Les mots « polyamour » (souvent d’usage en français) et « polyamorie » – que je lui préfère – sont en réalité deux traductions différentes du même néologisme américain « polyamory » (formé du grec πολύ et du latin amor) qui signifie, non pas le fait d’être amoureux de plusieurs personnes en même temps, mais : la possibilité de vivre des relations plurielles éthiques dans lesquelles l’amour, s’il se présente, est libre de se développer.
Et la nuance est importante.
Définition sur Wikipedia :
Polyamory is the practice of, or desire for, intimate relationships where individuals may have more than one partner, with the knowledge and consent of all partners.
It has been described as « consensual, ethical, and responsible non-monogamy ».
La polyamorie – appelée souvent à tort à mon sens « polyamour » en français – est en effet la possibilité de vivre en parallèle des relations intimes plurielles – possiblement amoureuses et/ou sexuelles – avec l’accord libre et en conscience de chacune des personnes concernées.
Les relations en question peuvent être amoureuses… ou pas (on peut être poly et aromantique), de même qu’elles peuvent être sexuelles… ou pas (on peut être poly et asexuel·le) : l’idée est de laisser se développer les relations de manière organique, sans chercher à les faire entrer dans des cases ou à les qualifier.
Il s’agit d’une orientation relationnelle, où l’accent est plus mis sur la forme des relations : éthique — chaque personne s’engage à faire attention et à prendre soin de ses partenaires et relations— que sur leur nature (amoureuses possiblement, mais pas nécessairement).
Or dans « polyamour », on entend « Amour » – avec un grand A, renvoyant le plus souvent à l’amour romantique, l’amour-passion. Le souci est pour moi encore plus frappant avec « polyamoureuxe » où on entend : « être amoureuxe », là où en anglais, « polyamorous » ne signifie pas « to be in love » mais… « être sexuellement attiré·e » par plusieurs personnes.
Voilà pourquoi je préfère traduire l’américain d’origine « polyamory » par « la polyamorie ».
NB. Cette confusion avec le mot « amour », du latin « amor », n’existe que dans les pays de langue d’origine latine : français, italien, espagnol, portugais. Même hésitation pour traduire polyamory en italien par exemple, entre poliamore et poliamoria. En effet, quand on entend « polyamour » en français, on croit comprendre qu’il s’agit de « être amoureuxe » de plusieurs personnes et… on se trompe.
Il s’agit pour moi d’un faux-ami de traduction.
En anglais, la confusion n’existe pas : on ne parle pas de « poly-love » et quand on entend pour la première fois le mot « polyamory« , le réflexe est de demander « poly-what ? » De même qu’en allemand, on ne dit pas « Die Polyliebe » (qui serait la traduction littérale de « polyamour »), mais « Die Polyamorie » – qui ne veut rien dire, et oblige à poser des questions.
Je préfère de même utiliser en français ce même mot de « polyamorie » qui a pour conséquence, quand on l’entend la première fois, de susciter, comme en anglais et en allemand, la question : « poly-quoi ? »
NB. Une partie des paragraphes ci-dessus ont été écrits pour un article de Philippe Brenot, psychiatre, anthropologue, sexologue et président de l’Observatoire International du Couple, pour son article sur son blog sexo sur le journal Le Monde : Polyamorie, paru le 13 décembre 2018, quelques jours après sa découverte de LUTINE sur grand écran et sa rencontre avec le public à cette occasion : voir les vidéos sur la chaîne Youtube de Lutine le film.
Oui, bon, je le reconnais, j’y vais peut-être un peu fort, là… Quoique.
Je l’ai dit, je le redis : la polyamorie est intrinsèquement féministe: par principe, chaque partenaire a les mêmes droits, quels que soient son genre, son âge, son orientation sexuelle ou relationnelle, ou son rôle dans la société. C’est un principe de base.
{NB. Et c’est d’ailleurs bien en cela notamment, que, bien que certain·es se posent encore des questions en ce sens, la polyamorie n’a vraiment rien à voir avec la polygamie telle qu’elle est le plus souvent pratiquée : polygynie.}
Et rien qu’en cela, franchement, dans notre société, eh ben disons-le : c’est pas acquis.
Allez, pour le plaisir (le mien, en tout cas !), je remets ici cette vidéo du Premier Ministre canadien Justin Trudeau à un sommet des Nations Unies :
« Je continuerai à dire que je suis féministe jusqu’à ce que ça soit accueilli par un haussement d’épaule. »
« I’m gonna keep saying loud and clearly that I’m a feminist until it is met with a shrug.(…) It shouldn’t be something that creates a reaction. It simply is saying I believe in equality in men and women and I believe that we still have an awful work to do to get there. »
Parce qu’en effet, il est plus que temps que les hommes se disent, s’assument et prouvent qu’ils sont féministes, parce que, comme il le dit, ça devrait être « normal » et non remarquable, d’être féministe.
Bien au-delà cela dit, la polyamorie n’est pas « seulement » féministe, elle est aussi fondamentalement et profondément égalitaire.
Parce qu’il ne s’agit pas seulement d’égalité entre les « hommes » et des « femmes », mais bien entre les personnes, i.e. les êtres humains, quel que soit leur genre. Qu’ielles se reconnaissent hommes ou femmes – ou pas. La polyamorie est inclusive. Des personnes trans, des personnes non-binaires, des personnes agenre. Des personnes aromantiques ou asexuelles.
Il n’existe pas de « hiérarchie » entre les personnes, personne n’est supérieur à personne, tout le monde a les mêmes droits. Point.
La polyamorie nous fait faire un pas de côté par rapport à l’escalator relationnel, et rien qu’en cela, en réalité, c’est déjà révolutionnaire. Elle nous fait changer de paradigme.
Plus aucune injonction ou attente pré-établie sur ce que sont « supposées » être nos relations. Du sexe ? Pas de sexe ? De l’amour dit « romantique » ? Une vie sous le même toit ? Quelle différence entre un·e « ami·e », un·e amant·e, un·e amoureuxe ? (Car – cela n’aura échappé à personne – il s’agit bien ici de la même racine du verbe latin amo, amare : aimer.)
Pourquoi vouloir étiqueter les personnes, et/ou nos relations ?
Pourquoi ne pas, quand on rencontre quelqu’un·e, laisser la place à l’inconnu, à la surprise, à la vie, tout simplement ? Laisser évoluer la relation… en fonction de ce que chacune des personnes concernées a envie de vivre ?
En ce sens, la polyamorie est écologique. Respectueuse de la vie telle qu’elle est. La vie est changement, la vie est mouvement, la vie est… vie. Quand on ne bouge plus, quand on n’évolue plus… c’est qu’on est mort·e.
Françoise Simpère ne s’y était pas trompée, qui sous-titrait déjà, en 2009, son Guide des Amours plurielles : Pour une écologie amoureuse.
La polyamorie est éthique : égalitaire, démocratique, écologique. Elle s’épanouit dans un cadre de collaboration, solidarité, empathie, écoute de l’autre. Elle repose sur une logique d’abondance – par contraste avec une logique du manque et de la pénurie.
Un de ses mantra est : l’un·e n’empêche pas l’autre.
Alors bien sûr, le temps ou l’argent, contrairement à l’amour, sont des ressources limitées. Et il ne s’agit pas de prétendre que la polyamorie est un mode relationnel « facile » à vivre, ni qu’elle peut convenir à tout le monde. Bien sûr que non.
La polyamorie ne convient pas à tout le monde, de même que… la monogamie, non plus, ne convient pas – et ne peut pas convenir – à tout le monde.
Tout simplement parce que (attention, roulements de tambours…)
un même modèle ne peut pas convenir à tout le monde.
Dans notre société et culture saturées d’histoires toutes construites sur le même modèle (le fameux Boy Meets Girl des comédies romantiques, elles-mêmes héritées des contes de fées), combien de personnes se sentent exclues, ont l’impression d’être « différentes », « pas normales », simplement parce qu’elles ne s’y reconnaissent pas ? Combien de personnes aromantiques ou asexuelles, par exemple, ne se sont jamais retrouvées dans ces romans ou films à l’eau de rose, quand bien même « on » voudrait leur faire croire que c’est ce dont chacun·e rêve ?
En réalité, nos histoires sont toutes construites à partir d’un imaginaire collectif, dont font partie les fameux archétypes. Les créateurices ne sont que des humain·es parmi d’autres, s’inspirant bien sûr de ce qu’ielles voient dans la vraie vie, mais avant tout des structures éprouvées des histoires qui les ont précédé·es.
C’est en partie comme ça que les mythes (tels que le mythe de l’Amour romantique) se perpétuent et se transmettent de génération en génération, et que certain·es, avec les meilleures intentions du monde, répètent : « C‘est comme ça ! Parce que ça a toujours été comme ça, et si tu ne t’y conformes pas, tu seras malheureuxe. »
Or, au risque de me répéter, chacun·e a le droit de se définir soi-même, de même que de définir pour soi les relations qui lui conviennent.
Je ne suis pas en train de prêcher en faveur des relations plurielles éthiques comme « modèle » ou « idéal » – si c’est l’impression que vous avez à me lire, j’en suis désolée : là n’est clairement pas mon intention.
En revanche, ce en quoi je crois, c’est qu’il est temps qu’on déconstruise le mythe de la monogamie comme « naturelle », « évidente » et « applicable à tou·tes ».
La monogamie convient à certain·es : tant mieux !
Mais elle ne convient pas à d’autres : c’est un fait.
Mon enjeu ici est donc bien qu' »on » ne cherche alors pas à la leur imposer comme « seul mode de relations valable ». Parce que par principe, aucun modèle relationnel ne peut s’appliquer à tou·tes. Parce que nous sommes toute·s différent·es.
Et en ce sens qu’elle remet en cause ces croyances qui nous sont transmises par notre culture et la société dans son ensemble (le prince charmant, etc.), la polyamorie est intrinsèquement politique et… révolutionnaire. Oui, j’assume.
La polyamorie remet en cause la structure hiérarchique à la base même de la société patriarcale : et je ne parle pas ici « seulement » de l’institution du mariage, mais bien au-delà – le principe même des rapports de force et de pouvoir entre les personnes, tels qu’ils sont définis sur une échelle sociale « verticale », avec des personnes qui seraient « supérieures » à d’autres.
Le mariage a été conçu comme un contrat social, entre autres pour garantir à l’homme qu’il transmettait bien son patrimoine à ses descendants biologiques – et non à ceux du voisin (quand bien même on le sait aujourd’hui, entre 10 à 20% des enfants ne seraient pas de leur père reconnu).
C’était un instrument de domination de l’homme sur la femme, considérée comme une sous-personne, comme une mineure (cela veut tout dire de la manière dont, encore aujourd’hui, on considère les enfants dans notre société comme des « sous-personnes » ; pensons aussi à cet héritage qui dit que, tant qu’une femme n’était pas mariée, elle restait une « mademoiselle », et n’avait pas le statut d’adulte réservé aux « madames »).
L’exclusivité était à l’origine bien plus imposée à la femme qu’à l’homme, qui a toujours joui d’indulgence à l’égard de ses aventures extra-conjugales.
Et à l’époque, d’ailleurs, le mariage n’avait rien à voir avec l’amour, mais bien avec la transmission du patrimoine.
Quand, dans les années 20 et 30, les femmes ont commencé à s’émanciper, et plus encore après-guerre, le mariage d’amour s’est généralisé, on a associé le sentiment d’amour… avec le contrat du mariage qui liait deux personnes pour le restant de leurs jours.
Sauf que… comment peut-on envisager même de s’engager sur la pérennité d’un sentiment ? Je peux te promettre d’être honnête, respectueuxe, fiable, fidèle au sens de « digne de confiance »… mais comment te promettre de t’aimer toujours ?
La fidélité ne signifie pas, pour moi, la même chose que l’exclusivité – sentimentale ou sexuelle.
Quand le mariage d’amour s’est généralisé, au lieu d’accorder aux femmes la même tolérance que celle qui s’appliquait jusque-là aux hommes sur leurs relations extra-conjugales (la contraception n’existait pas encore, ça restait « risqué » d’avoir un amant)… on a au contraire appliqué aux hommes la même exigence d’exclusivité.
Aie. Du coup, tout le monde logé à la même enseigne, piégé par le même contrat de base, implicite, d’exclusivité.
Certes. Mais aujourd’hui….?
Aujourd’hui, les femmes sont autonomes financièrement (même si leurs salaires sont encore inférieurs à ceux des hommes) et… on a la contraception !
D’où la question : à partir du moment où la sexualité est enfin dissociée de la procréation, au nom de quoi cette exigence implicite d’exclusivité a-t-elle encore lieu d’être ?
Une des réponses est : nos croyances ! Nos habitudes, la culture, le story-telling, tout ce passé que l’on a hérité de nos parents, grands-parents et romans, films et contes de fées…
Eh bien… c’est tout cela que la polyamorie vient remettre en cause.
Et c’est aussi en cela qu’elle dérange.
Parce qu’elle vient titiller à un endroit où on n’a pas nécessairement envie d’être titillé·e.
Parce que beaucoup d’entre nous ont grandi avec des idées toutes faites… auxquelles ielles croient et veulent croire. Parce que beaucoup d’entre nous, au nom de ces croyances, ont accepté, toléré, voire subi, beaucoup de choses qu’ielles n’auraient peut-être pas acceptées sinon.
Et quand un·e trublion·ne à qui on n’a rien demandé, vient secouer tout ça en disant : « C’est possible de faire autrement, si si, je t’assure ! », eh bien… on n’a pas nécessairement envie de l’entendre.
Parce que se dire qu’on s’est peut-être sacrifié·e toute sa vie en renonçant à des tentations parce qu’on croyait que c’était la condition sine qua non pour maintenir à flot son couple… et apprendre au détour du chemin qu’une autre voie était possible… franchement, je comprends que ça soit rageant !
Peut-être est-ce en réalité moins douloureux de balayer tout ça d’un revers de la main en disant : « C’est n’importe quoi ! Ça marche pas, ces trucs-là ! Si ça avait marché dans les années 70, ça se saurait ! »
Sauf que voilà : dans les années 70, on parlait de libération sexuelle, pas de relations éthiques et égalitaires, d’accueil des émotions et de communication compassionnelle.
Dans les années 70, le féminisme n’en était qu’à ses balbutiements. Et souvent, ce qui était mis en avant était une « injonction à jouir » ! Celleux qui ne souhaitaient pas se conformer au nouvel ordre libertaire – et surtout celles qui ne souhaitaient pas coucher avec ceux qui prêchaient cette « libération » ! – étaient critiqué·es, raillé·es, et taxé·es de « petit·es bourgeois·es ».
Ce n’est pas de cela dont il est question aujourd’hui avec la polyamorie, et en rien, l’idée n’est de remplacer une norme par une autre ! Bien au contraire.
Il ne s’agit pas de proposer la polyamorie comme « une meilleure manière de vivre nos relations ». Non non.
Juste en revanche de dire : c’est possible. Et si la monogamie imposée comme norme dans notre société ne vous convient pas, ou vous étouffe… alors sachez qu’il est possible de vivre autrement.
La polyamorie est une alternative à la monogamie.
L’idée est que chacun·e puisse choisir en conscience la manière dont ielle a envie de vivre ses relations.
C’est en ce sens que je n’ai pas peur de dire que la polyamorie est non seulement éthique, féministe, écologique, foncièrement politique, mais aussi… révolutionnaire !
Hâte de lire vos commentaires.
Au plaisir,
avec amour et bienveillance,
Isabelle
NB. Si vous souhaitez m’encourager à écrire mon livre sur la polyamorie et les relations positives et éthiques, vous pouvez :
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L’ascenseur relationnel, autrement dit la « norme » implicite dans notre société de ce qu’est – ou doit être pour être reconnue comme telle – une relation, conjugue certains éléments :
– un couple hétéro
– qui fait des enfants
– et est monogame / exclusif à vie.
Sauf qu’aujourd’hui, on admet :
– que les mariages homo puissent aussi être des mariages d’amour ;
– que certain·e·s puissent ne pas vouloir avoir d’enfants ;
– que les monogamies puissent être « sérielles » ou « séquentielles » : on n’est plus monogame « à vie », mais le temps d’une union donnée.
Autrement dit, notre regard sur ce que sont censés être – ou ne pas être – l’amour et une relation d’amour, évolue selon la période de l’histoire ou la culture données. Dans certains pays, l’amour homo n’a toujours pas droit de cité (j’en profite pour vous inviter à signer la pétition à propos des tortures et arrestations des homosexuels en Tchétchénie).
Or, je ne le répéterai jamais assez : personne ne peut me définir à ma place.
Si une personne se dit amoureuse… c’est qu’elle est amoureuse. Personne ne peut savoir à ma place ce qu’il se passe dans ma tête ou ce que je ressens. Le jugement des autres sur ce que je vis est tout simplement absurde : c’est du non-sens.
Peut-on alors imaginer que si certain·e·s continuent à dire des relations plurielles que « ce n’est pas vraiment de l’amour« , ou que « ce n’est pas possible d’aimer plusieurs personnes à la fois« , comme on l’entend encore tellement souvent, c’est leur jugement, leur point de vue, qui n’engagent qu’elleux et leur idée préconçue de ce qu’est l’amour ?
Peut-on accepter que seule la parole des personnes qui vivent ces relations plurielles a de la valeur pour définir ou qualifier ce qu’elles vivent ?
Peut-on espérer que, parce que de plus en plus d’entre nous assumerons au grand jour nos relations différentes, hors de l’ascenseur relationnel, le point de vue des « normo-pensants » pourra évoluer, de même qu’il a évolué pour les couples homo ?
Aujourd’hui, même si les mœurs évoluent (on ne croit plus à la monogamie “jusqu’à la mort » et on accepte les divorces et séparations, qui créent, de fait, des monogamies sérielles), le mythe de la monogamie tient toujours : si ce n’est plus « à vie », au moins le temps d’un couple.
Paradoxalement, on peut se demander si le mariage homo n’a pas en réalité renforcé ce mythe de l’idéal de la monogamie : de l’exclusivité sentimentale et sexuelle.
Si « même les homo », qui avaient plutôt une « réputation » d’ouverture et de de non-monogamie veulent de l’institution du mariage (sous-entendu, du mariage exclusif), alors c’est bien qu’elle a encore du sens…?
Sauf que dans les faits, selon les sondages, il semblerait qu’entre 50 à 80% des couples “mono” ne sont en réalité exclusifs qu’en apparence et en théorie : en effet, beaucoup reconnaissent avoir au moins une fois, fait une « entorse au contrat ».
Or la grande différence entre ces « entorses » que l’on nomme adultères ou infidélités, et la polyamorie… est précisément l’éthique.
L’adultère – aussi appelé infidélité : le fait d’être infidèle au contrat passé d’une exclusivité sentimentale et sexuelle – n’est en effet rien d’autre qu’une non-monogamie non-consensuelle (puisqu’au moins l’une des personnes concernées n’est pas au courant) – donc non-éthique.
Si la polyamorie dérange encore tant, n’est-ce pas parce qu’elle attire l’attention sur le fait que cette pratique « implicite » des relations maritales que constitue l’adultère (pensons à la tradition française du vaudeville !) est précisément non-éthique ?
Je me souviens de certaines critiques hyper virulentes à l’égard de mon premier long métrage Tout le plaisir est pour moi(*) qui parlait de clitoris, de masturbation féminine et encourageait les femmes à « prendre leur plaisir en mains » au lieu d’accuser leurs partenaires d’être « de mauvais amants ».
Je ne comprenais pas la véhémence de certaines, notamment des magazines féminins tels que Elle ou Marie-Claire (elles écrivaient que le film était « vulgaire » et « grossier » : or on peut lui faire plein de reproches… mais pas ceux-ci !), et ai posé la question à mon psy. Et sa réponse résonne encore à mes oreilles : Parce que votre film les confronte avec leurs propres compromis avec leur sexualité alors qu’elles ne vous ont rien demandé !
Et en effet, pendant les années qui ont suivi, je peux vous assurer que j’ai surveillé les unes des magazines : les premières sur la masturbation féminine sont arrivées… huit ans après seulement, en 2012.
Sans doute en 2004 était-il encore trop tôt pour un certain nombre de personnes, pour parler aussi ouvertement et librement de masturbation…
Eh bien, je me demande si ce n’est pas la même chose avec la polyamorie, et si on n’a pas là, juste quelques années d’avance sur le « grand public » !
En gros, tant qu’on vit en monogamie hypocrite (tout le monde se dit monogame tandis qu’une grande majorité triche ou ferme les yeux)… tout va bien.
Mais quand la polyamorie commence à faire parler d’elle et à s’afficher dans les magazines grand public (comme Marie-France en janvier dernier), elle déplace les projecteurs sur le côté non-éthique et non-consensuel des relations monogames hypocrites.
Et les gen·te·s n’ont pas nécessairement envie qu’on attire l’attention de leur conjoint·e sur leur éventuel désir “d’aller voir ailleurs”, ou de se confronter à l’idée que peut-être leur conjoint·e a des relations extra-maritales. Petits Arrangements avec l’amour, pour reprendre le titre d’un livre de Lucy Vincent.
Ielles ont peut-être envie de ne pas se confronter avec la réalité, parce que ça les arrange comme ça.
C’est le fameux Don’t ask, don’t tell. Si je ne le sais pas, ça n’existe pas. Je préfère ne pas savoir.
Et quand certain·e·s parlent alors ouvertement de non-monogamie consensuelle et éthique – ce qu’est la polyamorie – en jouant la carte de l’honnêteté, en travaillant sur leurs émotions, leurs éventuelles difficultés relationnelles, leurs ombres, leurs insécurités… eh bien, c’est comme avec Tout le plaisir est pour moi : ça renvoie peut-être certain·e·s à leurs propres non-dits, arrangements et compromis alors que… ielles n’avaient rien demandé !
Cela fait-il sens pour vous ?
Hâte de lire vos commentaires.
Avec plaisir,
amour et bienveillance,
Isa
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Au risque de paraître enfoncer une porte ouverte, ma pensée du jour va porter sur ce qui, pour moi, est peut-être mon grand principe de base –là où j’en suis aujourd’hui – et qui peut tenir en réalité en quelques mots assez simples :
L’AUTRE EST… AUTRE !
Aussi libre et respectable en tant qu’être humain que je le suis moi.
Et donc – là encore, je préfère mettre les points sur les « i » – : par définition même, intrinsèquement féministe.
D’ailleurs, nota bene au passage pour celleux auxquel·le·s ça aurait échappé jusqu’à présent : la polyamorie est – par définition – égalitaire, donc féministe : chaque partenaire a les mêmes droits, quel que soit son âge, son genre, son orientation sexuelle ou relationnelle.
En Espagne, où ielles semblent avoir quelques années d’avance sur nous, j’ai l’impression – pour ce que j’en ai vu – que la plupart des activistes poly sont aussi des activistes féministes.
J’apprécie de même particulièrement la description sur Facebook du groupe Black and Poly, dont les modérateurs ont organisé la projection de LUTINE à Oakland pour le Pride Day l’année dernière : Polyamory is an ethical form of non monogamy, rooted in feminism, with relationships that are typically geared around egalitarianism [equality for all] and is the practice, desire, or acceptance of having more than one intimate relationship at a time with the knowledge and consent of everyone involved.
J’aimerais qu’en France, de même, on ne puisse envisager la polyamorie en dehors du féminisme.
Une des questions que je me pose régulièrement est : comment revendiquer le féminisme en militant pour les droits des femmes, sans paraître être contre les hommes en tant qu’hommes ? – dérive dans laquelle j’ai malheureusement l’impression qu’il est facile de glisser.
Mon fils m’a un jour dit, alors qu’il avait dix ans : « Maman, qui tu vois quand tu me regardes ? Je ne suis pas mon père, je ne suis pas « les hommes », je suis moi, ton fils, et j’aimerais que tu me vois pour qui je suis, moi. » Évidemment, s’il me l’a dit ce jour-là, c’est parce qu’il savait que je pouvais l’entendre. Et j’en ai été bouleversée.
Oui, car « l’autre est autre » signifie aussi que l’autre n’est pas la projection que je peux avoir de lui – et qui m’appartient.
Si, quand mon fils donne une gifle à sa sœur – ce qu’il s’était passé ce jour-là, et qui m’avait littéralement fait sortir de mes gonds, par l’image que j’y avais projetée des violences faites aux femmes – je vois en effet en lui tous les hommes violents depuis la nuit des temps… alors je ne lui laisse aucune chance, je coupe la communication entre nous, et la relation » (l’histoire que je me raconte) est biaisée dès le départ : quoi qu’il puisse chercher à me dire, je serais fermée au dialogue.
Je souhaite m’inscrire en faux et lutter contre le système de la société patriarcale dans laquelle on a tou·te·s vu le jour et qui est construite sur une hiérarchie entre les individu·e·s – dont le principe même va à l’encontre de mes convictions les plus profondes – sans pour autant sembler reprocher aux hommes « qui » ils sont. Au contraire, un par un, leur donner entendre notre voix, les aider à voir à travers nos yeux, à vivre le monde via l’expérience que l’on en a.
L’autre étant autre, différent·e, séparé·e, et aussi respectable et libre que moi dans ses choix de vie, son libre-arbitre, ses désirs, je n’ai par principe, aucun « droit » sur elle ou lui. Quand ielle décide quelque chose, c’est son choix. Je peux parler de moi, de ce que ça provoque en moi, des émotions que peut-être ça réveille… mais ça reste son choix, sa vie. Chaque être est libre, absolument, intrinsèquement.
Et la seule façon de savoir ce que l’autre a en tête, quelles sont ses émotions, ses désirs, ou ses motivations… est de le lui demander. Ne pas faire de projections, de suppositions, d’hypothèses… qui ne sont que des pensées qui, par définition, m’appartiennent et n’ont rien à voir avec la réalité.
Demain… je reviendrai sur la pratique de la communication compassionnelle – terme que je préfère à « communication non-violente », car de manière générale, je n’aime pas ce qui se définit en « non-quelque chose » (dans « non-violente », j’entends encore la référence à « violente »).
Hâte de lire vos commentaires,
avec plaisir,
amour et bienveillance,
Isabelle
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Je termine ici en réalité mon article #2 sur la polyamorie définie comme : « la possibilité de vivre en parallèle plusieurs relations intimes consensuelles et éthiques« .
L’éthique fait pour moi partie intrinsèque de la polyamorie dès la création même du mot : en effet, si l’on en croit le récit de Deborah Anapol dans son livre Polyamory: The New Love Without Limits – repris par Alan McDonald sur son site polyinthemedia – le terme polyamory aurait été inventé par Oberon et Morning Glory Zell à la fin des années 80 pour remplacer en positif l’expression responsible non-monogamy. L’idée était de définir les relations multiples possibles entre plusieurs partenaires adultes et librement consentants en un seul mot :
à la fois de manière positive, et non plus sous la forme d’un « non-quelque chose » (« non-monogamie ») ;
et en incluant leur côté « responsable », qu’on peut comprendre comme un équivalent de « éthique » – par opposition avec les formes de non-monogamie qui ne le sont pas.
Certes, nos relations devraient toujours être consensuelles et éthiques.
Oui, mais voilà, dans les faits, elles ne le sont pas, et insister sur le côté éthique des relations poly permet de les distinguer d’autres formes de non-monogamie :
la polyamorie n’est pas la polygamie : où il s’agit d’unions ou de mariages (du grec ancien γάμος, gámos : union, mariage), etqui est a priori, non égalitaire ;
là où la polyamorie est égalitaire et féministe : chaque partenaire a les mêmes droits, quel que soit son genre, son âge, son orientation sexuelle ou relationnelle.
la polyamorie n’est pas de l’infidélité ou de l’adultère : puisque par définition, dans l’adultère, l’un·e des partenaires n’étant pas au courant, ielle ne peut pas être consentant·e.
enfin, la polyamorie n’est pas le libertinage,qui est une non-exclusivité consensuelle, certes, mais principalement liée à la sexualité ; là où la polyamorie insiste sur des relations entre les partenaires (qui peuvent d’ailleurs être asexuelles).
J’insiste aussi sur le mot de « possibilité » – et non pratique dans les faits – de vivre des relations plurielles : comme le dit Françoise Simpère dans LUTINE, l’important est « que la porte soit ouverte, pas de la franchir tous les jours. »
Pour moi, la polyamorie comprend ainsi en réalité ce que j’ai défini comme une « monogamie positive« , qui serait choisie en conscience par deux partenaires qui décideraient d’être monogames tant que ça leur convient à l’un·e et à l’autre, tout en se mettant d’accord que si l’un·e des deux a un jour envie d’ouvrir leur relation, ielles pourront en parler, sans que cela ne la remette en question.
Quand on parle d’éthique, par définition, on tient compte du consentement de l’autre : libre, éclairé et révocable.
On parle ici de culture du consentement :chaque partenaire d’une relation est au courant, et d’accord, sur ses modalités.
Pour moi, cette culture du consentement s’oppose à deux autres formes malheureusement trop souvent vécues, voire subies, dans les relations :
d’une part à ce qu’on appelle la « culture du viol », où l’un·e prend le pouvoir sur l’autre et nie son ressenti, l’accusant en miroir d’être responsable de la situation ;
d’autre part et plus largement, à la violence et aux relations abusives “ordinaires”. J’y reviendrai plus en détails : c’est en réalité une de mes motivations pour écrire ici.
Aujourd’hui plus que jamais, je souhaite parler ici d’éthique, de respect, et d’amour.
Avec amour, soutien, et bienveillance,
Isabelle
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En effet, contrairement notamment aux créateurs du site polyamour.info en 2008, je choisis moi, de « traduire » en français le néologisme américain « polyamory » non pas par « polyamour », mais par « polyamorie ». Comme les Allemand·es et les Néerlandais·es, qui disent « Die Polyamorie« , et non de « Die Polyliebe » (je me dis que si les créateurices du mot « polyamory » avaient voulu parler de « poly-amour », ielles auraient créé « poly-love« ).
Ah, donc « polyamour » ou aujourd’hui « polyamorie » que tu nous proposes, est une traduction à l’origine d’un néologisme américain ?
Voilà. Polyamory est à l’origine composé d’une racine grecque – poly : plusieurs – et d’une racine latine – amor: amour (on est d’accord, ça ne se « fait pas », de mélanger comme ça le grec et le latin : c’est pourquoi certain·es proposent « multiamory« ou « polyphilia« !). Et en même temps… ben voilà, quoi : le mot existe et est même entré dans le Oxford Dictionary (certes avec une définition foireuse : personne n’est parfait·e…).
OK. Va pour polyamory. Mais donc, pourquoi « polyamorie » et non « polyamour » ?
Parce qu’en français, quand on entend le mot « amour », on pense souvent à l’Amour avec un grand A ; autrement dit, la passion amoureuse. On pense à « être amoureuxe ».
Or si, quand on choisit de vivre en Polyamorie, il est en effet possible de vivre plusieurs relations amoureuses (au sens de « romantiques ») en parallèle – tant que toutes les personnes concernées sont au courant et d’accord : c’est là qu’on parle d’éthique, et nous y reviendrons, puisque c’est le sujet même de cette série d’articles ! – la polyamorie est en réalité plus largement la possibilitéde vivre en parallèle plusieurs relations intimes – qu’elles soient amoureuses ou non, sexuelles ou non – dans un cadre consensuel et éthique.
On peut en effet être « poly » et aromantique, « poly » et asexuel·le.
Quand on parle de polyamorie – i.e. de relations plurielles ou non-exclusives éthiques – on ne parle en effet pas d' »Amour » – en tout cas, pas nécessairement.
Or en français, comme on entend « polyAmour » (et c’est la même chose en italien avec poliamore, et en espagnol avec poliamor), on croit comprendre de quoi il s’agit : de plusieurs « amours » ou relations « amoureuses ». Mais non. Ça peut, mais pas seulement.
De même avec l’adjectif « polyamoureuxe. » En anglais, « polyamorous » ne veut pas dire « être amoureuxe de plusieurs personnes », mais « être attiré·e » par (attracted to) plusieurs personnes (définition dans le Oxford Dictionary: Showing, feeling, or relating to sexual desire. Ah oui, zut, on a dit qu’il était nase pour « polyamory » !)
Comment on fait alors, pour l’adjectif ? Je propose « poly« , tout simplement (ça marche à tous les coups et dans toutes les langues) ou bien alors, comme la forme nominale « polyamorist » en anglais : « polyamoriste » (bon, j’admets, c’est pas très joli…).
POLY-QUOI ?
En anglais, quand quelqu’un·e qui n’a jamais entendu parler de polyamory entend le mot pour la première fois, ielle est obligé·e de poser la question : de quoi s’agit-il ?
En français, en revanche, si on parle de « polyamour », il se peut que la personne se dise : « Si jesuis amoureuxe de maon partenaire ET de mon amant·e, ça fait de moi un·e polyamoureuxe. »
Eh bien… non !
Car si l’adultère est (comme la polyamorie) une forme de non-exclusivité, elle est (contrairement à la polyamorie) non-consensuelle… donc non-éthique : puisqu’au moins une des personnes n’étant pas au courant, elle ne peut être d’accord.
Vous me suivez ? (Si non, pas de panique : ce sera tout l’objet de l’article de demain !)
L’idée, en adoptant le mot « polyamorie », est donc de créer la même interrogation chez notre interlocuteurice en français, qu’en anglais : Pardon, tu peux répéter ? Poly… quoi ? De quoi tu parles ? Jamais entendu !
Et hop, le tour est joué, et on peut commencer à définir… et à parler consentement, éthique, tout ça, quoi.
Et ça… c’est pour demain !
Hâte de lire vos commentaires,
avec plaisir, amour et bienveillance,
Isabelle
NB. Si vous souhaitez m’encourager à écrire mon livre sur la polyamorie et les relations positives et éthiques, vous pouvez :
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Quoi ? 21 jours annoncés et, une fois passé le récap’ du 22ème jour, je joue les prolongations ? Et oui ! Car des imprévus de la vie se sont parfois invités sur mes pages (je pense notamment à mes articles #2. Détournement, #9. Le Choc et #20. Indulgence) et je tenais absolument à cet article sur la polyamorie, bien que j’en ai déjà beaucoup parlé dans mes 21 jours de Voyage en Polyamorie…
Non seulement, en effet, je suis loin d’en avoir fait le tour, mais aussi, c’est pour moi l’aboutissement naturel de mes articles sur les « relations positives », même si, on l’aura compris, pour moi, les caractéristiques des relations « positives » que j’ai essayé de mettre en valeur (consentement, réciprocité, harmonie, accueil des émotions, sécurité, empathie, prendre soin, collaboration, attachement, connexion, réparation, indulgence…) valent autant pour toutes nos relations que nos seules relations sexo-affectives, comme les appellent nos ami·es espagnol·es.
En effet, je suis toujours surprise quand je lis des essais sur la communication non violente, ou par exemple les livres remarquables du moine bouddhiste vietnamien auquel je dois ma cloche de pleine conscience, Thich Nhat Hanh, sur l’amour : How to Loveet True Love, ou encore celui de bell hooks, all about love… mais aussi tous les livres sur les couples, tel que celui d’Ywane Viart (Couple heureux) ou encore ceux de John Gottman dont j’ai beaucoup parlé au cours de ces articles… d’être d’accord avec eux sur tous les points… jusqu’au moment où il est soudain question d’exclusivité – ou non.
Commençons par un petit point de vocabulaire, afin de bien tou·tes parler de la même chose : à propos des couples, il est commun de parler de « fidélité » d’un côté, « d’infidélité » de l’autre.
Pour moi, la « fidélité » n’a rien à voir avec l’exclusivité (sexuelle ou amoureuse) : le mot « fidélité » vient du latin fides, fidei, qui veut dire confiance.
Être « fidèle », c’est être fidèle à ses idées, à ses promesses, à ses engagements ; c’est être digne de foi, au sens de confiance ; quelqu’un·e de « fidèle », c’est quelqu’un·e qui est « fiable« , sur qui on peut compter. Je fais ce que je dis, je dis ce que je fais.
Françoise Simpère, l’autrice du Guide des Amours plurielles, se présente comme « fidèle mais non exclusive », et « fidèle à tous ses amants ». Ce qu’habituellement on nomme « fidélité » dans une relation amoureuse… est bien en réalité de « l’exclusivité ».
En revanche, je peux comprendre qu’on parle d’ « infidélité » à propos d’un adultère quand le contrat entre deux personnes était l’exclusivité : il s’agit bien d’avoir « trompé » saon partenaire, d’avoir trahi sa confiance. On n’a pas été « fidèle » à la parole donnée ou au contrat passé.
Et souvent, précisément, ce qui fait le plus mal dans les histoires d’adultères, ce n’est pas tant le fait que votre partenaire a – ou a eu – une relation intime avec quelqu’un·e d’autre, que celui qu’ielle vous l’ait caché, qu’ielle vous ait trompé·e, ait trahi votre confiance.
Revenons à la question qui me taraude : la quasi totalité des auteurices qui écrivent sur les couples et les relations d’amour continuent à prôner l’exclusivité (sexuelle ou amoureuse) comme un élément fondamental d’une relation heureuse.
Pourquoi pas, en effet, si cela leur convient à elleux ?
Mais pourquoi vouloir étendre et imposer leur vision à tou·tes les autres ?
L’autre soir, au café poly de Paris, un·e des participant·es a posé la question : depuis combien de temps l’exclusivité est-elle mise en avant comme essentielle au sein d’une union heureuse ?
En réalité, seulement depuis le XIXème siècle romantique, et même plus tard, quand, après des mariages arrangés pour des raisons économiques et de transmission du patrimoine (dans notre société patriarcale hiérarchique), on a commencé à vouloir associer le mariage et l’amour.
Auparavant, on vivait d’un côté son mariage, cette relation sociale de longue durée, et de l’autre ses histoires d’amour, souvent plus courtes. Les femmes étaient tenues à l’exclusivité pour ne pas risquer de tomber enceintes d’un autre homme que leur mari (les chiffres, encore aujourd’hui, des enfants dont le père biologique n’est pas le père officiel sont impressionnants : environ 20%, paraît-il) ; et il était admis que les hommes aient des maîtresses, du moment qu’ils avaient la délicatesse de rester discrets : d’où la grande tradition du vaudeville dans le théâtre français.
Et dans les années 50 (c’est donc en réalité très récent : ça date de mes grands-parents !), quand le mariage d’amour s’est généralisé, et puisque la contraception n’existait pas et que les femmes auraient fait courir un risque à « la famille » si elles avaient eu plusieurs relations… au lieu d’étendre aux femmes la liberté accordée aux hommes, c’est aux hommes qu’on a étendu la contrainte imposée aux femmes. Et les un·es comme les autres se sont alors imposé mutuellement cette sacro-sainte « exclusivité ».
Sauf que… jamais les femmes et les hommes n’ont été réellement exclusif·ves. Jamais « vraiment ». Certain·es, oui, bien sûr. Mais statistiquement… non.
Les chiffres des adultères sont en effet impressionnants : on estime, selon les sondages (sachant que les femmes semblent avoir tendance à minimiser et les hommes, à exagérer), qu’il y aurait, après cinq ans de vie commune, entre 50 à 80% des couples dont l’un·e aurait au moins une fois trompé l’autre. Étant entendu que les sondages tiennent compte des couples « mariés », en n’interrogeant pas les gens en unions libres, et encore moins les couples non cohabitants, pourtant de plus en plus nombreux.
Alors quoi ? La société, la culture, les « autres », les comédies romantiques, les dessins animés de Walt Disney, nous encouragent à être exclusif·ves – et nous culpabilisent si on ne l’est pas – en nous faisant croire que tout le monde l’est autour de nous… quand en réalité, la majorité des gens se trompent, ou se sont trompé·es, ou se tromperont.
Comme ielle pense être « a-normal·e », cellui qui « trompe » le vit souvent (pas toujours, mais souvent…) avec difficulté, culpabilité : ielle hésite, s’en veut, voudrait arrêter, n’ose pas l’avouer de peur de faire mal à l’autre et de mettre en péril la relation. Et comme on nous fait croire que si on va « voir ailleurs », c’est que quelque chose ne va pas / plus dans notre couple, alors ielle se demande si ielle aime encore vraiment saon partenaire. Et comme nos pensées créent notre réalité…
À ce titre, le témoignage de mon amie Michèle dans LUTINE me paraît éloquent :
« J’ai trompé mon mari : je suis tombée éperdument amoureuse de quelqu’un d’autre un jour, et je l’ai trompé – l’adultère classique. Je l’ai bien vécu pendant un certain temps, et puis après, j’ai culpabilisé énormément, et j’ai arrêté la relation de ce fait. À l’époque, je me disais que j’étais complètement dingue. Surtout, je pensais que quand on trompait son conjoint, c’est qu’on ne l’aimait plus. Et là, je me regardais et je me disais : « Je l’aime toujours, je n’ai pas du tout envie de le quitter, je veux continuer à vivre avec lui… » »
Quant à cellui qui est trompé·e, quand l’adultère est découvert – et c’est souvent le cas – c’est sa vie qui s’écroule – et pour cause : comment faire confiance à une personne qui vous a menti, parfois depuis de longues années ? Comment reconstruire une confiance entamée ? Comment ne pas réécrire le passé, se dire que tout ce qu’on a vécu était « faux », factice ?
J’ai trompé… parce que je ne me voyais pas renoncer à d’autres alors que je savais, moi, que ça ne remettait pas en cause mes sentiments ni mon désir de rester avec mon partenaire et qu’il m’avait prévenue que si je le trompais, il me quitterait… Quelle solution avais-je alors ? Me frustrer, me couper de mes désirs… ou le tromper. Lui parler, en effet, n’était pas une option, puisque l’issue en était connue à l’avance. Et j’ai été trompée. Plusieurs fois, bien sûr, en plus de vingt-ans de vie de couple, toutes mises bout à bout. À chaque fois, la douleur a été intense, même quand une fois, j’ai découvert le pot-aux-roses une fois séparé·s : le sentiment de trahison, de tromperie, restait le même.
Bien sûr, si dans un couple, l’un·e et l’autre sont très heureuxes et épanoui·es en étant exclusif.ves, sans frustration, sans doutes, sans désirs extérieurs… tant mieux !
Mais quand c’est la société, la culture, et les autres… qui nous imposent l’exclusivité, quand c’est une obligation, une contrainte sociale morale et normative, quand soi-même on sent qu’on aurait envie d’autre chose, ou même on fait autre chose… comment se sentir véritablement heureuxe et épanoui·e ?
Il arrive aussi qu’on s’impose à soi-même l’exclusivité, par idéologie, par respect du contrat passé, et non par réel désir… mais comment être sûr·e à 100% que c’est aussi le cas de notre conjoint·e, quand on sait que tant de couples traversent un jour ou l’autre une situation d’adultère ? Comment ne pas se demander : Et si ielle me trompait, le saurais-je ? Comment faire confiance à l’autre, quand on sait que tant se trompent ? Pourquoi en serait-il différemment avec nous ? Pourquoi serions-nous l’exception ?
À chaque fois que je parle avec quelqu’un·e qui me dit : Je n’ai jamais trompé maon partenaire, et ellui non plus, je pense : Comment peut-ielle en être si sûr·e ? Comment savoir ce que vit l’autre en réalité ? Combien de thérapeutes de couples ont recueilli séparément la parole de chacun·e des deux partenaires d’un couple qui leur ont avoué qu’ielles avaient trompé leur partenaire… mais n’ont jamais osé le reconnaître devant læ-dit·e partenaire ?
Il me semble que notre société, sur ce sujet comme sur bien d’autres, marche la tête à l’envers. On privilégie les apparences, les faux-semblants, l’hypocrisie.
Un mari qui trompe sa femme – ou une femme qui trompe son mari, car c’est de plus en plus équitablement réparti – est souvent plus proche de sa ou ses maîtresses, que de sa femme, à laquelle il ne peut plus confier ses émotions ou ses sentiments les plus intimes.
Parfois, il triche aussi avec ses amis, qui sont les « amis du couple », car il ne souhaite pas trahir sa femme une seconde fois. Donc après s’être coupé de sa femme, il se coupe émotionnellement de ses amis.
Tant de gens vivent ainsi en dehors de leur propre vie, coupé·es d’elleux-mêmes et de leurs proches, portant un masque, faisant semblant.
Et souvent, un jour, parce que leur relation principale s’est distendue, petit à petit, à force de ne plus pouvoir se confier l’un à l’autre, ielles tombent amoureux de quelqu’un·e d’autre, se séparent, et… repartent pour un cycle.
Combien de personnes, dans notre société, sont réellement « monogames » au sens où on voudrait nous le faire croire : unies à une seule et même personne « pour toute la vie » ? En réalité, la plupart sont bien plus souvent des « monogames sériel·les » : enchaînant les unions (théoriquement) monogames, avec souvent des périodes d’adultères entre deux.
Alors, quoi ? Comment les auteurices qui nous parlent de communication positive, d’authenticité, d’accueillir les émotions, d’entendre les désirs et les besoins de l’autre avec nos oreilles de girafe, d’être capable d’exprimer nos demandes… peuvent-ielles par ailleurs continuer à prôner une monogamie de façade, une monogamie théorique… mais pas réelle dans les faits, statistiquement ?
Il me semble, moi, que si on veut être en cohérence avec ce que l’on prône : la communication compassionnelle, la bienveillance, l’écoute empathique, le non-jugement, l’accueil des émotions, désirs, besoins, demandes de soi-même et de l’autre… on ne peut que s’ouvrir à la polyamorie, définie comme : « la possibilité de vivre simultanément plusieurs relations intimes de manière consensuelle et éthique. »
Autrement dit, il ne s’agit pas d’avoir nécessairement, de fait, plusieurs relations, mais au moins de pouvoir en parler, l’envisager, sans que la relation ne soit remise en question. Il s’agit d’accueillir les émotions et les sentiments de l’autre comme lui appartenant, parce qu’ielle est un·e être libre, autonome, séparé·e de nous.
Si maon partenaire a envie d’avoir une relation avec quelqu’un·e d’autre en plus de moi (je ne parle pas d’une relation qui se soit essoufflée au point où la relation extérieure soit le symptôme d’un malaise) et que pour ellui, ça ne remet pas en cause notre relation… au nom de quoi, de quel droit, pourrais-je m’y opposer ?
Évidemment, ça n’est pas si simple, et on arrive là au cœur même de ce qui fait le quotidien d’une relation poly : vivre avec ses émotions, le délicat équilibre entre d’un côté la liberté et les désirs de l’un·e, et de l’autre, les peurs et insécurité de saon partenaire. Ce n’est pas l’enjeu de cet article de répondre à ces questions : comment on fait, au jour le jour, pour vivre avec ses émotions, apprivoiser ses insécurités, créer un attachement sécure au sein d’une relation poly ? (Si cela vous intéresse, je vous renvoie aux 21 articles de mon Voyage en Polyamorieet aux nombreux livres ou sites consacrés à ce sujet).
En revanche, mon idée était bien de montrer que lorsque l’on va au bout des idées de tolérance, bienveillance, non-jugement, accueil des émotions, communication non violente… au sein d’un couple, il me semble que l’on ne peut, en toute cohérence, qu’au moins s’ouvrir à la discussion sur les amours plurielles.
En effet, si maon partenaire en a envie (même si moi, je préférerais qu’ielle n’en ait pas envie…), alors n’est-il pas de ma responsabilité, si je veux être en cohérence avec moi-même, de travailler sur moi, afin de lui rendre possible l’expression et la pratique de ses désirs ou de ses sentiments pour d’autres ?
C’est en ce sens que pour moi, ce que j’ai appelé la « monogamie positive » – à savoir une relation dans laquelle il est entendu que si l’un·e des deux a un jour envie d’ouvrir le couple, alors l’autre fera en sorte de travailler sur soi pour lui permettre de vivre ce qu’ielle a à vivre -fait partie de ma définition de la polyamorie.
Et donc la polyamorie, étant entendue comme la possibilité de vivre des relations plurielles de façon consensuelle et éthique, correspond à ma définition d’une relation positive.
Waouh.
Voici donc la fin de cette série d’articles.
Je remercie celleux qui auront eu la patience de lire cet article-ci jusqu’au bout… et m’empresse de vous demander : qu’en pensez-vous ? Hâte de lire vos commentaires !
Une fois de plus, je dois avouer que tout au long de ces 21 articles (sur 22 jours), j’ai adoré me laisser surprendre, jour après jour, par ce que j’écrivais, et qui ne correspondait souvent pas à ce que j’avais imaginé ou programmé.
Voilà donc ici un petit récap’ avant – je m’en réjouis déjà – un… (si si !) 23ème article demain, qui conclura ces 21 articles pour des relations positives par… une réflexion sur la polyamorie.
Intentions : ma déclaration d’intentions, ou « note d’intentions », comme on dit pour accompagner un projet de film : ici, il s’agit d’un projet de livre ;
Détournement : où, dès le 2ème jour, je n’écris pas l’article que j’avais en tête, et passe par le détour imposé d’une relation qui – force est de le constater – n’est pas positive ;
Direction : où je propose une cartographie de ce dont je souhaite parler au cours de ces articles ;
Besoins fondamentaux : les 5 besoins fondamentaux selon William Glasser, une alternative à la pyramide de Maslow, où l’amour et le plaisir trouvent enfin la place, que, selon moi, ils méritent, aux côtés de la sécurité, de la liberté et du pouvoir ;
Prendre le temps : où je découvre le plaisir d’être le témoin d’une relation positive entre une maman et sa toute petite fille de 18 mois ;
Harmonie : où une lectrice me donne l’idée de parler, en effet, de relations « harmonieuses », où l’on considère une relation comme une danse, comme une co-création ;
Température des relations : où je me risque à dessiner une échelle des relations, car une relation positive ne se définit pas seulement par ce qu’elle n’est pas : une relation abusive, voire toxique : non, c’est bien mieux que ça !
Le choc : suite au séisme ressenti par le résultat des élections américaines, un hommage à la femme combative et à l’énergie communicative qu’est Michelle Obama ;
Consentement : le premier des deux articles sur le consentement : comme l’accueil des émotions, le fondement même pour moi, d’une relation positive, le respect absolu de l’autre comme une personne libre et autonome, dont les émotions, les sentiments, les désirs, les besoins, ont autant de valeur que les nôtres ;
Paix : en ce jour de commémoration de l’Armistice de 1918, un hommage à nos arrière-grands-pères, et pour que « plus jamais ça », et vive le « Man-Kind Project » !
Sécurité : l’un de nos cinq besoins fondamentaux : sans sécurité, on survit en mode « stress », voire « sidération » ou « dissociation », et rien n’est possible ;
Écoute empathique : savoir écouter est essentiel pour comprendre vraiment qui est l’autre, et pouvoir l’accueillir tel.le qu’ielle est ;
Connexion : quand on se sent mal, ou triste, il est important de créer du lien (du linking) pour se reconnecter à soi-même et à celles et ceux qui nous aiment et qu’on aime ;
Réparation : il peut arriver qu’on ait un comportement abusif au sein même d’une relation par ailleurs positive : l’important est alors de le reconnaître, de pouvoir en parler, présenter ses excuses et de faire de son mieux pour réparer la relation alors mise à mal ;
Prendre soin de nos relations comme on prendrait soin d’une plante, au quotidien et avec des petits gestes qui, mis bout à bout, s’avèrent vitaux pour qu’une relation puisse s’épanouir et nous épanouir : le ratio de 5:1, voire 7:1 quand il s’agit d’un couple, d’interactions positives versus des négatives, repéré par John Gottman ;
Attachement : où je me risque enfin à cet article sur l’attachement auquel je songe depuis longtemps : ce n’est que la première étape d’une longue réflexion, à n’en pas douter ; où il est rassurant d’apprendre qu’on peut travailler sur son attachement, et le faire évoluer d’un attachement insécure, à un attachement sécure : une relation positive sont le lieu même de notre avancée vers un meilleur nous-même.
La Roue du consentement : d’après les travaux de Betty Martin ; un outil précieux et dont je n’ai pas encore fait le tour (vous apprécierez le jeu de mot !) ;
Collaboration : où je donne la parole à mon aimé, car une relation positive se crée à deux ;
Indulgence : où l’indulgence envers soi-même est au moins aussi importante que l’indulgence envers l’autre… et où j’assume de m’être autorisée à sauter un jour dans mon écriture ;
Réciprocité : où il est question des « bids for connexion » repérés par John G. Gottman et de ne pouvoir travailler que sur sa propre moitié de la relation ;
Nous y voici !
Des relations positives à la polyamorie : et si on parlait de la même chose ?
Allez hop ! J’ai toujours bien fonctionné aux dates anniversaires, aux rituels et aux défis : après 13 jours devenus 21 de pensée positive entamés le 1er novembre 2014, 21 jours de Mindsight le 1er novembre 2015 et 21 jours de Voyage en Polyamorie le 1er mai 2016… me voilà repartie pour… 21 jours d’affilée d’articles pour des relations positives. Yeah !
Ma motivation est plurielle (pour ne pas dire « poly »…) : d’une part, à titre totalement personnel, me « remettre le pied à l’étrier » de l’écriture. En effet, facilement débordée par les différentes activités que je développe autour de mon film LUTINE et qui m’éloignent de l’espace intime de réflexion et d’introspection dont j’ai besoin pour écrire, j’ai parfois l’impression de m’éparpiller, me disperser et de… perdre mon centre.
Si je m’astreins – et m’engage publiquement – à publier un article de blog, même court, par jour, je renoue avec ce temps d’absolue solitude et de silence qui me sont en réalité vitaux pour me sentir bien avec moi-même… et je retrouve le plaisir de l’écriture en activant les zones de récompense dans mon cerveau, grâce à la satisfaction ressentie devant un objectif atteint, jour après jour.
Et une fois que je me serai à nouveau prouvé à moi-même que si je le décide, je peux écrire au moins deux à trois heures par jour, même si j’ai 50000 autres choses urgentes à faire par ailleurs, une fois que j’aurais retrouvé cette discipline – car c’en est une -, me remettre à mon nouveau scénario me sera plus aisé.
Par ailleurs, voilà plusieurs mois que je songe à un livre que je souhaite écrire pour mes enfants, pour leur « léguer » ce que j’ai compris des relations. Je pensais déjà à eux quand j’ai entrepris d’écrire sur la pensée positive – qui m’a littéralement sauvée d’une déprime annoncée il y a deux ans – mais aussi quand j’ai choisi d’écrire sur la polyamorie il y a six mois.
C’est en réalité au cours de ce Voyage en Polyamorie que j’en suis venue à définir celle-ci, non pas comme le fait d’entretenir plusieurs relations en parallèle, mais comme la possibilité d’entretenir plus d’une relation, dans un cadre consensuel et éthique.
Et c’est ainsi que j’en ai conclu qu’un couple qui prendrait en conscience la décision de vivre en monogamie jusqu’au jour où l’un·e des deux souhaiterait en rediscuter, serait, pour moi, « poly » : c’est ce que j’ai appelé la « monogamie positive ». Et ce n’est que récemment que j’ai découvert, très heureuse, que c’était ainsi que définissait déjà la polyamorie Deborah Anapol dans ses livres Polyamory: The New Love Without Limitset Polyamory in the 21st Century.
Je me suis alors dit que ce qui importait pour moi, ce que je souhaitais transmettre, ce n’était pas tant l’enjeu des relations « plurielles », que celui de relations positives et en conscience. Autrement dit, de pouvoir créer – « designer » en anglais –sa relation sur mesure.
Le sentiment que j’ai, c’est que si on définit des relations comme « positives » (par opposition peut-être dans un premier temps à « toxiques », voire à « abusives ») en partant d’outils tels que le non-jugement, la gestion des émotions et la communication non-violente, alors il y a des chances pour qu’on arrive, dans le cadre des relations intimes, à la Polyamorie – entendue donc comme la possibilité de relations multiples consensuelles et éthiques.
Mon objectif est, au cours de ces 21 jours d’articles d’affilée, de définir ce que sont pour moi des relations « positives », afin qu’ensuite chacun.e puisse choisir en conscience de s’engager ou de rester – ou non – dans une relation, et d’y travailler au quotidien.
Car bien qu’elle ne soit malheureusement pas enseignée à l’école (et pour cause : la majorité des enseignant·es comme des parents ne sont elleux-mêmes pas formé·es), une communication positive, ça s’apprend, de même qu’on peut apprendre à développer des relations positives – mais encore faut-il savoir que de telles relations sont possibles.
Si je l’avais en effet su étant jeune, je pense que je me serais épargné beaucoup de souffrances et d’incompréhensions.
C’est tout l’enjeu que je me fixe ici : dessiner une cartographie de ce que je définis comme des relations positives, et répertorier des outils qui nous y aident, afin de transmettre (et garder une trace pour moi-même) de ce que j’ai peu à peu compris et vécu – depuis seulement quelques années… – avec pour objectif assumé d’être le plus heureuse et épanouie possible au quotidien.
Me voilà arrivée au terme de ce Voyage en Polyamorie, que j’avais annoncé sur 21 jours. Et je me dis qu’en réalité, ce n’est qu’un début.
Je ne sais pas vraiment pourquoi j’ai entamé ce voyage, ni ce que j’en attendais. Je savais juste que j’avais besoin de l’entreprendre. Je souhaitais suivre cette petite lumière qui s’était allumée en moi un jour, comme une voix venue de l’extérieur (ou au contraire, du plus profond de ma conscience) m’indiquant le chemin (#4. 3. L’Éveil à moi-même). Alors je l’ai fait.
Et non seulement j’ai appris beaucoup sur moi-même, avancé sur mon propre chemin, mais ce voyage m’a permis d’entrer en contact avec d’autres personnes, certaines plus loin sur la route, d’autres derrière moi, d’autres encore sur des routes parallèles, mais néanmoins amies, et ça m’a aidée – enrichie, nourrie, et réchauffée.
Que toutes celles et tous ceux qui m’ont accompagnée tout au long de ces 21 jours – et particulièrement Élisende Coladan, qui a relevé le défi avec moi et dont je vous invite à découvrir les articles en-dessous de chacun des miens – en soient profondément et chaleureusement remercié.e.s.
Que toutes celles et tous ceux qui découvriront ce blog dans un temps décalé se sentent aussi les bienvenu.e.s : le voyage continue, et ce n’est qu’un début. N’hésitez pas à relever le défi vous-même, à jouer le jeu sur 21 jours pour parler de votre expérience ou de vos débuts en Polyamorie… ou simplement à commenter un article ou l’autre.
Car prendre ce temps de réflexion sur soi-même, s’interroger sur ce que l’on croit vraiment, attend vraiment, souhaite vraiment, pour soi-même, dans les relations amoureuses, et plus largement dans toutes les relations humaines… est un temps émouvant de reconnexion avec soi-même et ses valeurs profondes.
Un des livres qui m’aide vraiment au quotidien depuis que je l’ai découvert il y a trois ans, est L’Apprentissage de l’imperfection, de Tal Ben-Shahar. Là aussi, il s’agit de lâcher prise. De préférer « écrire de la merde« , comme m’avait dit une amie réalisatrice, plutôt que de ne rien écrire du tout. En temps « normal », et les premières 44 années de ma vie, j’ai souvent préféré ne rien faire… plutôt que de prendre le risque de faire quelque chose qui ne serait pas « parfait » (enfin, « préféré », n’est pas vraiment le mot…- la procrastination est une souffrance aussi.)
Ce qui a marché ici – et une fois de plus, je veux en retenir la leçon – c’est que m’a appris Florence Servan-Schreiber dans ses 3 Kifs par jour avec son image de « jeter son sac par-dessus le muret » : avoir pris un engagement public de tenir ce défi de 21 jours d’articles d’affilée. Résultat : même bloquée par un lumbago, et alors qu’en temps normal, je me serais accordé une « pause », je me suis tenue à mon engagement, et j’ai écrit.
J’ai rarement relu ces articles. Jour après jour, je me jetais à l’eau, sans filet. Si j’avais dû écrire un livre, seule chez moi et sans lecteurs/trices, j’en serais encore certainement au premier chapitre… et je n’aurais pas eu tous ces retours éclairants, enrichissants, m’aidant à avancer plus avant.
Sans doute, quand je me risquerai à les relire, il y a des chances que je les trouve très mauvais, ces articles. Mais ils me sont précieux néanmoins : ils constituent pour moi un « shitty first draft » : une base de travail, à partir de laquelle je pourrais modifier, gommer, ajouter, moduler…
Je ne sais pas encore ce que j’en ferai… Peut-être un livret d’accompagnement de mon film LUTINE, pour prolonger le dialogue avec les spectateurs/trices. Peut-être carrément un livre, d’abord un e-book, comme Hypatia from Space est en train de rédiger sur la compersion ? Il me semble que plus nous serons nombreux.ses à prendre la parole, à nous « outer », plus nous pourrons aider les autres, à s’assumer, elles et eux aussi, différent.e.s, et fier.e.s de l’être.
J’ai appris tout à l’heure que LUTINE serait projeté à nouveau à San Francisco (ou Berkeley ?) le 26 juin, le jour même de la fierté : Pride Day. Waouh !
En effet, depuis que j’ai entamé ce voyage, je me sens de plus en plus d’affinités et de connexions avec la communauté LGBTQI+. Jusqu’à présent, je faisais partie de la « norme » : femme cis hétéro blanche, en couple, deux enfants, séparée…
Et en même temps, je me suis toujours sentie « différente ». Je sentais que je ne rentrais pas dans les cases. J’étais tour à tour rebelle, et profondément déprimée : je n’y arriverais donc jamais, je ne comprenais pas comment fonctionnait cette société, ce qui régit les rapports entre les gens.
Deux éléments ont sans aucun doute contribué à ce que je me « réconcilie » avec moi-même, à ce que je commence à m’accepter telle que je suis : la découverte de ma douance, quand j’ai lu Je pense trop, de Christel Petitcollin, tout à fait « par hasard » (je l’avais contactée parce que je préparais un documentaire sur les violences psychologiques au sein du couple) et l’accueil dans la communauté poly parisienne, où j’ai découvert que beaucoup, comme moi, étaient « surefficients », neuro-droitiers, ou neuroatypiques.
Ce Voyage en Polyamorie marque en réalité mon coming out. Dans LUTINE, mon personnage adopte une position ambiguë – qui était la mienne, certainement, au moment où j’ai écrit et tourné : « Ce n’est pas parce qu’on fait un film sur les escargots, qu’on est hermaphrodite ».
Je craignais d’éventuelles retombées si je prenais « le risque » d’avancer au grand jour, je ne me sentais pas en sécurité, je parlais depuis une position de peur.
La semaine dernière, étrangement, au jour #13 de mon voyage, soit pile au milieu, juste après ma descente dans le ventre de la baleine, j’ai annoncé que je n’avais « plus peur du loup« .
C’est aussi (est-ce un hasard ?) le jour où j’ai écrit à propos de communication compassionnelle (autre nom donné à la CNV, Communication non violente).
Ai-je enfin compris – plus que « compris » : « ressenti » – ce que j’explique depuis des années à mes enfants : que quand quelqu’un.e vous attaque, vous juge, vous critique, vous dévalorise (« dévaloriser » : enlever de la valeur), c’est parce qu’ielle parle depuis le royaume de la Peur ? Que quand on ne sait pas communiquer autrement que par des menaces, du chantage…, c’est avouer sa faiblesse ?
En réalité, quelqu’un.e ne peut vous « dévaloriser » que si vous lui laissez ce pouvoir-là sur vous.
Un livre m’avait déjà grandement aidé.e, en me proposant un outil qui depuis m’est très précieux, celui d’une échelle de « ranking » et une de « linking »dans les relations humaines. Il s’agit de The Undervalued Selfde Elaine N. Aron, qui a par ailleurs beaucoup écrit sur l’hypersensitivité.
En gros (ou du moins, la manière dont je l’ai retenu), il y aurait dans les relations humaines, deux types de relations possibles :
– l’une hiérarchique, de domination, rapports de pouvoir (les parents sur les enfants, les professeurs sur les élèves, le patron sur l’employé, et avant, le mari sur la femme, avec son lot de « dominants » : les policiers, juges, patrons, hommes politiques, riches, têtes pensantes, etc.) : une échelle verticale, où les gens sont plus ou moins haut, plus ou moins bas, où certains dominent, d’autres sont dominé.e.s. C’est l’échelle du ranking (j’ignore comment cela a été traduit en français), et de la pénurie, où on a tout le temps peur de manquer, où on possède, au détriment de quelqu’un.e d’autre ;
– l’autre, horizontale, vertueuse, qui est l’échelle des relations d’amour, d’amitié, d’altruisme, gratuite, où l’on donne par plaisir, sans attendre de retour, des relations de générosité, de don, d’abondance : c’est l’échelle du « linking », du lien.
Elaine N. Aron explique que dans la nature, quand deux animaux se sont affrontés (par exemple deux loups) et que l’un des deux est vaincu, pour ne pas risquer la mort s’il continuait à se battre alors qu’il a été physiquement mis en échec, sa réaction physiologique, biologique, est de baisser la tête (et de rentrer la queue), en position de soumission, pour montrer allégeance. C’est une réaction naturelle d’auto-protection : il ne sert à rien de continuer à se battre contre plus fort que soi.
Dans Le Livre de la Jungle (magnifique adaptation récente au cinéma, remarquable scénario qui suit tout à fait à la fois le voyage du héros et celui de l’héroïne, avec la « brillance » intérieure (« être un homme » au pays des loups) avec laquelle le héros doit se réconcilier pour remporter la bataille finale), Mowgli et ses amis les loups ne remportent la victoire contre « plus fort qu’eux » individuellement (le tigre, Sherkhan) qu’en se montrant solidaires les uns avec les autres.
Eh bien, pour nous les humain.e.s, quand on subit une « défaite » (réelle ou projetée, sociale, judiciaire ou amoureuse), c’est la même réaction physiologique que l’on observe : on entre en « dépression« , on renonce à se battre, on s’avoue vaincu.e. Parce que soudain, on se projette dans une position de « ranking », sur une échelle sur laquelle l’autre (quel.le qu’ielle soit) serait (je dis bien « serait », car ce n’est qu’une pensée) plus haut, plus fort.e que nous.
Et la solution pour se sortir de cette « dépression », c’est de prendre conscience de ce phénomène naturel, physiologique, de l’accueillir en nous comme quelque chose mis en place par notre corps pour nous protéger et nous sauvegarder, de ne pas s’en culpabiliser, de ne surtout pas croire les pensées qui l’accompagnent, qui sont en réalité induites, crées par l’état même de dépression du corps, et le nourrissent en retour… et de s’en extraire en faisant du « linking »: se reconnecter à celles et ceux qui comptent vraiment pour nous, qui nous aiment sincèrement, et réciproquement, non pas pour ce qu’on leur apporte, ni pour ce qu’on représente, mais pour ce qu’on est(à nouveau, l’avoir et le faire… face à l’être).
Appliqué à la Polyamorie, ça pourrait donner : quand la personne que j’aime ou qui compte pour moi, choisit de passer un moment avec un.e autre que moi… parce la société, ma culture, mes parents, m’ont « appris » que c’était une « défaite », un « échec » de la relation, alors mon corps se met en « ranking », et mes pensées battent la chamade : il est plus beau, plus fort, plus puissant que moi, elle est plus belle, plus sexy, plus intelligente ; il lui fait mieux l’amour, elle suce mieux… Et quand on est en ranking, on déprime, et notre état dépressif nourrit nos pensées dévalorisantes, qui en retour nous font chuter dans une spirale négative.
Et quand on en prend conscience, quand on a intégré que cette réaction « spontanée » – qui peut tout aussi être « acquise », apprise, enseignée depuis notre enfance (car dans les sociétés matriarchales par exemple, que décrivent notamment les auteurs de Sex At Dawn, la jalousie n’a aucun sens, et les hommes et les femmes sont naturellement multi-partenaires, comme le sont les bonobos) – s’auto-alimente, alors on peut choisir de passer en mode linking, et de se rapprocher de nos ami.e.s, de notre famille, de nos autres amoureux.ses, de notre communauté.
C’est grâce aux liens et à l’Amour… que l’on va pouvoir quitter le pays de la soumission et de la Peur.
Fin de la parenthèse sur The Undervalued Self…mais voilà longtemps que ce paragraphe, pour le coup, me trottait en tête, et les attentats de novembre me l’avaient fait reporter, jour après jour, au cours de mes 21 jours de Mindsight.
Est-ce donc, disais-je, grâce à la CNV, que j’ai enfin ressenti, en me projetant par empathie dans la personne en face qui m’attaque, qu’ielle avait tout aussi peur que moi, voire plus ?
La CNV nous apprend à enfiler nos oreilles de girafe et à entendre, derrière l’attaque, le jugement, la critique… le besoin non satisfait qui s’exprime ainsi de manière « tragiquement suicidaire », comme l’écrit si justement Marshall Rosenberg.
Si la personne jalouse, par exemple, dit à son partenaire : Je t’interdis d’aller voir Machin.e ce soir, sinon je te quitte, on peut se dire, par exemple, si on n’a pas le décodeur : Je sais bien que c’est une menace vraisemblablement pour m’impressionner, mais au cas où quand même ielle mette sa menace à exécution, je préfère m’abstenir de le/la provoquer. C’est une expression « tragiquement suicidaire » de la personne jalouse, car sa victime ne ressentira que peur et mépris… (rien ne tue plus sûrement l’amour, que la contrainte et la peur), mais elle s’en moque : la seule chose qui compte pour elle sur le moment, c’est que son/sa partenaire n’aille pas voir Machin.e.
Si on a le décodeur en revanche, et si au lieu de projeter sur le/la jaloux.se et bourreau un regard « venu d’en haut », qui juge à notre tour (Il est pathétique, mais j’ai peur quand même), si on enfile nos oreilles de girafe, alors on peut entendre le besoin non satisfait : ielle a besoin d’être rassuré.e, ielle n’a aucune confiance en mon amour pour lui/elle.
Son attitude (de chantage et menaces, inacceptables par ailleurs) n’est pas quelque chose qu’ielle fait « contre moi », pour me détruire, m’annihiler, me rabaisser (lecture de ranking), mais la seule manière (tragiquement suicidaire) qu’ielle a trouvée pour sauver sa peau… Alors en effet, on peut être en compassion… et non plus en Peur.
Et au lieu de se dire : cette personne est toxique, cette personne est manipulatrice, cette personne fait exprès de me faire du mal, cette personne veut me détruire, on peut choisir de se dire : Cette personne ne sait pas s’exprimer autrement, et moi, j’ai le choix d’entrer ou non, de rester ou non, en relation avec elle, et par ailleurs, je ne suis pas obligé.e de croire ce qu’elle me dit.
C’est là où j’ai aussi libéré quelque chose en moi, je crois, grâce à la lecture des Quatre Accords toltèques et à La Maîtrise de l’amour, de Don Miguel Ruiz : 1. Que ta parole soit impeccable ;
2. Ne prends rien personnellement ;
3. Ne fais pas de suppositions ;
4. Fais toujours de ton mieux (qui rejoint L’Apprentissage de l’imperfection).
Si je ne fais plus la supposition que la personne en face de moi « veut me détruire », mais essaie juste, de manière tragiquement suicidaire, de satisfaire un besoin essentiel pour elle, alors je peux choisir de « ne pas le prendre personnellement » et de ne pas croire un mot de ce qu’elle me dit de moi : Je ne suis pas la personne qu’elle me dit que je suis. Je sais qui je suis, je sais d’où je parle (depuis le pays de l’Amour) et j’ai compris d’où elle, parlait (depuis le royaume de la Peur), et… je n’ai PLUS PEUR DU LOUP.
Waouh. En fait, je crois que c’est ça qui s’est passé en moi au cours de ce Voyage. L’avenir me dira si cette révélation – cette épiphanie, presque – restera en moi de manière durable, et surtout, m’aidera à vivre mes relations au quotidien. En attendant… j’ai le sentiment que c’est comme une porte qui s’ouvre en moi, une libération.
Je peux donner l’impression de m’éloigner de mon sujet de départ… mais en réalité, je ne crois pas.
Je crois que tout est lié : le patriarcat, la domination de l’homme sur la femme parce qu’en réalité, l’homme a peur de la puissance de la sexualité de la femme à laquelle il ne comprend rien (souvenez-vous de l’aveu d’impuissance de Freud : « Les femmes, c’est le continent noir« . Et pourtant, toute notre société, et une grande partie des psy fonctionnent avec ces références : au secours ! ) ; donc « l’instinct » (dicté par la peur) de propriété, de possession, de possessivité et les rapports de force et de soumission (la petite fille obéissait à son père, puis à son mari ; l’enfant obéissait à ses parents, la femme à son mari, le mari à Dieu ; une femme restait « demoiselle » tant qu’elle n’était pas mariée, et n’accédait au statut de « Madame » que par son mari ; une femme ne pouvait pas voter, ouvrir un compte en banque, avorter, disposer de son corps…).
Respect et pensées pour nos grands-mères, nos arrière-grands-mères et toutes ces reines (de mon article Fêtons les reines, qui était le nom de mon arrière-arrière-arrière grand-mère, en lignée féminine) grâce auxquelles nous sommes en vie aujourd’hui et qui se sont tant battues pour nous.
Donc le mariage bourgeois du XIXème siècle, qui permettait à l’homme de prendre possession du ventre de sa femme et de s’assurer que les rejetons auxquels il allait transmettre son patrimoine étaient bien de lui. Puis, au XXème siècle, apparition du mariage d’amour, qui remplace le mariage arrangé. Et où, au lieu d’étendre à la femme le privilège accordé jusque-là aux hommes (avoir plusieurs relations), on a au contraire étendu à l’homme la prison dans laquelle étaient tenues les femmes : exclusivité (appelée fidélité). Quelle absurdité.
Toutes et tous victimes du même système, des mêmes croyances : que l’être humain est « naturellement monogame », et que si on a envie d’aller voir ailleurs, c’est que quelque chose ne va pas, qu’on est « déviant.e », ou bien alors que ce n’est pas « le/la bon.ne ».
Mais si l’être humain était « naturellement monogame », comment expliquer que tant d’hommes et tant de femmes prennent encore le risque de l’adultère, au risque de perdre la famille qu’ils ont mis tant d’années à construire ? C’est bien qu’ielles sont poussé.e.s par quelque chose de plus fort d’eux, qui les dépasse. Et ce quelque chose, c’est cette pulsion naturelle à l’exploration, à la découverte, à la curiosité, à repousser nos limites, à sortir de notre zone de confort : c’est la vie en nous.
Le désir, la sexualité, est ce qui nous rend vivant, ce qui nous fait nous dépasser. Ce qui fait tourner le monde. Ce qui nous motive, profondément. Je milite fondamentalement, et depuis toujours, pour une sexualité positive, joyeuse, profonde. Une sexualité parfois sacrée, parfois plus ludique et légère. Une sexualité multiple, parce que nous sommes des êtres multiples.
Qu’est-ce qui nous reste, quand on arrive au seuil de notre vie ? Nos propriétés, nos réussites professionnelles ? Ou bien les gens qui nous ont aimé.e et qu’on a aimé.e.s, profondément, sincèrement ? Je pense évidemment au Rosebud de Citizen Kane.
Qu’est-ce qui fait tourner le monde ? Le pouvoir, ou bien l’amour et le sexe ? N’est-ce pas pour avoir plus de sexe et parce qu’ils n’ont pas assez reçu d’amour et qu’ils ne sont pas capables d’en donner, parce qu’ils jalousent les gens qui donnent et reçoivent de l’amour, parce qu’ils ne comprennent pas cette force qu’ont en eux les gens simples, mais heureux… que les hommes de pouvoir veulent « toujours plus » ? Ils croient – ou veulent croire – qu’ils peuvent acheter l’amour.
Or s’ils peuvent acheter le sexe, ils ne peuvent pas acheter l’amour. Parce que le pouvoir et l’amour ne se situent pas sur la même échelle : l’une de ranking, l’autre de linking.
La domination de l’homme sur la femme, le système patriarcal… ont conduit à la monogamie – théorique pour l’homme au début, imposée à la femme (comme dans bien des pays encore, où les femmes adultères sont lapidées – cf Timbuktu, qui est l’un des films les plus forts et les plus terriblement bouleversants que j’aie vus ces dernières années)… … et puis ce système s’est refermé sur les hommes eux-mêmes, quand la monogamie s’est imposée à eux aussi petit à petit, suivant le mythe de l’Amour romantique.
Aujourd’hui, tout le monde est piégé dans le même système absurde, où nos croyances sont chaque jour mises à mal, où plus rien ne tient la route.
Car les femmes ont acquis leur autonomie, leur indépendance, elles n’ont plus « besoin » des hommes, elles s’assument, professionnellement, financièrement. La révolution sexuelle est passée par là, la contraception, l’avortement.
Tandis que des hommes – certains hommes, héritiers du machisme, de la misogynie de leurs pères – continuent pourtant à essayer de les dominer, de les réduire à des objets.
Les créatrices de la Conférence gesticulée sur le consentement me l’ont appris et ont contribué à ce que le voile se lève enfin pour moi : ce qui motive un viol n’est pas tant un désir irrépressible, une pulsion irrésistible (ça, c’est ce qu’ils veulent croire, ce qu’ils veulent nous faire croire), mais la volonté de dominer, d’écraser l’autre, de le/la faire taire. Cette résistance qu’elle oppose, cette liberté qu’elle affiche, cette sexualité libre et affolante… sont insupportables. Il leur faut la réduire à néant, l’écrabouiller, l’anihiler.
Quel rapport entre les violences faites aux femmes, le système patriarcal, la domination de l’homme sur la femme… et la Polyamorie ? Tout.
Le rapport, c’est la violence au fondement de la violence : la violence éducative ordinaire (VEO). Lisez cet article bouleversant de Frédérique Herbigniaux, sociologue belge : La Violence éducative ordinaire : enfant du patriarcat.
Cette violence avec laquelle on est toutes et tous élevé.e.s, cette violence qui nous est tellement « ordinaire », qui est tellement ancrée en nous, qu’on n’en a même pas conscience.
Cette violence qui fait que, quand on ressent une sensation désagréable (qu’on appelle « émotion négative ») dans notre corps, on l’attribue à l’autre. Si j’ai mal, c’est parce que l’autre a « fait » quelque chose. Et si je veux que cette souffrance en moi cesse, alors j’ai le « droit » de tout faire pour que l’autre change son comportement, puisqu’il s’agit – je le crois – de ma « survie » : menaces, chantage affectif, contraintes de toutes sortes, punitions (ou son contraire : la récompense, qui fait partie du même système) et, si ça ne marche pas, les grands moyens : la force et la violence physiques.
C’est la croyance à la racine de toute la violence.
Or si on écoute Marshall Rosenberg, si on se forme à la CNV, si on apprend à « enfiler nos oreilles de girafe » et à entendre le besoin non satisfait derrière ces expressions tragiquement suicidaires (Je veux que cette sensation désagréable cesse), alors il me semble que l’autre devient absolument, intrinsèquement AUTRE, tout aussi LIBRE que moi. Je suis libre, mais toi aussi, tu es libre.
Je suis responsable de mes émotions et de mes réactions, et toi aussi, tu es responsable de tes émotions et réactions. En aucun cas et en aucune manière, je ne peux envisager utiliser « contre » l’autre, la moindre mesure coercitive, ou de contrainte.
Je ne « possède » pas l’autre. L’autre s’appartient à lui/elle-même. Et si ielle n’a pas envie d’être en relation avec moi, alors je ne peux fondamentalement pas l’y obliger.
Je ne peux parler que d’une position d’amour, de confiance et de liberté.
Je sais à tout moment que l’autre ne fait rien « contre » moi : ielle vit son propre rêve, et poursuit son propre chemin.
Et si ielle essaie de me contraindre à quoi que ce soit, si ielle se croit, s’attribue, le moindre « droit » sur moi, c’est parce qu’ielle parle depuis le royaume de la Peur.
À moi, alors, de décider en conscience, si je souhaite – ou non – continuer cette relation.
(Évidemment, quand on parle de relations entre un enfant et son parent, c’est plus compliqué pour l’enfant / adolescent de se protéger en se retirant de la relation : c’est la raison pour laquelle les parents ont d’autant plus le devoir fondamental de respecter l’autre intrinsèquement en leur enfant).
Si je suis dans une relation d’amour, d’amour vraiment… d’amour où j’accepte l’autre tel.le qu’ielle est, autre, séparé.e de moi, autonome, libre, et si je construis avec lui/elle une relation d’amour et de confiance, alors je sais que si ielle a envie de vivre d’autres relations en dehors de moi, ce n’est pas « contre » moi, c’est « pour » lui/elle, parce qu’ielle en a besoin, sur son chemin de sa vie.
Si je peux alors maintenir avec l’autre une communication compassionnelle, si je choisis, décide de ne pas projeter (3. Ne fais pas de suppositions), de ne pas le prendre contre moi (2. Ne prends rien personnellement), si dans tous les cas, et même quand les émotions me font valdinguer dans les tours, quand j’ai envie de pleurer, de crier, quand je suis en colère, quand je me « sens » trahi.e (c’est une pensée)… si je sais que ce sont des émotions, donc par définition passagères, éphémères, si dans tous les cas, donc, je choisis de maintenir le lien et la connexion, ou de le reconstruire quand il a été malmené, parce que fondamentalement, j’ai confiance dans l’amour et la bienveillance de l’autre envers moi… alors j’accepte que l’autre puisse trébucher, puisse ne pas être parfait.e en toutes circonstances, puisse faire des choix suite auxquels je peux me sentir en insécurité… Et je choisis de travailler à rétablir la connexion d’amour.
Pour moi, la CNV, les Quatre Accords toltèques, l’accueil des émotions, la Mindsight, si on suit leur logique interne d’acceptation de l’autre comme un être libre et autonome, nous conduisent à la Polyamorie comme la seule façon réellement éthique d’envisager les relations entre les êtres.
Sachant que « Polyamorie » ne veut pas dire « relations plurielles », mais bien : possibilité de relations non-exclusives consensuelles et éthiques. Dans lesquelles entre totalement pour moi la possibilité de choisir la Monogamie en conscience.
Pour moi, la Monogamie choisie en conscience, consensuelle et éthique, fait partie de la manière dont je comprends, envisage et définis la Polyamorie.
L’idée est de savoir que la Monogamie est un choix, de même que la Polyamorie est un choix, et qu’en réalité, tout est envisageable et acceptable à partir du moment où on peut en parler librement, assumer qui on est ou ce que l’on souhaite pour soi-même, sans craindre des mesures de rétorsion (chantage affectif, drame, crise, conséquences, punitions), et où chacun.e est libre de déterminer pour soi le type de relations qui lui convient.
Pour moi, la Polyamorie est bien à l’inverse absolue du système de domination patriarcale – l’idée fondamentale à la base étant que les êtres humains, quels qu’ils soient, sont libres et égaux en droit.
La Polyamorie est égalitaire. L’égalité stricte, absolue et non négociable entre les partenaires est à la base de ces relations choisies en conscience. Donc absolument féministe. Fondamentalement féministe. Au sens de pro-femmes, et contre le système patriarcal – pas contre les hommes. En Espagne, les polyamoristes sont féministes, les féministes, polyamoristes.
[Connaissez-vous cette vidéo du premier Ministre canadien, Justin Trudeau, qui dit : « Je continuerai à affirmer haut et fort que je suis un féministe, jusqu’à ce que cette affirmation soit reçue par un haussement d’épaules » ?]
Notre combat est le même, femmes et hommes féministes (les vrais !) : contre le système de domination patriarcale. Contre cette société de domination des plus forts sur les plus faibles, des hommes sur les femmes, des majorités sur les minorités, des parents sur les enfants, de « ceux qui savent mieux que les autres » sur les autres.
Pour moi, la CNV et les Accords toltèques amènent à cette libération des relations entre les personnes, de même qu’à l’abolition de la violence éducative ordinaire.
Polyamorie, éducation bienveillante et positive, entreprises libérées… même logique, même évidence. Tout fait sens. Tout est cohérent, interconnecté.
Dans la mesure où, je l’ai dit, pour moi une Monogamie choisie en conscience, consensuelle et éthique, fait partie de la manière dont je comprends, envisage et définis la Polyamorie (la « possibilité de relations non-exclusives consensuelles et éthiques), alors peut-être faudrait-il en réalité lui trouver une autre appellation ?
Le « libre amour » ? (parce que l’amour libre est déjà pris…). Liberté fondamentale de chacun.e de choisir pour lui/elle, les relations qui lui conviennent, de façon consensuelle et éthique. Sans contrainte d’aucune sorte. Sans jugement. Tout est possible, tout est envisageable, du moment que toutes les personnes concernées sont fondamentalement d’accord et de manière enthousiaste. Des relations en conscience.
C’est, si j’ai bien compris, le sens de Designer relationships: des relations qu’on se choisit, qu’on se dessine sur mesure. L’amour à la carte ? Des relations sur mesure ?
Comme on a l’éducation bienveillante ou positive, la psychologie positive et la sexualité positive… on aurait les amours positives ?
J’aimerais bien un nom de pays, comme la Monogamie ou la Polyamorie. Parce que Voyage en Amours positives, ça sonne tout de suite moins bien…
La libre Amorie ? Hahaha !
Manifeste des amours libres et positives.
Puisqu’en France, c’est « polyamour » qui a dominé le terrain sémantique jusqu’à présent, Françoise Simpère parlant pour sa part plutôt d’amours plurielles ou de lutinage, je peux peut-être choisir d’adopter, moi, la Polyamorie.
Dans laquelle j’inclurais la Monogamie choisie en conscience.
Car l’enjeu fondamental est qu’il s’agit de relations déterminées, dessinées sur mesure, de manière consensuelle et éthique, avec un consentement enthousiaste de toutes les personnes concernées.
On peut donc très bien imaginer que deux personnes, après en avoir discuté ensemble, décident d’adopter… jusqu’à la prochaine discussion, négociation, une monogamie librement consentie. Mais qu’elles en aient discuté, et qu’il soit convenu, qu’à la seconde même où l’un.e d’entre eux a envie d’ouvrir la relation, on en rediscute.
Si l’un.e a envie d’ouvrir et l’autre non, alors chacun.e doit décider en conscience… si ielle désire rester dans cette relation – ou non.
Et si les deux sont d’accord pour ouvrir, parce qu’ielles ont confiance l’un.e en l’autre, que rien ne sera fait sans tenir compte des émotions de l’un.e et de l’autre, alors ielles ouvrent, en discutant des modalités.
Si la Polyamorie est bien définie comme la possibilité de relations non-exclusives consensuelles et éthiques, il me semble qu’est incluse dedans la possibilité de relations exclusives. Dans ce cas, gardons le nom, mais changeons les termes de la définition ?
La possibilité de choisir en conscience le type de relations – exclusives ou non-exclusives – qui nous convient, de manière consensuelle et éthique.
Est-ce cela que Brigitte Vasallo (poly activiste espagnole) appelle des relations « inclusives » ?
Est-ce que le contraire d’exclusives serait « inclusives » et non « non-exclusives » (double négation) ?
La Polyamorie serait alors la possibilité de relations inclusives, consensuelles et éthiques ?
C’est sur cette interrogation à laquelle je n’ai pour l’instant pas de réponse, que se terminent mes 21 jours de Voyage en Polyamorie.
Je me sens heureuse et libérée. Fondamentalement, je me rends compte que ma revendication (et non « combat », car je souhaite rester positive : je lutte pour, et non contre quelque chose) va dans le sens de la liberté de choisir des relations en conscience, telles qu’elles conviennent à chacun.e d’entre nous.
Il ne s’agit pas pour moi de lutter contre la Monogamie, mais contre le système patriarcal qui impose la Monogamie comme une norme par défaut.
Si la Monogamie vous convient, à l’un.e et à l’autre, et que vous êtes d’accord que ce n’est que pour un temps donné, tant que ça vous convient, et non « pour toute la vie », alors tout va bien !
Je ne vois pas comment on peut s’engager pour l’avenir sur des éléments aussi fluctuants, éphémères et passagers, que des émotions et des sentiments.
La Polyamorie, en cohérence avec la Mindsight, la méditation de pleine conscience (Mindfulness) et l’accueil des émotions en nous, nous invite à vivre au moment présent, ici et maintenant.
Je t’aime, ici et maintenant. Demain, j’en aimerai peut-être un.e autre, en plus. Ou tellement en plus, qu’ielle prendra de plus en plus de place, et que nous en viendrons peut-être à rediscuter de notre relation, à la faire évoluer, transitionner vers un autre type de relation, moins impliquante, moins quotidienne peut-être.
Tu es libre. Je suis libre. Nous sommes en relation parce que nous le souhaitons l’un.e et l’autre, en conscience, de manière consensuelle, éthique, et enthousiaste. Ici et maintenant.
Je ne peux pas m’engager, tu ne peux t’engager, sur des sentiments. Mais bien sur un comportement, le plus possible (4. Fais de ton mieux) éthique et respectueux, de moi-même, de toi-même, des émotions de l’un.e et de l’autre, et de toutes les personnes amenées à entrer en relation avec l’un.e ou l’autre d’entre nous. Sans jugements, sans projections, sans suppositions. Dans l’écoute, la confiance, le respect et la bienveillance de toutes et tous.
Waouh. Tout un programme.
Hâte de lire vos commentaires, vos témoignages, vos réactions. L’espace ci-dessous vous est réservé et vous y êtes les bienvenu.e.s
Et à demain, bien que ce Voyage en Polyamorie soit désormais terminé, pour un récap’ des 21 articles.
Avec amour et bienveillance,
Isabelle
NB. Je dédie cet article à toutes mes amies proches qui m’ont aidée, guidée, soutenue, inspirée, tout au long de ce Voyage : Élisende, Patricia, Laura, Frédérique, Malika, Anne, Tamara, ainsi qu’à Muriel Salmona. Et à l’homme avec lequel je partage tant depuis bientôt cinq ans, qui m’a tant donné et qui m’aide à devenir moi-même, une meilleure moi-même, à ses côtés, jour après jour, pas à pas, et chaque jour de mieux en mieux.