Voyage en Polyamorie #2. 1. Le Monde ordinaire

Après 13 jours de pensée positive… devenus 21 et 21 jours de Mindsight, j’ai longtemps hésité au titre à donner à cette nouvelle série de 21 articles d’affilée, où je ne souhaite pas seulement parler de relations plurielles, mais bien plus largement de relations et d’amour. J’ai d’autant moins l’intention de faire ici l’apologie de la polyamorie, que je ne crois pas que ce mode de relations puisse convenir à tout le monde.

Ce que je souhaite en revanche, c’est informer sur un mode de relations qui est possible, et que choisissent d’adopter aujourd’hui de nombreuses personnes, afin d’éviter certaines idées reçues – souvent accompagnées de jugements moraux négatifs – telles que, encore ce week-end, ma grand-mère (que par ailleurs j’adore) : « Ton truc, là, de coucher avec n’importe qui, c’est quand même n’importe quoi ! » (sic).

Quand, en février, nous avons présenté LUTINE à San Francisco, nous avons été surpris de découvrir que là-bas, les adolescent.e.s et jeunes adultes semblent savoir qu’ils ont le choix : ils peuvent choisir la monogamie, ou bien ils peuvent choisir la non-monogamie. Pour un temps donné, ou pour une relation donnée. Ils savent aussi qu’à tout moment, ils peuvent revenir sur leur choix, en discuter, en changer.

L’idée est de lever le voile et les tabous, de regarder les choses en face et les nommer par leur nom (comme je m’amusais à dire au moment de mon premier long métrage Tout le plaisir est pour moi : « Appeler un chat un chat, et un clitoris… un clitoris« ), d’assumer nos choix en prenant conscience que les jugements et les critiques parlent plus de celles et ceux qui les prononcent que de celles et ceux qu’ils/elles visent.

J’aimerais que ces articles de blog puissent accompagner les spectateurs/trices de LUTINE s’ils/elles souhaitent aller plus loin dans les questionnements que réveille le film en eux/elles, et que mes enfants puissent comprendre de l’intérieur ce dont il est question quand on parle d’amours plurielles, avant que d’autres adultes, peut-être sincèrement inquiets pour eux, ne viennent les polluer de leurs jugements négatifs sur la question, en projetant leurs propres angoisses et insécurités sur le sujet.

À nouveau ma grand-mère ce week-end, me posant des questions sur les enfants aujourd’hui adultes de parents notoirement lutins : « Ah ben tu vois, s’ils ont choisi la monogamie, c’est bien qu’ils ont été vaccinés en voyant la vie de leurs parents ! »
Sauf que si je lui avais dit qu’ils étaient devenus non-monogames, elle m’aurait répondu : « Ah ben tu vois, c’est bien ce que je dis, c’est une secte ! »

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Il va être ici question de tolérance, de bienveillance, d’accueil, de non-jugement, de gratitude, d’amour au sens large, de sexualité positive, mais aussi de communication compassionnelle (un autre mot pour CNV : communication non-violente) et d’outils pour accueillir nos émotions tels que TIPI ou la libération quantique.
Il va bien sûr être question de jalousie et d’insécurités, et de : « Concrètement comment on fait quand on sait que l’homme ou la femme qu’on aime est en train de passer la soirée dans les bras d’un.e autre ? »
Il va être ici question de relations, de choix en conscience, d’intentionnalité, de mindfulness, de confiance, de respect. Mais aussi d’impermanence, de changement, d’évolution. Et du fait que parfois, il est bon de laisser évoluer une relation, d’accompagner le changement, de dire oui à ce que la vie nous propose.

Je ne dis pas – ô que non ! – que tout le monde devrait devenir poly… (« Ça serait un beau b… », dixit ma grand-mère). En revanche, il me semble que les outils de communication et de gestion des émotions dont on a rapidement besoin quand on choisit de vivre en polyamorie, sont des outils formidables qui rendent la vie plus belle et plus harmonieuse – que l’on soit poly ou non – et qui gagnent à être connus du plus grand nombre.

J’ai finalement choisi d’appeler cette série d’articles Voyage en Polyamorie, car il me semble que c’est à cela que j’invite mon lecteur : à un voyage, construit sur le modèle classique d’un scénario. Alors, prêt.e.s ? Je ne sais pas vraiment où je vais, mais… j’y vais ! Vous embarquez avec moi ?

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Reprenons au début, donc. Mes enfants. Ma grand-mère. Le monde ordinaire de la monogamie érigée en modèle unique, en « norme » à laquelle se conformer. La culture au sens général du terme : les livres, les romans, les films, hollywoodiens ou non, les « Ils vécurent heureux ensemble et eurent beaucoup d’enfants » de nos jeunes années, qu’on est heureux.se (en tout cas, moi !) de retrouver dans des comédies romantiques.

Les injonctions parentales (ou des voisins, cousins, anciens camarades d’école) telles que « Quand est-ce que tu nous fait un bébé ? », « C’est sérieux avec Machin.e, vous allez habiter ensemble ? », « Quand donc vas-tu enfin te fixer ? », et quand on a le malheur – ou le bonheur, c’est selon ! – d’être séparé.e d’une union précédente avec enfants, c’est, pour reprendre ce que dit le personnage de la mère dans LUTINE : « Tu vas refaire ta vie avec lui ? Parce que pour les enfants, ce serait bien, un peu de stabilité ! » (à quoi mon personnage répond : « On ne refait pas sa vie, on la continue. »)

La peur de ne pas être « comme les autres ». La sensation intérieure de ne pas être comme les autres. Le syndrome du « vilain petit canard », associé à celui de l’imposteur (tiens, on dit comment « imposteur » au féminin ?). La volonté de se fondre dans la masse, de ne pas être remarqué.e.

J’avais tellement peur qu’on s’aperçoive qu’au fond, je n’étais « pas aimable », que le premier qui a bien voulu de moi (après une première rupture douloureuse), je ne l’ai plus lâché. En même temps, quelle idée de vouloir se « mettre en couple » à 17 ans ? Je l’ai trompé, le lui ai dit. Il l’a mal pris – je n’ai pas compris pourquoi.
Je l’ai quitté au bout de quatre ans. Quand j’ai voulu reprendre notre relation, il m’a dit : « Tu connais les conditions ? Exclusivité ! » (qu’on appelait alors « fidélité »). Je me souviens avoir pensé : « En me prévenant que si tu apprends que j’ai une autre relation, tu me quittes, tu m’obliges – de fait – à te mentir. »
J’ai promis, en me promettant de « tenir » le plus longtemps possible. Puis je l’ai à nouveau trompé après trois ans. J’ai fini par le quitter au bout de dix ans : il me semblait que j’avais rempli mon contrat, que j’avais prouvé au monde que je pouvais être en couple. Pour autant, je me voyais pas m’engager durablement – et faire des enfants – avec quelqu’un à qui je mentais.

Quand j’ai rencontré mon compagnon suivant, je lui ai annoncé la couleur : « Je ne crois pas à l’exclusivité à long terme ». Il a prétendu que ça lui convenait… puis a changé d’avis. J’étais amoureuse, j’ai pensé qu’on évoluerait ensemble. Que nenni. Treize ans de monogamie rigoureuse (de mon côté) et deux enfants plus tard, nous nous sommes séparés avec pertes et fracas. La sensation de revenir à la vie pour moi : je suis « re-née » avec ma fille, j’ai le même âge qu’elle.

Je connais donc, comme la plupart d’entre nous, le monde ordinaire de la monogamie. J’ai trompé et j’ai été trompée. J’ai aussi été – longtemps – exclusive. Mais je n’étais pas heureuse. La réussite d’une relation doit-elle se mesurer à sa durée (le fameux « jusqu’à ce que la mort nous sépare ») ou bien alors au bonheur qu’elle nous procure ?

Bien sûr que la monogamie peut apporter bonheur et épanouissement, en plus de la sécurité. Ma grand-mère (l’autre !) a été très heureuse toute sa vie avec son second mari. Ce en quoi je crois cependant, comme le dit un personnage dans LUTINE, c’est que « ça devrait être un choix  » qu’on fait en conscience, un contrat qu’on passe à deux, et non que la société, la culture, les parents, les voisins, le qu’en dira-t-on, le « je veux être comme tout le monde et surtout ne pas me faire remarquer »… nous imposent, consciemment ou non.

Combien d’entre nous se réveillent après de nombreuses années de couple (théoriquement) monogame, ou bien de « Je ne sais pas ce qui ne va pas avec moi, je n’arrive pas à me fixer », avec une sensation de gueule de bois et d’avoir été trompé.e par le mythe du prince – ou de la princesse – charmant.e auquel ils ont voulu croire ?

En termes d’écriture dramatique, cette phrase s’appelle une « accroche » : réponse… demain !

Et n’oubliez pas : l’espace des commentaires vous appartient ! Je vous propose, vous aussi, si vous le souhaitez, de vous embarquer avec moi et mon amie Elisende Coladan, anthropologue et sexothérapeute, qui me fait la joie de me rejoindre aujourd’hui dans mon aventure d’écriture, pour vous aussi nous raconter votre propre voyage en 21 jours ! Hâte de vous lire ! Rendons ce blog interactif, c’est tout l’intérêt d’écrire comme ça, au jour le jour, en fonction aussi des réactions des un.e.s et des autres.

Au plaisir et à demain,
Isabelle