente « bien » dans un milieu donné.
Et le mot « morale » viendrait de l’équivalent en latin, mos, mores : les mœurs, là aussi.
Globalement, il explique que pendant des siècles, depuis les Grecs, Socrate et Platon, Aristote, les Épicuriens, les Stoïciens… jusqu’à Spinoza et son Éthique, réfléchir à l’éthique aurait correspondu à réfléchir au bonheur : qu’est-ce qui nous rend heureuxes, nous et l’autre ? Qu’est-ce qui nous fait du bien, par opposition à qu’est-ce qui nous fait du mal ?
Ce n’est qu’avec Kant qu’en réalité, aurait été introduite l’idée de « devoir » : qu’est-ce que je « dois » faire, dans un sens qui pourrait s’appliquer à tout le monde de la même manière ?
(Que les vrai·es philosophes me pardonnent mes raccourcis, et n’hésitent pas à rectifier, préciser, amender… J’assume mon incompétence en me disant qu’après tout, ce qui compte, c’est ce que j’en ai retenu, et qui peut m’être utile dans ma vie de tous les jours).
Pour moi, le souci de l’autre et de son bien-être est donc présent dès le départ, car si je me fais du bien au détriment de quelqu’un·e d’autre, cela ne peut certes pas être généralisé à tout le monde.
L’enjeu devient donc rapidement : comment je dois me comporter pour faire du bien à l’autre, ou tout du moins, ne pas lui faire de mal, tout en étant heureuxe moi-même ?
On retrouve là le serment d’Hippocrate : primum non nocere : d’abord, ne pas nuire, ni à moi, ni à autrui.
Par ailleurs, petit à petit, la différence entre la morale et l’éthique se serait posée entre d’un côté, la « morale » qui serait donnée par la société, la culture : ce qui serait transmis de génération en génération, qui existerait avant nous, et pour tout le monde pareil ; et de l’autre, l’éthique, au sens de ce qui serait plutôt à définir.
D’un côté, quelque chose d’un peu « rigide », donc, l’idée de « la norme », qui s’imposerait de l’extérieur ; de l’autre, quelque chose de plus complexe, plus souple aussi.
En complément, pour l’éthique, on aurait aussi d’un côté, le sens général, les grands principes (genre les « valeurs » ou les « vertus » : honnêteté, fidélité, fiabilité, souci de l’autre) ; et de l’autre, ce qui correspond plus à chacun·e d’entre nous, et va s’appliquer différemment selon chaque cas particulier.
C’est à cela que je réfléchirai demain : à la tension entre la « norme » et ce qui me rend heureuxe moi, en particulier, et qui ne correspond peut-être pas à la « morale » générale à laquelle l’ensemble de la société ou de la culture voudraient me faire adhérer…
Hâte de lire vos commentaires… Pas simple, tout ça…
Au plaisir,
avec amour et bienveillance,
Isabelle
NB. Si vous souhaitez m’encourager à écrire mon livre sur la polyamorie et les relations positives et éthiques, vous pouvez :
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– et désormais aussi me consulter sur vos relations : il suffit de cliquer sur l’onglet Consultations !
Merci Isa pour ces éclaircissements.
La morale (à mon avis), c’est un ensemble de règles permettant de défendre « »la société » » (traduction : le statu quo et les groupes dominants). D’ailleurs la Manif pour Tous accuse bien les queer de « détruire / menacer les piliers de la société ».
A une échelle plus petite, c’est la norme locale d’un groupe social spécifique (qui là aussi arrange les dominants locaux).
A un niveau international et interculturel, la morale d’une culture peut servir à dénigrer les morales (différentes) des autres, â dire que les autres sont immoraux, et à justifier la guerre, la xénophobie, l’impérialisme…
La morale a souvent été, et est souvent encore défavorable aux gens pas hétéro, cis, mono, aux intersexes (dont le corps est « »corrigé pour leur bien » ») aux travailleurses du sexe… Ça a servi à justifier la colonisation (« on les civilise pour leur bien » + critiquer la morale des autres cultures comme inférieure à la nôtre), l’esclavage et la traite des Africains (qui était « pour leur bien »), la politique raciste et islamophobe d’État, l’euthanasie des personnes handicapées par les nazis, la ségrégation des Juifs et des Noirs, les internements et traitements psy forcés, les conversions religieuses forcées etc etc.
Bref, le souci (réel) de la morale n’est PAS de « ne pas faire de mal à l’autre ni à soi ». La morale est plus l’expression des rapports de pouvoir dans les faits.