ÉTHIQUE RELATIONNELLE #13. En quoi la polyamorie dérange ?

L’ascenseur relationnel, autrement dit la « norme » implicite dans notre société de ce qu’est – ou doit être pour être reconnue comme telle – une relation, conjugue certains éléments :
– un couple hétéro
– qui fait des enfants
– et est monogame / exclusif à vie.

Sauf qu’aujourd’hui, on admet :
– que les mariages homo puissent aussi être des mariages d’amour ;
– que certain·e·s puissent ne pas vouloir avoir d’enfants ;
– que les monogamies puissent être « sérielles » ou « séquentielles » : on n’est plus monogame « à vie », mais le temps d’une union donnée.

Autrement dit, notre regard sur ce que sont censés être – ou ne pas être – l’amour et une relation d’amour, évolue selon la période de l’histoire ou la culture données. Dans certains pays, l’amour homo n’a toujours pas droit de cité (j’en profite pour vous inviter à signer la pétition à propos des tortures et arrestations des homosexuels en Tchétchénie).

Or, je ne le répéterai jamais assez : personne ne peut me définir à ma place.
Si une personne se dit amoureuse… c’est qu’elle est amoureuse. Personne ne peut savoir à ma place ce qu’il se passe dans ma tête ou ce que je ressens. Le jugement des autres sur ce que je vis est tout simplement absurde : c’est du non-sens.

Peut-on alors imaginer que si certain·e·s continuent à dire des relations plurielles que « ce n’est pas vraiment de l’amour« , ou que « ce n’est pas possible d’aimer plusieurs personnes à la fois« , comme on l’entend encore tellement souvent, c’est leur jugement, leur point de vue, qui n’engagent qu’elleux et leur idée préconçue de ce qu’est l’amour ?

Peut-on accepter que seule la parole des personnes qui vivent ces relations plurielles a de la valeur pour définir ou qualifier ce qu’elles vivent ?

Peut-on espérer que, parce que de plus en plus d’entre nous assumerons au grand jour nos relations différentes, hors de l’ascenseur relationnel, le point de vue des « normo-pensants » pourra évoluer, de même qu’il a évolué pour les couples homo ?

Off the Escalator

Aujourd’hui, même si les mœurs évoluent (on ne croit plus à la monogamie “jusqu’à la mort » et on accepte les divorces et séparations, qui créent, de fait, des monogamies sérielles), le mythe de la monogamie tient toujours : si ce n’est plus « à vie », au moins le temps d’un couple.

Paradoxalement, on peut se demander si le mariage homo n’a pas en réalité renforcé ce mythe de l’idéal de la monogamie : de l’exclusivité sentimentale et sexuelle.
Si « même les homo », qui avaient plutôt une « réputation » d’ouverture et de de non-monogamie veulent de l’institution du mariage (sous-entendu, du mariage exclusif), alors c’est bien qu’elle a encore du sens…?

Sauf que dans les faits, selon les sondages, il semblerait qu’entre 50 à 80% des couples “mono” ne sont en réalité exclusifs qu’en apparence et en théorie : en effet, beaucoup reconnaissent avoir au moins une fois, fait une « entorse au contrat ».

Or la grande différence entre ces « entorses » que l’on nomme adultères ou infidélités, et la polyamorie… est précisément l’éthique. 

L’adultère – aussi appelé infidélité : le fait d’être infidèle au contrat passé d’une exclusivité sentimentale et sexuelle – n’est en effet rien d’autre qu’une non-monogamie non-consensuelle (puisqu’au moins l’une des personnes concernées n’est pas au courant) – donc non-éthique.

Si la polyamorie dérange encore tant, n’est-ce pas parce qu’elle attire l’attention sur le fait que cette pratique « implicite » des relations maritales que constitue l’adultère (pensons à la tradition française du vaudeville !) est précisément non-éthique ?
vaudeville

Je me souviens de certaines critiques hyper virulentes à l’égard de mon premier long métrage Tout le plaisir est pour moi (*) qui parlait de clitoris, de masturbation féminine et encourageait les femmes à « prendre leur plaisir en mains » au lieu d’accuser leurs partenaires d’être « de mauvais amants ».
Je ne comprenais pas la véhémence de certaines, notamment des magazines féminins tels que Elle ou Marie-Claire (elles écrivaient que le film était « vulgaire » et « grossier » : or on peut lui faire plein de reproches… mais pas ceux-ci !), et ai posé la question à mon psy. Et sa réponse résonne encore à mes oreilles : Parce que votre film les confronte avec leurs propres compromis avec leur sexualité alors qu’elles ne vous ont rien demandé ! 
Et en effet, pendant les années qui ont suivi, je peux vous assurer que j’ai surveillé les unes des magazines : les premières sur la masturbation féminine sont arrivées… huit ans après seulement, en 2012.

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Sans doute en 2004 était-il encore trop tôt pour un certain nombre de personnes, pour parler aussi ouvertement et librement de masturbation…

Eh bien, je me demande si ce n’est pas la même chose avec la polyamorie, et si on n’a pas là, juste quelques années d’avance sur le « grand public » !

En gros, tant qu’on vit en monogamie hypocrite (tout le monde se dit monogame tandis qu’une grande majorité triche ou ferme les yeux)… tout va bien.

Mais quand la polyamorie commence à faire parler d’elle et à s’afficher dans les magazines grand public (comme Marie-France en janvier dernier), elle déplace les projecteurs sur le côté non-éthique et non-consensuel des relations monogames hypocrites.

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Et les gen·te·s n’ont pas nécessairement envie qu’on attire l’attention de leur conjoint·e sur leur éventuel désir “d’aller voir ailleurs”, ou de se confronter à l’idée que peut-être  leur conjoint·e a des relations extra-maritales. Petits Arrangements avec l’amour, pour reprendre le titre d’un livre de Lucy Vincent. 

Ielles ont peut-être envie de ne pas se confronter avec la réalité, parce que ça les arrange comme ça.
C’est le fameux Don’t ask, don’t tell.
Si je ne le sais pas, ça n’existe pas.
Je préfère ne pas savoir. 

Et quand certain·e·s parlent alors ouvertement de non-monogamie consensuelle et éthique – ce qu’est la polyamorie – en jouant la carte de l’honnêteté, en travaillant sur leurs émotions, leurs éventuelles difficultés relationnelles, leurs ombres, leurs insécurités… eh bien, c’est comme avec Tout le plaisir est pour moi : ça renvoie peut-être certain·e·s à leurs propres non-dits, arrangements et compromis alors que… ielles n’avaient rien demandé !

Cela fait-il sens pour vous ?
Hâte de lire vos commentaires.

Avec plaisir,
amour et bienveillance,
Isa

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