Interview

Pour ceux qui auraient vu vos courts-métrages, plutôt graves, tout comme le téléfilm que vous avez réalisé pour Arte, le parti pris de la comédie pour votre premier long-métrage peut surprendre ?

Sauf que j’avais commencé à la FEMIS par des comédies… La comédie permet d’aborder des sujets graves sans en avoir l’air. Je ne me reconnaissais pas dans ces images de sexe arrogantes ou perverses souvent mises en avant aujourd’hui. Je voulais faire un film qui parlerait de sexualité avant tout sous l’angle du plaisir. Et comme rire fait partie des plaisirs de la vie, la comédie s’est imposée d’elle-même. Mais elle n’empêche pas – au contraire – d’aborder au passage des sujets sérieux, comme le rapport des femmes à leur corps, les relations entre les femmes et les hommes, ou l’importance d’une parole libre et sereine pour une sexualité heureuse.

Pourquoi vouloir parler du clitoris ?

Parce qu’on n’en parle pas, justement. Comme me le faisait remarquer un médecin, contrairement au pénis, le clitoris n’est même pas étudié pendant les études de médecine parce qu’il ne « sert à rien », à rien d’autre qu’au plaisir. Mais c’est ça qui est beau !

Comment définiriez-vous Louise, votre héroïne ?

Louise est un trublion qui dérange, en disant des choses qui « ne se disent pas », en obligeant les autres à voir en eux des choses que peut-être ils préfèreraient ne pas voir, en les poussant à se montrer vrais, malgré eux. Elle est entière, directe – trop -, névrosée aussi – très -, et pas toujours très fine psychologue. Alors elle provoque des dégâts. Évidemment, le paradoxe de ce personnage, c’est qu’elle est peut-être au bout du compte celle qui se ment le plus à elle-même, en refusant de se reconnaître amoureuse de François. Ce n’est que quand elle aura perdu tous ses repères, et qu’autour d’elle, les autres auront retrouvé leur point d’équilibre, qu’elle lâchera enfin prise, et pourra être dans la sincérité de ses sentiments.

Louise dit avoir « perdu » son clitoris. Comment en arrive-t-on à une idée pareille ?

Je voulais parler du plaisir, et de manière ludique. D’où l’idée de partir « à l’envers » : non pas d’une fille qui n’a jamais eu de plaisir et qui le cherche, mais au contraire d’une fille qui sait ce qu’elle a perdu, et qui veut le retrouver – et pour qui la sexualité n’est pas tabou.

Parce que vous trouvez que c’est encore tabou ? On vit pourtant dans une société où le sexe est omniprésent…

Oui, sur les affiches, dans les pubs ou les magazines. Mais ce n’est pas pareil dans la « vraie vie ». J’ai été très frappée en écrivant ce film et en en parlant autour de moi, de voir à quel point les femmes s’accommodent encore souvent d’une sexualité qui n’est pas réellement épanouissante. Certes, elles sont « libérées » et parlent de sexualité plus facilement qu’avant entre elles, mais c’est déjà beaucoup plus compliqué avec les hommes ou dans le couple… Comme Louise, je pars du principe qu’aujourd’hui, que l’on ait ou pas du plaisir dans un couple, on peut en parler, et on doit pouvoir en parler. Mais c’est loin d’être toujours le cas.

Le film commence par une scène d’amour sexuellement tendre entre Louise et François. Comment filmer une scène d’amour ?

En filmant le plaisir. C’est précisément une scène d’amour, pas une scène de baise. Louise et François sont complices dans la tendresse et le jeu, ils parlent ensemble de leur plaisir… L’enjeu était de montrer que Louise était amoureuse de François, même si elle ne le sait pas elle-même. Un peu dans la tradition de ces « comédies de remariage » des années 40, où l’on voit un couple qui s’aime, se sépare, et après, pendant tout le film, on attend qu’ils se remettent ensemble. Autant Louise est névrosée, et du coup fragile, agaçante souvent, insupportable parfois, autant François est vraiment quelqu’un de bien, généreux, attentionné, qui, lui, assume ses sentiments. Et comme Julien Boisselier est un comédien remarquable, tout en nuances et en subtilités, avec une vraie présence et un charme fou, on a d’autant plus envie qu’ils se retrouvent à la fin…

Présenter François à ses parents devient un enjeu pour Louise…

Oui, parce que sa mère et sa sœur en font toute une histoire. Officialiser son couple avec François, c’est prendre le risque de perdre le désir, en le considérant comme acquis. Pour renouveler le désir tous les jours, elle prétend qu’ils ne sont pas ensemble. C’est presque un jeu entre eux, qui consiste à constamment tester le désir de l’autre, et qui masque surtout un profond désarroi. Chacun dit l’inverse de ce que l’autre voudrait entendre, et c’est vite l’escalade. En jouant ces scènes avec une profonde sincérité, Marie et Julien ont créé une bulle de réalité et d’humanité au cœur de la comédie.

Pour définir sa « panne », Louise parle d’un problème « mécanique ».

Elle se voile la face. Elle vit dans l’instant, dans le plaisir immédiat, elle a peur de la routine et des compromis que représente le couple tel qu’elle le voit chez ses parents ou sa sœur. Franchement, il y a de quoi être bloqué en entendant Félicie raconter comment elle simule pour faire plaisir à son mari, et dire que c’est ça, l’amour ! Et surtout, Louise pense qu’elle peut tout contrôler. Elle va apprendre à ses dépens qu’on ne contrôle pas toujours ses émotions et ses sentiments – et heureusement !

Louise entreprend une recherche méthodique pour trouver une solution à son problème. Avec sa gynécologue, il y a incompréhension, et sa consultation chez le sexologue n’est pas vraiment convaincante !

La gynécologue lui dit d’emblée, « vous n’avez aucun problème physiologique, vous faites peut-être un blocage ? Ça se passe bien avec votre petit-ami ? » Le spectateur doit être informé dès le départ que Louise fait fausse route. La « perte » de son clitoris n’est finalement pour elle qu’un prétexte pour ne pas voir que son véritable enjeu, c’est François. Comme lui disent les femmes africaines, « vous n’avez pas été excisée, alors ce n’est pas grave ». Par contre, elle est en train de sacrifier sa relation avec l’homme qu’elle aime. Le spectateur le sait, et à chaque fois que Louise dit, « on est séparés », il pense, « quel gâchis ! ». Avec le sexologue, c’est autre chose. Comme on sait qu’elle est à côté de la plaque, on peut s’amuser du ridicule de la situation. On rit d’elle, parce qu’on rit de nos propres failles, de nos propres faiblesses. Comme quand elle s’énerve contre son propriétaire au lieu d’essayer de rattraper François qui vient de claquer la porte !

Le « il faut laisser couler » du marabout pourrait être celui d’un psy ?

Bien sûr, sauf que comme Louise rejette tout ce qui touche à l’inconscient, elle n’irait jamais voir un psy d’elle-même… Là, totalement déboussolée, elle écoute enfin. Et le « laissez couler », est aussi une façon de lui dire, « cessez de vouloir tout contrôler ». En fait, cette scène avec le marabout est presque une leçon de vie que je me donne à moi-même ! Tous mes courts-métrages sont quasiment construits sur le même schéma, une fille qui se bat contre elle-même et ses émotions, et qui finit par lâcher prise en « laissant couler » ses larmes… À trente ans, Louise a le choix : devenir adulte, accepter de prendre le risque de s’engager dans sa vie amoureuse et dans sa vie professionnelle, ou alors continuer à se comporter comme une adolescente, à papillonner, et à faire des crises.

Louise provoque un raz-de-marée de plaisir pour toute sa famille. Sa mère devient une autre femme, totalement « épanouie »…

En obligeant les autres à se confronter à leurs compromis et leurs arrangements avec la vie, Louise provoque en effet des dégâts. Elle est entière, elle ne veut pas d’une vie de faux-semblants, mais elle ne demande pas aux autres si ça leur convient ou non, elle les pousse dans leurs retranchements, et ils ne le vivent pas toujours bien sur le moment. Mais en même temps, elle déclenche une parole « vraie » et libérée des carcans et des conventions. Sa sœur reconnaît simuler pour rassurer son mari, sa mère décrit une quasi prostitution conjugale. D’un coup, Louise fait sauter les verrous. Chez Félicie et Thomas, la médiocrité de leurs relations sexuelles vient avant tout d’un manque de dialogue et de communication entre eux, mais ils s’aiment vraiment, et cherchent ensemble comment sauver leur couple. À la fin du film, ils réussissent à concilier vie de couple et vie sexuelle épanouissante. Alors que chez les parents, la prise de conscience des trop grands compromis consentis au fil des années sert de détonateur, et le couple explose.

Vous offrez au père une belle scène d’émotion.

C’était important de ne pas rester sur le point de vue de la mère quand elle dit que, « simuler est une preuve d’amour », car le père passait pour un homme qui ne voit rien, et laisse faire. Là, il confie à sa fille, « je sais qu’elle n’a pas de plaisir, surtout ne crois pas que je n’en souffre pas. » Les hommes n’ont rien à y gagner quand les femmes simulent.

Les hommes sont plutôt attachants dans votre film.

François, c’est l’homme dont on rêve toutes. Intelligent, compréhensif, il a de l’humour, il fait bien l’amour ! Mais Thomas aussi est un personnage que j’aime beaucoup. Quand il surprend sa femme avec l’abeille-suceuse, il réagit plutôt bien. Ils parlent de leurs problèmes, consultent le sexologue, suivent ses conseils, et finissent par s’éclater ensemble…

Louise retrouve le plaisir lorsqu’elle ose s’avouer son amour pour François.

En fait, elle arrive tout juste à lui dire « tu vas me manquer » ! Mais en effet, elle lâche prise, et se réconcilie avec elle-même, et avec ses sentiments. À force de se mentir à elle-même, elle risquait de finir par se perdre vraiment… Elle s’engueule avec tout le monde, perd son mec, son boulot. Et plus elle est à côté de la plaque, plus elle s’enfonce, plus les autres découvrent leur plaisir. Son « lâcher-prise » est aussi peut-être aidé par celui de sa mère qui renonce à diriger sa vie et lui dit, « tout ce que je veux, c’est que tu sois heureuse ». Louise n’est plus obligée de se définir en opposition à l’image de ce que sa mère attend d’elle.

La peur d’assumer ses sentiments et de s’engager dans une vie d’adulte reflète-t-elle un trouble générationnel chez les trentenaires ?

Je ne veux pas parler en leur nom… Mais c’est sûr, Louise est une jeune femme d’aujourd’hui, indépendante, active, urbaine. Et sa peur de s’engager, de perdre sa liberté, de se retrouver enfermée dans les contraintes et les concessions que représente souvent le couple, est très certainement partagée par de nombreuses jeunes femmes.

Vous mettez en scène plusieurs générations de femmes ?

Oui, c’était important de mesurer quand même le chemin parcouru…

Pourquoi avoir choisi d’aborder la masturbation dans des témoignages face caméra ?

En fait, j’avais l’idée de ces témoignages avant même de commencer l’écriture du film. L’enjeu était de les inscrire dans la structure du récit. On comprend petit à petit que c’est Louise qui interviewe toutes ces femmes. Ils permettent d’ouvrir le film, au-delà des personnages de fiction, à des femmes que l’on suppose « réelles », qui viennent nous parler d’elles, et en lesquelles chacune de nous peut se reconnaître. Je voulais qu’on ose parler de la masturbation, et du clitoris. Ce dont j’ai pris conscience en écrivant ce film et en en parlant autour de moi, c’est à quel point la masturbation féminine est encore un sujet tabou. Certes, on en parle dans les magazines, mais pas dans la « vraie vie », et le mot « clitoris » est rarement prononcé à haute voix.

Diriez-vous que vous êtes féministe ?

Si parler du plaisir des femmes, c’est être féministe, alors oui, ce film est féministe. Mais il n’est en aucun cas contre les hommes – au contraire. Si ce film est militant, il milite avant tout pour le dialogue.

Comment s’est passée votre rencontre avec Marie Gillain ?

Je cherchais une évidence entre une comédienne et mon personnage, je rêvais d’une comédienne qui ait envie, comme moi, de jouer le jeu à fond, et de s’amuser avec les failles, les faiblesses et les névroses du personnage – c’est ça qui la rendrait vraie et touchante. J’ai rencontré Marie dans un salon de thé un peu comme celui du film. Et là, elle m’a cueillie d’emblée, elle était encore moins langue de bois que moi, on a abordé en deux heures tous les sujets qui font rougir – et qui faisaient rougir les vieilles dames autour de nous… Marie n’avait aucun tabou, on pouvait parler de manière tout à fait naturelle et sincère ensemble, j’ai senti qu’il n’y aurait aucune gêne entre nous. Louise, c’était elle. Elle en avait le naturel, le culot, la fraîcheur, l’appétit pour la vie, et elle s’est totalement investie dans le projet. En plus de son talent et de sa générosité, Marie est sérieuse, fiable, bosseuse. Marie et Hélène Woillot, ma co-scénariste, qui sont plus rationnelles, plus objectives et moins névrosées que moi, m’ont permis de me confronter à certaines scènes, comme la scène du taxi à la fin. Comme Louise, j’avais sans doute un peu de mal à « lâcher » dans l’émotion…

Comment travaillez-vous avec les comédiens ?

J’y prends un grand plaisir ! Et je cherche toujours à les impliquer dans le travail. On fait des répétitions, comme au théâtre. C’est peut-être pour ça que beaucoup des comédiens sur ce film viennent du théâtre, ou sont eux-mêmes metteurs en scène. D’une manière générale, je suis toujours très à l’écoute de leurs propositions, comme d’ailleurs de celles des techniciens. Je connaissais déjà un certain nombre d’entre eux, comme Catherine Ferran et Philippe Duclos, qui jouent ici la gynéco et le sexologue, et qui étaient les parents dans Paris-Deauville, que j’avais réalisé pour Arte. J’ai été très touchée qu’ils acceptent cette petite participation en forme de clin d’œil… Après, l’enjeu est de s’adapter à chacun des comédiens, le travail est différent de l’un à l’autre, et c’est bien sûr là aussi que réside le plaisir… Avec Marie ou Julien, par exemple, on est vraiment dans le travail, dans la construction, alors que quelqu’un comme Garance Clavel, avance plutôt à l’instinct, elle est à la fois drôle et émouvante, et elle a des fulgurances merveilleuses, il suffit d’être là pour les capter.

Est-ce que l’abeille-suceuse existe ?

C’est trop énorme, c’était impossible à inventer !

Et le sex-shop ?

On a eu du mal à le trouver, ils étaient tous glauquissimes, mais il existe bel et bien tel quel, ludique et désinhibant, comme son propriétaire, qui nous a fait, à Hélène et à moi, une visite en règle… On en a profité pour lui piquer quelques répliques pour Arié Elmaleh, comme « il est petit mais efficace : c’est la vibration qui compte » !

Si on parle beaucoup de sexe dans votre film, on en voit assez peu…

Je voulais aborder la sexualité en termes de rapports humains, de conflits, de frustrations, de plaisir, de libération…, pas faire un film racoleur.  Le pari était surtout de ne jamais être vulgaire.

Finalement, votre film parle beaucoup d’amour…

Le sexe est, heureusement, souvent lié aux sentiments, et c’était logique pour moi d’être dans la comédie romantique. C’est mon côté « fleur bleue » ! J’avais envie d’un film léger, tendre et ludique. Qu’on en sorte avec le sourire… et, pourquoi pas, l’envie de se parler !