Dans une relation, quand arrive un conflit ou un désaccord, l’enjeu fondamental est-il de
- maintenir le lien et la relation sans l’abîmer
- ou d’avoir raison ?
« Qui a raison ? » est l’un des jeux psychologiques mis en évidence par Eric Berne dans Des jeux et des hommes dans le cadre de l’analyse transactionnelle). Et une fois qu’on en a pris conscience, ça peut devenir vraiment amusant – et instructif – de le repérer, chez les autres, bien sûr, mais avant tout chez soi-même :
Est-ce que je serais en train de jouer à « Qui a raison ? »
Et souvent – en tout cas, de ce que j’ai pu observer chez moi – ça aide à désescalader un potentiel conflit.
Globalement, s’opposent là deux conceptions des relations :
- restauration et réparation d’un côté (cf la justice restaurative, restauratrice, réparatrice, transformative)
- punition et séparation (bannissement) de l’autre (cf notre système judiciaire punitif, qui inspire malheureusement (à moins que ce ne soit l’inverse ?) la logique de la plupart des relations dans notre culture, notamment avec les enfants.)
Comme souvent dans notre culture, s’applique ici la logique binaire : dans un conflit, on joue précisément à « Qui a raison ? » (étant entendu que je ne parle pas ici de comportements « criminels »). Il s’agit en effet de désigner un·e coupable, et une fois qu’on l’a trouvé·e, de lea punir, dans l’espoir que cela lea fera réfléchir pour la prochaine fois.
Drôle de logique, ma foi. Que toutes les recherches récentes sur les neuro-sciences mettent à mal, notamment évidemment par rapport aux enfants.
Quand on est « puni·e », en effet, notre système a tendance à se refermer, se protéger : on n’est pas / plus en position « d’apprendre » quoi que ce soit, ou alors par réflexe acquis, par peur.
Certes, ça « marche » – à court terme.
L’enfant devient « soumis »… et on tue en lui sa spontanéité. Ou alors il devient « rebelle ». En aucun cas, il ne reste « libre ».
Que ressent-il ? Dans le premier cas, qu’il l’a « mérité », qu’il n’est pas digne d’amour ou de confiance, que ses parents sont tout-puissants et que leur amour est « conditionnel ».
Dans le deuxième cas, que c’est injuste, que c’est un abus de pouvoir (à juste titre : on est à nouveau ici sur l’échelle hiérarchique de ranking, sur laquelle certain·e·s, et particulièrement les adultes par rapport aux enfants, s’estiment « supérieur·e·s ») : il ressent de la colère, voire du mépris, et se jure de ne pas se faire prendre la prochaine fois.
Dans tous les cas, la « relation » est abîmée, la connexion émotionnelle perdue.
Et à long terme ? Si l’objectif est de créer de bons petits soldats soumis que le système patriarcal pourra utiliser à merci, alors oui : punir ses enfants « marche ».
Dans le cas des rebelles, en revanche, rarement, et malheureusement, c’est souvent alors l’escalade : ce qui se met en place est une logique d’affrontement.
On n’est plus dans le « Qui a raison ? », mais dans le « Je vais te montrer qui est lea plus fort·e. »
À ce propos, pour le plaisir, je vous propose de re-regarder la bande-annonce du film de Pixar sur les émotions, dont décidément je ne me lasse pas : Inside Out (maladroitement « traduit » en français par Vice Versa). Je l’avais trouvé tellement génial que j’en avais écrit un article : Nos émotions au cinéma.
Dans le cadre de relations entre adultes, la question à se poser est : quand on a un conflit ou désaccord, quel objectif poursuit-on ? Cherche-t-on
- à convaincre l’autre qu’on a « raison » et qu’ielle est en tort ?
- ou à trouver un terrain d’entente entre nous – et maintenir la relation ?
Est-on dans une logique gagnant·e / gagnant·e... ou dans l’idée que lors d’un désaccord, il y a nécessairement un·e gagnante et un·e perdant·e (autrement dit, dans une vision binaire des rapports humains : « les gentils et les méchants », les « winners » et les « losers » ?), et que comme on ne veut pas soi-même être « perdant·e », alors on doit nécessairement être « gagnant·e », quel qu’en soit le dommage sur la relation ?
Et si on réalise qu’on a soi-même avant tout besoin d’empathie – besoin d’être compris·e, entendu·e – est-on soi-même en capacité d’en donner à l’autre ?
En réalité, la disposition générale dans laquelle on se trouve à l’égard de l’autre fait qu’on va se focaliser
- plutôt sur ce qu’on remarque qui ne va pas et avec quoi on n’est pas d’accord ;
- ou plutôt ce sur quoi on est d’accord et à partir de quoi on peut avancer ensemble.
C’est là où John Gottman, notamment dans The Relationship Cure, insiste sur l’importance de maintenir dans une relation un ratio au minimum de 5:1, voire même de 7:1 dans un couple, d’interactions positives par rapport aux interactions négatives.
Quand on a un conflit ou un désaccord, cela permet en effet de se souvenir de tout ce que l’on aime en l’autre, de tout ce que nous apporte la relation et qui nous rend heureuxe, plutôt que de ruminer sur ce qui ne va pas.
Dans le cadre de mes 21 articles pour des relations positives, j’ai écrit un article qui parle de la réparation dans une relation : je vous invite à le lire (ou le relire).
On est bien ici dans la logique de la justice restauratrice : il s’agit de réparer, de restaurer le lien qui a été abîmé… pas de chercher à désigner un·e coupable et de lea punir.
D’où l’importance, aussi, dans une relation, de la réciprocité : une relation se construit à deux, c’est une co-création, comme on co-créerait une œuvre d’art.
On ne peut pas être d’accord sur tout. Et il y a même des positions ou des points de vue irréconciliables. L’enjeu n’est donc pas d’être « d’accord » sur tout, ou de trouver à tout prix des « compromis », dans lesquels l’un·e ou l’autre, aurait peut-être le sentiment de se sacrifier.
Non, l’important est de le reconnaître, et de respecter le point de vue, le désir, le besoin, de l’autre, qui sont aussi légitimes et aussi valables que le mien.
Si, à chaque fois qu’il y a conflit ou désaccord, c’est la même personne qui présente ses excuses et que l’autre se drape dans une posture de Ah quand même !, il y a clairement déséquilibre… et on est dans un rapport de forces, sur l’échelle hiérarchique de ranking, et non dans une relation égalitaire.
L’enjeu, quand il y a eu désaccord ou dis-communication, c’est que chacun·e puisse
- assumer sa part de responsabilité (cf mon article #15)
- présenter ses excuses : Je suis désolé·e de ce qu’il s’est passé, je reconnais ton inconfort ou ta souffrance et j’en suis navré·e (ce qui ne signifie pas faire son mea culpa en mode auto-flagellation : on est dans le non-jugement et la bienveillance réciproque)
- s’engager à faire de son mieux la prochaine fois pour que cela ne se reproduise pas, et de permettre à la relation d’avancer, d’évoluer, pas de rester enkystée.
Dans les moments les plus difficiles que mon aimé et moi-même avons pu traverser, ce qui nous a toujours permis, l’un·e et l’autre, de garder espoir dans notre relation, était précisément cette confiance dans notre bienveillance réciproque et dans notre désir commun de maintenir le lien – ce qui parfois passe par la nécessité ou le désir de faire évoluer la relation.
Hâte de lire vos commentaires.
Au plaisir,
avec amour et bienveillance,
Isabelle
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