Ça y est, c’est dit, votre partenaire, celui ou celle avec qui vous partagez tant depuis plusieurs semaines, mois, années… a rencontré quelqu’un·e avec qui ielle a envie de vivre une véritable histoire, pas seulement des 5 à 7 coquins, pas seulement une complicité amicalo-sexuelle. Non, ielle a envie de plus, d’une intimité, d’un partage d’émotions, de tendresse, de secrets, de moments intimes profonds… et tout cela, par définition, prend du temps.
Car elle pourrait bien être là, la faille du côté Tout le monde, il est beau, tout le monde, il est gentil des Bisounours poly : certes, l’Amour est illimité (ou presque) et se multiplie, et de même qu’on a plusieurs ami·es, et qu’un·e ami·e qui vous dirait : Je veux bien être ami·e avec toi, mais je veux que tu n’en aies aucun·e autre, paraîtrait sorti.e d’un monde de science-fiction, on peut aimer plusieurs personnes, et l’amour que l’on éprouve pour une nouvelle personne n’enlève rien – en théorie (parce que bien sûr, il arrive qu’une nouvelle relation naisse précisément parce qu’une ancienne n’a plus de sens) – à ses amours d’avant. Certes.
Mais le temps, lui, n’est pas extensible. Et si l’amour se multiplie, si, comme le dit Françoise Simpère dans mon film, « Les amours ne pas rivales, elles s’additionnent », le temps, lui, se divise.
Et si votre partenaire a une nouvelle relation, qui soudain, parce qu’ielle est en NRE (New Relationship Energy), lui prend du temps qu’auparavant, ielle passait avec vous… comment vivre cette évolution sereinement ?
Dans LUTINE, le personnage de Gaël demande à Isa : « De quoi tu as peur ? » Elle lui répond : « Que tu me quittes. Que tu l’aimes plus que moi. Que tu passes plus de temps avec elle qu’avec moi. Que… D’être en manque… de toi. »
Être seule ne me pose pas de problème, au contraire même. Non seulement j’adore être seule, mais j’en ai fondamentalement besoin. Passer des heures en solitude et dans le silence, c’est comme cela que je peux entrer en moi-même, pour mieux écrire. J’ai besoin de ces moments de repli et d’introspection, pour ensuite retourner dans le monde et partager. Rester seule chez moi… me va très bien.
De quoi ai-je peur alors ? Car c’est bien d’une peur fondamentale qu’il s’agit, quand on cherche à l’accueillir en soi. Et c’est sans doute une peur qui nous reste du mythe de la Monogamie, dans lequel, qu’on le veuille ou non, on a baigné si longtemps, et qui continue à s’insinuer en nous via les films, les émissions de radio, les remarques des autres. Oui, mais… et si ielle tombait vraiment tellement amoureux d’un.e autre… et que ça remettait en cause votre relation ?
Face à cette peur profonde, viscérale, sans doute héritée de notre enfance, pas grand-chose d’autre à faire que… de l’accueillir, de la reconnaître en nous, de l’accepter pour ce qu’elle est : une peur, rien d’autre. Une pensée, voire des pensées. Passagères, éphémères. Qui se nourrissent les unes des autres.
On peut essayer les différents outils d’accueil des émotions (#11). On peut choisir où l’on souhaite porter son attention sur la roue de la conscience. On peut se concentrer sur ses sensations en s’adonnant à la méditation de pleine conscience (#12).
On peut aussi décider… d’en profiter pour faire autre chose, qui nous plaît. Sortir, voir des ami·es, aller au cinéma. Lire, écrire, travailler.
Bien sûr.
Mais l’enjeu est bien plus profond que ça. Il s’agit vraiment de lâcher prise, totalement, complètement. De regarder la peur en face et de lui dire : Je te remercie ma peur, je sais combien tu te préoccupes de moi, et j’en suis très touché·e. Mais ne t’inquiète pas : je choisis d’aller bien.
Comme me le disait mon coiffeur l’autre jour : Tu travailles ton t’aime. Je travaille mon m’aime.
Dans l’œil du cyclone, comme me le faisait remarquer une amie proche cet après-midi, tout est calme. On peut être en paix avec soi-même.
Par essence et de manière totalement intrinsèque à sa condition d’humain·e, l’autre ne m’appartient pas. Je n’ai aucun « droit » sur ielle.
Il ne peut pas y avoir de rapport hiérarchique, d’autorité, de pouvoir, de qui que ce soit sur qui que ce soit dans le cadre de relations saines, équilibrées, égalitaires, mutuellement respectueuses.
On ne peut que s’écouter, dans l’écoute compassionnelle, et essayer de trouver une manière de nous entendre (#13).
Si l’autre a envie, besoin de vivre une nouvelle relation qui certes, peut ne pas nous réjouir, nous agréer (on peut imaginer que la troisième personne, par exemple, ne nous donne pas toutes les garanties que l’on aimerait d’un comportement respectueux et empathique – et que malgré tout, tout en en ayant conscience, notre partenaire a envie ou besoin d’aller s’y frotter, peut-être parce qu’ielle a encore quelque chose à apprendre de ce côté-là des relations), de toute façon, quoiqu’on fasse, on n’y pourra rien.
Dans tous les cas, et fondamentalement, on ne peut agir que sur notre moitié de la relation.
Plus on va se crisper, se raidir, édicter des règles, poser des cadres, voire basculer du côté de la rive de la rigidité de la rivière du bien-être, comme dit Dan Siegel (#12) ou bien faire des scènes, des crises, lui montrer à quel point son comportement nous insécurise, et basculer du côté de la rive du chaos de la rivière du bien-être… dans un cas comme dans l’autre, cela se retournera contre nous.
Car ce serait tenter de lui faire porter la responsabilité de notre sérénité, de notre bien-être, au lieu d’en assumer nous-même la pleine et entière responsabilité.
Notre sérénité et notre bien-être… ne peuvent venir que de nous-mêmes.
C’est à nous à apprendre à naviguer sur la rivière du bien-être, à ne pas trop aller d’un côté, ou trop de l’autre. Pas trop du côté du rationnel froid, rigide, logique et calculateur ; pas trop non plus céder à nos émotions, nos peurs, nos fantasmes, nos projections.
Rester centré·e, en paix avec soi-même.
Si l’autre a envie ou besoin de vivre une relation, une histoire, voire une passion… avec quelqu’un·e d’autre, plus vous tenterez d’endiguer les flots, plus vous chercherez à contrôler… plus vous serez emporté·e par le courant quand la digue cédera.
Vous ne pouvez pas agir sur une relation qui ne vous concerne pas.
Car une relation entre votre partenaire et une troisième personne… ne vous concerne pas. Vous n’êtes pas concerné·e.
Bien sûr, il est possible que votre vie en soit changée, bouleversée, même, et en ce sens, vous êtes concerné·e. Mais vous n’y pouvez rien.
L’un·e et l’autre sont libres, intrinsèquement.
Si votre partenaire a envie de vivre une relation que vous jugerez peut-être, vous, de l’extérieur, toxique… vous êtes la dernière personne à pouvoir le lui dire. Car de vous, ielle ne pourra pas l’entendre. Car la troisième personne, si elle a un comportement réellement toxique, s’empressera de lui faire remarquer à quel point vous cherchez à le/la manipuler, à la faire passer, elle, pour quelqu’un·e de manipulateur, alors même qu’elle essaie de le/la sauver de votre relation à vous.
Les manipulateurices ont ceci de redoutable qu’ielles renversent les situations comme en miroir.
Si vous êtes confronté·e à un tel comportement, à par exemple quelqu’un·e qui fonctionnerait sur une mise en place d’une co-dépendance… alors raison de plus pour lâcher prise, et le plus tôt possible. Vous n’y pouvez rien. Rien de rien.
Et plus vous lutterez contre le courant, plus vous vous épuiserez, et plus vous y laisserez de plumes.
Quand vous vivez en Monogamie, si votre partenaire a envie ou besoin de vivre une autre relation, vous ne le savez pas. Vous en êtes protégé·e. C’est en ce sens que c’est un monde plus « sécurisant », même s’il ne l’est qu’en apparence.
En Monogamie, si votre partenaire se lance dans une relation toxique, vous n’en savez rien. Vous pouvez continuer à vivre votre vie de tous les jours comme d’habitude, et vous constituez pour ielle, un havre de paix.
Quand vous avez fait le choix de vivre en Polyamorie, si votre partenaire a envie ou besoin, pour des raisons qui lui appartiennent, de vivre une relation qui ne vous donne aucune garantie de respect et de confiance mutuels… raison de plus pour lâcher prise, et pour rester, vous, ce havre de paix et de sérénité.
Vis ce que tu as à vivre, mon amour. Je t’attendrai.
Ou pas.
Car si vous n’avez prise que sur la moitié de la relation qui vous appartient, vous avez malgré tout prise sur cette moitié. Et vous pouvez, pour vous-même, décider de ce que vous êtes prêt à accepter… ou non.
Quelqu’un·e qui poserait d’emblée, par exemple, des conditions exclusives (C’est comme ça et c’est moi qui pose mes conditions, et si tu n’es pas d’accord, j’annule tout) vous propose, implicitement, un jeu de dupes : si vous rentrez dans son jeu, si vous acceptez de jouer au jeu du C’est qui le/la plus fort·e, alors vous allez perdre, à coup sûr.
La seule manière de s’en sortir, c’est de ne pas jouer.
Et si les enjeux montent, si les conditions deviennent trop pénibles pour vous, si voir votre partenaire dans des postures trop inconfortables, trop douloureuses – alors qu’on est bien d’accord que l’amour est censé être un plaisir, un bonheur, une joie… pas vous faire peur ou vous faire pleurer – vous devient insupportable, alors vous avez le choix de vous retirer, vraiment.
Parfois, il faut « laisser couler« , comme disait le marabout au personnage de Louise interprété par Marie Gillain dans Tout le plaisir est pour moi, mon premier long-métrage. « Laisser couler… quoi ? » lui demandait-elle. – « Laisser couler. Tout. »
La vie est mouvement, la vie est changement. Si on ne change pas, si on ne bouge plus… c’est qu’on est mort·e !
Vouloir s’accrocher à tout prix à ce qu’on avait… mais qu’on n’a, de toute façon, déjà plus, au moment même où quelqu’un·e de nouveau fait son entrée dans le paysage, c’est s’exposer à des déceptions, des frustrations.
C’est poser des attentes… qui ne pourront qu’être déçues.
Vivre au jour le jour, dans le moment présent.
Vivre en gratitude, en paix avec soi-même.
Célébrer la vie en nous, nous réjouir de ce que l’autre nous apporte… et de ce qu’ielle ne nous apporte peut-être plus, et qui nous permet de développer d’autres activités, d’autres amitiés, de faire peut-être nous aussi des rencontres.
Avoir peur, projeter sur l’avenir, faire des suppositions… est voué à nous créer des nœuds dans le cerveau, et souvent on provoque ce dont on a le plus peur.
Nos pensées créent notre réalité.
La seule et unique option qui s’offre à nous, est donc de lâcher prise, et de laisser venir, le cœur ouvert. Et sans doute alors qu’on connaîtra des joies nouvelles auxquelles on ne s’attendait pas, des bonheurs inédits.
Ne plus se laisser dicter son comportement par ses peurs… mais par l’Amour.
Choisir la voix, la voie de l’Amour en nous.
Faire confiance à notre partenaire. Avoir confiance dans notre relation, dans ce qu’on a construit ensemble. C’est la personne dont on se sent le plus proche, la personne en qui on a le plus confiance : ielle saura choisir ce qui lui convient le mieux. On a confiance qu’ielle ne fera rien contre nous.
Célébrons ce que les bouddhistes appellent l’impermanence de la vie. La vie est changement, la vie est mouvement. Les relations sont faites pour changer, évoluer.
En Monogamie, on n’a que deux solutions : rester ensemble ou se quitter. Et c’est souvent la rupture, tragique, douloureuse. Comment quelqu’un·e qui, quelque temps avant, était « tout » pour nous, n’est plus rien du jour au lendemain ? Je n’ai jamais compris.
En Polyamorie, on peut être plus souple, plus inventif·ve, plus créatif·ve… et c’est tant mieux. Les relations sont amenées à se modifier, à se réinventer, chaque jour. Une relation qui a été fusionnelle pendant quelques années, peut soudain, parce qu’une troisième personne fait son apparition dans le paysage, évoluer vers une relation plus espacée en termes d’emplois du temps, mais tout aussi profonde dans le fond et le partage des émotions. Et le fait que l’un.e des deux ait une nouvelle relation qui lui prend du temps, peut dégager du temps libre pour l’autre, qui pourra en profiter à son tour à sa guise.
Sauf dans le cas de relations avérées toxiques (j’en connais personnellement malheureusement un rayon, mais justement, je me dis désormais que c’est une chance : je n’ai plus peur, car je les repère aux premiers symptômes), il n’y a aucune raison, en Polyamorie, de raisonner en termes de ruptures et de séparations.
Parlons plutôt de transitions, d’évolutions.
Lâcher prise.
Dans LUTINE, j’avais écrit une séquence avec ma psy (qu’interprétait ma vraie psy à l’époque, et puis qui a été coupée au montage) où elle me disait : Lâchez prise. Et mon personnage répondait : J’arrête pas de lâcher prise. En attendant, je contrôle plus rien, moi !
Elle me demandait alors : »Vous connaissez la différence entre laisser tomber et lâcher prise ? » Elle prenait un stylo dans sa main, paume vers le bas, et le lâchait : il tombait. « Ça, c’est laisser tomber« . Puis elle reprenait le même stylo dans la main, paume vers le haut cette fois-ci, et elle ouvrait sa main. Et disait : « Ça, c’est lâcher prise« .
L’autre est libre, fondamentalement, intrinsèquement. Ielle vit ce qu’ielle a à vivre, sur son chemin de vie. Vous n’y pouvez rien, rien de rien. Juste veiller à votre moitié de la relation. Et prendre soin de vous, veiller à votre propre bien-être, à votre propre sérénité.
Une relation se tisse entre deux personnes. Si vous avez envie de quelque chose, mais que l’autre a envie d’autre chose, vous ne pourrez rien y changer. Et si entrent dans votre relation la moindre contrainte, le moindre contrôle, ou une quelconque forme de chantage, affectif ou autre, alors ce n’est plus une relation libre et en conscience. Et vous fabriquez une bombe à retardement.
Lâchez prise !
Et repensez aux accords toltèques :
– ayez une parole impeccable : pas de jugements, pas de projections, contrôlez l’expression de vos émotions ;
– ne prenez rien personnellement : si l’autre agit comme il agit, ce n’est pas contre vous, mais parce qu’ielle agit comme ielle pense que c’est le mieux pour ielle, même s’il s’agit de comportements qui produisent l’effet inverse de ce qu’ielle souhaite. Dans ce cas, n’entrez pas dans son jeu. Enfilez vos oreilles de girafe et apprenez à entendre ses besoins non satisfaits et exprimés de façon si tragiquement suicidaire. Ne faites rien que vous pourriez pas assumer en vous regardant dans un miroir.
– ne faites pas de suppositions : quand vous ne comprenez pas quelque chose que fait l’autre, posez-lui la question. Ne projetez pas vos propres angoisses, vos propres peurs.
– Dans tous les cas, faites de votre mieux. Pas moins, pas plus.
Dans l’œil du cyclone, c’est la paix. Au fond de votre ventre, ça peut être la paix aussi. À vous de le choisir, de le décider. Tout comme une tempête qui fait rage sur la mer déchaîne les vagues et met les éléments en furie… tandis qu’en-dessous, tout au fond de la mer, c’est calme, serein, tranquille.
Et vous, comment imaginez-vous que vous réagirez le jour où votre partenaire vous annoncera qu’ielle a envie de vivre une histoire d’amour avec quelqu’un·e d’autre ? Cela vous est-il déjà arrivé ? Comment l’avez-vous vécu ? Hâte de lire vos témoignages et récits dans l’espace des commentaires qui vous est réservé ci-dessous.
Au plaisir et à demain,
Isabelle