Interview

Paris-Deauville est votre première fiction longue et c’est aussi votre première réalisation en caméra numérique. Deux nouvelles expériences…

Oui, c’est mon premier « long-métrage », et je suis très reconnaissante à Pierre Chevalier de m’avoir donné cette chance. C’est en effet une étape importante pour moi. Quant au travail avec la « petite caméra », ce fut une expérience très intéressante. Avant d’avoir commencé à tourner moi-même, je ne comprenais pas vraiment pourquoi tous les réalisateurs parlaient d’un mode de tournage différent. Mais c’est pourtant vrai. L’équipe réduite au minimum, peu de travail sur la lumière, ce sont des choix que j’avais déjà faits sur mon précédent film À corps perdu. La principale différence pour moi avec la DV tient à ce que l’on peut considérer comme un inconvénient artistique – c’est « toujours net » – mais qui est un avantage considérable au tournage – ce n’est « jamais flou ». Cela permet alors une grande liberté de mouvements, et un découpage en plan-séquences qui procure un vrai bonheur dans le travail avec les comédiens.

Justement, les comédiens…

Je fais ce métier pour les comédiens, ce sont eux qui m’ont donné envie de faire du cinéma. J’ai eu la chance d’avoir sur ce film à la fois de grands comédiens de théâtre, et des comédiens plus jeunes, fougueux, et tous, je crois, ont pris comme moi un grand plaisir à ce travail en liberté : les mouvements étaient parfois très précis, comme dans une chorégraphie, mais il n’y avait jamais de « marques au sol », et surtout jamais de répétitions dites « techniques ». On se mettait en place, et puis on tournait. Il y a alors une véritable excitation du tournage lui-même, au moment du moteur, qui n’a pas été épuisée par de trop nombreuses répétitions. Personne ne sait exactement ce qui va se passer, et c’est magique, parce que la technique suit les comédiens, et non l’inverse. Ensuite, on peut ajuster, préciser, proposer autre chose, faire de nombreuses autres prises si on le désire, et ça aussi, c’est un vrai luxe.

Qu’est-ce qui vous a séduite dans le scénario de Virginie Boda ?

Virginie a été lauréate de la Bourse Jeune Scénariste TV de la Fondation Hachette en 1997, et c’est dans ce cadre-là qu’elle a été amenée à rencontrer Pierre Chevalier. Je ne suis en effet arrivée que bien plus tard sur le projet. C’est la première fois que je réalise un film dont je ne suis pas à l’origine, et c’était une expérience très enrichissante. Le scénario de Virginie m’a tout de suite touchée, peut-être parce qu’il entrait en résonance avec de nombreux thèmes que j’avais moi-même abordés dans mes films. La structure en parallèle, avec ce road-movie d’un côté, et ce huis clos familial de l’autre, était à la fois ce qui paraissait le plus difficile à réussir, mais du coup, aussi, le plus excitant. J’ai beaucoup travaillé en particulier sur les rythmes de ces deux histoires parallèles, qui au début fonctionnent en contraste croisé, pour finir par se rejoindre en un mouvement plus dramatique vers la fin.

Le film raconte le parcours d’un jeune femme qui « grâce » à une agression apprend à s’affirmer, à devenir elle-même.

En effet, si Claire n’est pas le personnage « principal » du film, elle en est le personnage « central » : soit on est avec elle, soit on est avec sa famille, qui parle d’elle et permet de la comprendre d’une autre manière, « en creux ». Car Claire est une jeune femme qui ne parle pas, ne se livre pas, et il est difficile de savoir ce qu’elle pense ou ce qui lui ferait plaisir. Sa rencontre forcée avec Philippe lui donne finalement l’occasion de parler, et d’apprendre à dire « non ». Quand Philippe la laisse sur le bord de la route, elle est à la « croisée des chemins », tout est possible, à elle de choisir sa route, de prendre sa vie en mains et au spectateur d’imaginer la suite… Pour moi, la fin du film est optimiste.

C’est aussi un film qui crie « Famille, je vous hais ! »…

C’est un drame familial, mais aussi, par certains côtés, une comédie familiale. La famille est source de conflits mais dans les moments difficiles, ils répondent tous présents. Au final, il y a de l’amour, de l’amour qui fait mal, mais de l’amour toujours. Au cours de cette soirée un peu particulière, les personnages se découvrent petit à petit les uns les autres, apprennent à mieux se connaître, et se révèlent finalement tous plus complexes et plus fragiles qu’au premier abord. Je tenais beaucoup à leur donner leur chance à tous.