Extrait de Vers une libération amoureuse de Yann Kerninon, lu par lui-même dans LUTINE :
« Une utopie. Alors voilà, c’est très simple… Il suffirait que… Il suffirait que tout le monde se donne la main et que tout le monde soit d’accord. Tout le monde serait libre de faire ce qu’il voudrait. Un sourire échangé et on se proposerait bien des choses… Qu’on accepte ou qu’on refuse, personne ne se vexerait. Tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Au lieu des adultères compliqués, pathétiques, des divorces et des ruptures tragiques, on dirait simplement : “ Mon chéri, ma chérie, mon amour, je pars en vacances huit jours avec Sylvie, Frédérique, Roland ou Caroline. “ Les amours se superposeraient au lieu de s’annuler, de se détruire et de se contrarier. Plutôt que de se haïr, les amants et les amantes se rencontreraient autour d’une table et s’aideraient mutuellement, comme les couples, à deux, déjà s’entraident. On se serrerait les coudes, on se rendrait service. (…) Personne, au grand jamais, ne penserait à posséder l’autre. (…) On donnerait à l’autre, tout le temps. Et on se réjouirait de lui donner. Et puisque tout le monde donnerait, on recevrait sans cesse : de l’amour, de l’affection, de la chaleur, du soutien et de l’aide. Faire l’amour serait dans le même temps une chose magnifique et normale, désinculpée de toute morale figée et mortifère. On irait faire l’amour comme le soleil se lève. Tout naturellement. On partagerait l’amour comme on partage l’air que l’on respire, sans vouloir le voler à l’autre. Le mot “ jalousie “ disparaîtrait de l’usage. On aurait même du mal à expliquer son sens, ce que ce mot autrefois voulait dire, à l’époque où on l’utilisait. Et quand on l’expliquerait, tout le monde en rirait.
Les jeunes couples d’amoureux s’offriraient généralement le luxe d’une ou deux années de fidélité monogame, puis, dès qu’ils s’en lasseraient, de nouvelles relations amoureuses viendraient, non pas détruire, mais enrichir leur relation originelle et la complexifier, c’est-à-dire la nourrir et la rendre plus humaine. Les situations changeantes obligeraient chacun à une présence réelle aux êtres et aux choses. La sécurité ne viendrait plus des chaînes et des colliers qui maintiennent chacun attaché (…), ni de la contrainte des situations, mais de la grande confiance que l’on aurait en l’autre et en la vie elle-même. Chacun serait comblé, plein, entier. Il n’y aurait plus de manque. Ce serait le paradis sur terre…
C’est très simple. Il suffirait que… Il suffirait que tout le monde soit d’accord. Ce serait une histoire magnifique ! Il suffirait que tout le monde soit d’accord…
Mais justement, personne n’est jamais d’accord. En tout cas, jamais éternellement, ni sur tout, ni tout le temps. (…) Et être deux suffit pour ne pas être d’accord. »
Yann Kerninon, Editions Buchet-Chastel, p. 46