Et au fond de moi, je savais qu’il avait raison. De toute façon, par le fait même que c’était son ressenti, il avait « raison ». Et je n’avais rien d’autre à faire qu’à l’entendre, et le recevoir.
Je crois que c’est en partie la force de la métaphore entre proies et prédateurs, victimes / bourreaux, dans le magnifique film Zootopie, qui nous a permis, à l’un comme à l’autre, de comprendre, de manière très profonde, la répartition des rôles entre hommes et femmes dans cette société patriarcale dans laquelle on vit, ces codes, ces schémas et ces peurs avec lesquels s’est construit.e.s, les un.e.s et les autres.
Les hommes ont peur de la puissance de la sexualité des femmes. Alors ils ont eu besoin de la brider, de la contrôler. Cette capacité des femmes (entendre : la part féminine en chacun.e de nous) de comprendre le monde, de descendre dans leur moi profond, de parler avec leurs émotions, leurs ressentis, leur cœur émotionnel, d’être connectées aux forces de la terre, aux forces de la vie en nous.
Les hommes ont bâti cette société sur le rapport de forces, la domination, le pouvoir, la propriété, la possessivité. Sur une logique du manque (les anglophones utilisent le mot « scarcity » : pénurie, rareté, famine). Parce qu’ils.elles sont en nombre limité, j’accumule des richesses, des biens, voire des femmes : au cas où je vienne à manquer, je fais des provisions.
C’est la maîtresse de ma fille l’autre jour au cinéma qui me dit, quand j’exprime mon désir d’être assise à côté d’elle (ma fille) : Vous n’allez pas faire un caprice ? Vous n’êtes plus une petite fille !
Quel « caprice » ? Quelle « petite fille » ? J’exprime mon désir, et mon désir est légitime.
On vit dans une société qui a le culte de la performance, qui valorise « l’avoir » et le « faire » sur l' »être ». Toujours plus. Accumuler. Les derniers gadgets, les marques à la mode. Tout va vite, toujours plus vite. On n’a plus le temps de rien. Les réseaux sociaux nous donnent l’illusion d’être connecté.e au monde, mais ça n’est qu’une illusion. En réalité, on est sans doute plus seul.e qu’avant, chacun.e derrière son ou ses écrans multiples.
On ne prend pas/plus le temps de se poser. De se « pauser ». Faire une pause. Se regarder en face, et prendre le temps de se demander qui on est, nous, très profondément, et ce qu’on attend de la vie, et de nos relations aux autres. Qu’est-ce qui est important pour nous, vraiment ? De quoi a-t-on envie, vraiment ? Qui a-t-on envie de voir, vraiment ? Avec qui aimerait-on passer la soirée, si on avait le choix ?
Ce Voyage en Polyamorie, ce blog où je me suis astreinte à écrire un article par jour depuis déjà 17 jours, m’a permis ça : de me « pauser ». De regarder en moi-même, et de m’interroger. Sur l’amour, la liberté, ma dépendance aux modèles et schémas ambiants. De me demander à quel point les croyances et les peurs créées par les générations avant nous étaient ancrées en moi. Si ma peur des hommes – et ma colère, dérivée de cette peur fondamentale, physique, aussi bien que psychologique – n’était pas héritée de celle de ma mère. Et au-delà, de celle de sa propre mère, et ce, sur des générations et des générations.
Parallèlement à mon voyage, étonnamment, la société française me semble en train de bouger. Ces femmes qui soudain, osent enfin parler, lever le voile sur le tabou des violences sexuelles et du harcèlement sexiste au quotidien. Ces 17 ex-ministres qui écrivent cette tribune : « Nous ne nous tairons plus. » Les articles et interviews de Muriel Salmona qui atteignent enfin la sphère des médias nationaux. Cet article d’un journaliste dans Libération, enjoignant les hommes, eux aussi, à se lever aux côtés des femmes en écrivant : « C’est parce que ces femmes pensent, à juste titre, qu’elles ne seront pas entendues, écoutées par leurs collègues masculins, les cadres, etc. qu’elles ne disent rien. Et que le harceleur se sent légitimé. Très souvent, pourtant, nous savons ce qui se passe. Ne faisons plus semblant de ne pas savoir. Et ne nous cherchons plus d’excuses pour ne pas voir et dire. » J’en ai pleuré.
Je me sens femme. Je me sens enfin, entendue.
Ex-victime de violences psychologiques, sexistes, si non sexuelles.
Je me sens fière d’être femme parmi les femmes. À la fois infiniment triste et en colère d’entendre que toutes ont la même expérience, et en même temps, heureuse que toutes enfin, reconnaissent cette sororité entre nous.
Jusqu’à présent, quand je parlais, j’avais l’impression d’être en position de « victime », donc de « faiblesse » : comme dans « faible femme », « le sexe faible », ou « les femmes et les enfants d’abord ». Et les faibles ont toujours tort dans cette société binaire qui valorise les « winners« , par opposition aux « losers« .
Le fameux « La raison du plus fort est toujours la meilleure » de la fable Le Loup et l’Agneau.
Je ne dépends plus d’un homme, du regard d’un homme, de la valorisation ou non d’un homme. Ma valeur m’appartient. J’ai de la valeur en moi-même. Ma parole a de la valeur. Je suis entendue. Je suis entière. Je m’appartiens.
Je me sens libérée.
Je renais à moi-même.
Comme le disait mon coiffeur : « je travaille mon m’aime« .
Hier, j’ai lâché prise, profondément, totalement.
J’ai compris que si j’avais peur de l’amour que l’homme que j’aime peut éprouver pour une autre que moi, en plus de son amour pour moi, c’est parce que je vivais au royaume de la Peur, et non dans celui de l’Amour et la confiance.
J’ai choisi d’avoir confiance en lui, et dans son amour pour moi.
Si je n’ai plus peur du loup, si je me suis départie, une à une, de toutes les protections que j’avais soigneusement érigées autour de moi, comme autant de barricades et de barrières, en descendant dans le fond de ma caverne, je peux remonter en étant dans l’amour, et uniquement dans l’amour.
J’ai ressenti que j’avais construit ces barrières, une à une, depuis l’enfance, sans doute parce que comme (presque) chacun.e d’entre nous, j’ai été élevée dans la VEO : la Violence éducative ordinaire. Celle qui nous est tellement habituelle, qu’on n’y fait même pas/plus attention.
À ce propos, lire absolument, impérativement, le formidable article de mon amie sociologue et thérapeute Frédérique Herbigniaux : La Violence éducative ordinaire : enfant du patriarcat.
Je vivais au royaume de la Peur, et je projetais ces peurs venues du tréfonds de mon être… sur l’homme que j’aime. Je ne lui faisais pas suffisamment confiance et je me sentais en danger, si soudain une autre entrait dans sa vie.
C’est ça, que j’ai lâché hier.
Parce que j’ai compris que ces peurs étaient « mes » peurs, mes projections, héritées d’avant, et peut-être même d’avant moi, d’avant ma naissance. Et que si je lâchais ma peur du loup, alors je pouvais aussi lâcher toutes ces peurs qui ne m’appartenaient pas/plus.
Et j’ai lâché. D’un coup. Tout.
Si je lâche prise, si je reconnais et accepte que je n’ai pas de prise sur « sa » moitié de la relation et sur les relations qu’il peut vivre avec d’autres que moi, alors je récupère l’entièreté de « ma » moitié de la relation, elle m’appartient à moi. À moi qui m’aime.Je me retrouve entière, whole. Je n’appartiens à personne et personne ne m’appartient. Je ne suis plus dans la dépendance, mais uniquement dans l’amour. Dans l’amour qui est don de soi. Et liberté. La mienne, et celle de l’autre. Intrinsèquement. Profondément. Philosophiquement.
J’avais prévu d’intituler cet article #17, étape n°11 de mon Voyage en Polyamorie, « Résurrection » d’après le Voyage du héros, « Rebirth / renaissance« , d’après celui de l’héroïne (toujours entendre : la part masculine, consciente, dans l’action, et la part féminine, inconsciente, dans l’introspection, en chacun.e de nous).
En effet, même si je ne savais pas véritablement où j’allais, dans le sens où je ne savais pas à l’avance ce que j’allais écrire et le découvrais moi-même au fur et à mesure, au moment même où je l’écrivais… j’avais tout de même une idée générale du voyage et de sa structure. En témoigne ci-dessus la roue que j’ai dessinée au tout début de ce voyage et qui a été ma boussole : ce voyage, comme un scénario de fiction, a une structure dramatique.
Mais je ne savais pas comment j’allais écrire ça, et surtout si j’allais le comprendre de l’intérieur, d’une manière ou d’une autre, ou bien si j’allais devoir le « plaquer » de manière un peu artificielle.
Ce matin, sensation première d’être, comme je l’ai dit, « lessivée, vidée, essorée », passée par le programme essorage d’une machine à laver. Et puis, soudain, l’image s’est imposée à moi : j’étais en effet vidée, comme déprogrammée, nettoyée de toutes ces peurs qui m’avaient construite et protégée jusque-là. Et je pouvais, en effet, renaître à moi-même. J’en ai été la première bouleversée. Car si la « renaissance » était écrite sur ma roue, je ne pensais pas réellement l’éprouver dans la vraie vie – juste l’écrire, la théoriser, la fictionaliser.
En quoi mes pensées créent-elles ma réalité ?
Je pense que je réinterprète mes sensations, que je cherche à leur donner un sens. Le travail de fiction n’est rien d’autre que d’essayer de donner un sens à une existence qui sinon, n’en a pas, comme un bateau qui dériverait au gré des flots. Je choisis de lui donner une direction, un cap, voire une destination.
L’autre jour, discutant polyamorie, une amie me dit : j’ai du mal à déterminer mon objectif. Je lui réponds, du « haut de mon savoir » et de ma grande expérience (sourire d’auto-dérision, là) : Tu n’as pas nécessairement besoin d’avoir un « objectif ». Tu peux aussi vivre au jour le jour. Et observer où tu vas, en te faisant confiance.
Quelques minutes après, je sors du café sur ces quelques mots : Et garde le cap !
La porte franchie, une fois sur sur le trottoir, j’éclate de rire, n’en revenant pas moi-même : je m’étais entendue dans toutes mes contradictions. (NB. Ne jamais avoir peur du ridicule !)
Éviter les généralisations, fuir les certitudes, autant que les projections, les anticipations, les attentes : car elles figent, enferment, anesthésient.
Une seule solution à mon sens, celle que nous propose Susan Jeffers dans un de ses livres, qui, comme tous, me touche en profondeur : Embracing Uncertainty. C’est aussi le sens de ce que l’on appelle l’impermanence de la vie.
On ne sait pas de quoi demain sera fait. Ne pas faire de plans sur la comète. Si on a des attentes, des projections, des espoirs… on ne peut qu’être déçu.e.
On ne peut pas s’engager sur l’avenir. La vie est mouvement, la vie est changement. Quand on arrête de bouger, de changer… c’est qu’on est mort.e !
Susan Jeffers propose plusieurs « trucs » de langage. Par exemple, au lieu de dire « J’espère… » qu’il appellera,qu’elle pense à moi, que je le/la verrai bientôt, dire « I wonder / Je me demande… » s’il va appeler, si elle pense à moi, si je le/la verrai bientôt.
Essayez : ça change tout !
Mon fameux « …- ou pas« , c’est d’elle aussi que je le tiens.
On sera toujours ensemble dans un an… – ou pas. Je t’attendrai… – ou pas.
À chaque fois que vous vous surprenez à émettre une certitude (ou un vœu) sur l’avenir, ajoutez « … – ou pas ». C’est très libérateur.
Ça permet de ne pas s’accrocher à des choses sur lesquelles, de toute façon, on n’a aucune prise. Et par définition, on n’a aucune maîtrise sur des émotions et des sentiments.
Comment des amoureux aujourd’hui peuvent-ils se leurrer eux-mêmes à vouloir croire leurs promesses faites de vent et de poussière : Je t’aimerai toujours, mon amour ; toi et moi, c’est pour la vie ; je ne quitterai jamais.
Comment peut-on faire des promesses sur des sentiments, des émotions ?
Le sentiment d’amour se construit sur la répétition de moments et d’émotions d’amour, jour après jour. Les émotions, par définition, sont passagères, éphémères. On aime quelqu’un.e quand se renouvellent entre nous, jour après jour, ces moments de partage d’émotions positives et d’échange d’ocytocine qu’on appelle l’amour.
Mais l’amour peut disparaître, du jour au lendemain, si on le néglige. L’amour entre deux personnes est comme une plante, qu’il faut arroser et dont il faut prendre soin, jour après jour.
On ne peut jamais être sûr.e de rien, et certainement pas du sentiment amoureux. Lâcher prise, fondamentalement.
Quand on choisit en conscience de vivre en Polyamorie, il y a plus de chances, statistiquement, qu’en Monogamie, qu’en s’autorisant mutuellement à vivre d’autres relations, on développe de véritables histoires d’amour.
Au début d’une histoire d’amour, il y a d’abord une attirance, un désir de mieux connaître l’autre, parfois un désir sexuel. Ce n’est que si l’on s’autorise à vivre cette histoire, que peuvent alors se développer des sentiments d’attachement plus forts entre deux personnes.
Et il y a des chances que quand on voit la personne que l’on aime tomber amoureux.se d’un.e autre, ou en avoir envie et nous le dire dire, cela réveille en nous des insécurités.
L’autre est libre, comme moi-même je suis libre, intrinsèquement, et on n’a pas, on n’aura jamais, aucune prise sur ses émotions et ses sentiments. Alors autant lâcher prise, dès le début et le plus tôt possible.
À ce propos, une amie chère et bien plus avancée que moi en Polyamorie, m’écrivait dimanche (je la cite avec son autorisation) :
« Déjà savoir, comprendre, accepter que si l’on installe une forme de contrôle (je parle ici de ce contrôle sur l’autre qui prend naissance dans nos propres peurs et qui donc fait fi de l’honnêteté, et de qui est cet autre que l’on aime pour ne pas lui faire confiance ? Confiance à qui ? À soi ? À lui/elle ?), donc cette forme de contrôle sur l’autre pour apaiser nos peurs peut souvent créer une situation contraire à celle attendue.
Tu vas aimer qu’ielle s’émancipe, qu’ielle soit amoureux.se, qu’ielle devienne gaga d’un.e autre. Ce que tu vas aimer, ce n’est pas qu’ielle aime un.e autre, ni que, sur une période, ce qu’ielle vit avec cet.te autre soit plus fort, plus pétillant et même plus enivrant qu’avec toi… non non, ce que tu vas aimer, c’est qu’ielle puisse t’en parler librement, tu vas aimer être son/sa meilleur.e ami.e et confident.e dans ces moments-là, tu vas aimer sentir combien sa parole est libre avec toi, combien ielle n’a pas peur de ton jugement ou de tes autorisations, tu vas aimer ce moment – quand il va arriver – où il n’y a plus besoin de se mentir, de faire attention, d’être précautionneux avec toi… par peur de te décevoir ou de se faire prendre en situation peu glorieuse où une règle ou une consigne a été oubliée lors d’une rencontre.
Tu vas aimer, car dans un couple, ce n’est pas le sexe ou l’amour pour un.e autre, ce n’est pas ce que l’autre vit sans nous qui est le ciment/liant de la structure, de la construction de notre couple, ce n’est pas non plus la fondation/solidité de notre couple, ce qui se vit ailleurs que sous notre regard, non non non, ce qui est et fera la force et la beauté de votre relation, c’est cette confiance particulière sans restriction qui fait de ton amoureux.se la personne avec laquelle tout peut se vivre, tout peut se dire, le meilleur comme le pire. »
Et vous, avez-vous déjà vécu l’amour de quelqu’un.e que vous aimez pour quelqu’un.e d’autre ? Comment l’avez-vous vécu ? Connaissez-vous ce sentiment qu’on appelle compersion ? Hâte de lire vos témoignages dans l’espace des commentaires ci-dessous.
Au plaisir et à demain,
Isabelle