ÉTHIQUE RELATIONNELLE #18. Accueillir les transitions

Mon article #17 présentait une relation éthique comme un contrat librement consenti entre deux personnes autonomes et responsables : un contrat s’applique pour une durée donnée.
Quand on se marie, on signe un contrat censé rester valable « jusqu’à la mort » de l’une des partenaires… sauf qu’aujourd’hui, le divorce est communément admis : le contrat est donc renégociable à tout moment si au moins l’un·e des deux évolue et change d’avis.

Quand je parle d’éthique relationnelle, quand j’insiste sur le fait que l’autre a des droits, des émotions, des besoins, des désirs qui sont autant légitimes que les miens, je pars du principe que tout contrat passé entre deux personnes à un moment donné, qu’il soit formalisé ou pas, est renouvelable et renégociable à tout instant, si ses termes ne conviennent plus à l’une des personnes.

Mais… c’est une chose de le savoir, c’en est une autre de le vivre.

La jalousie est un mot-valise, ou bien encore un mot-parapluie, qui, dès qu’on commence à creuser un peu ce qu’il représente, n’a plus beaucoup de sens en lui-même, et renvoie bien plus sûrement à tout un tas d’émotions primaires telles que : la peur, la colère, la tristesse.

Et tout l’enjeu, une fois de plus, est de faire en sorte d’assumer ses émotions et de ne pas chercher à en rendre l’autre responsable : ce n’est que comme ça, que l’on pourra avancer sur son chemin et grandir, en se connaissant mieux soi-même.

Mais à nouveau… ceci est la théorie, et souvent bien plus facile à énoncer qu’à vivre. L’important alors, est de s’autoriser de tomber, comme un enfant qui apprend à marcher, être indulgent·e avec soi-même (et avec l’autre) : l’intelligence émotionnelle est une qualité mais aussi une pratique, qui se travaille – c’est un apprentissage, et comme tout apprentissage, il prend du temps.


On distingue traditionnellement la jalousie de l’envie :
– quand je suis envieuxe, j’aimerais avoir quelque chose que quelqu’un·e d’autre a ;
– quand je suis « jalouxe », j’ai peur de perdre quelque chose que j’ai, au profit de quelqu’un·e d’autre.

Certain·e·s en concluent donc – un peu rapidement à mon sens – que la jalousie a à voir avec la peur de la perte, et donc (c’est là que je ne suis plus) avec un instinct de possession ou de propriété. Sauf qu’évidemment, je le sais, que l’autre ne m’appartient pas, pas plus que son temps, ou son corps, que ce que l’autre fait de son temps, ou de son corps, ne me regarde pas.

Pour moi, la « jalousie » a au moins autant à voir avec la peur de l’abandon, qu’avec la peur de la perte. Je n’ai pas peur de « perdre » quelque chose que je possède, dans le sens où je sais que je ne « possède » pas mon/ma partenaire et où, philosophiquement, éthiquement, je sais qu’ielle est libre.
Mais à nouveau : le « savoir » est une chose, vivre sereinement les moments où l’autre est avec quelqu’un·e d’autre, en est une autre.

C’est là que souvent, en polyamorie comme dans tout apprentissage, on dit qu’il y a d’un côté, la théorie, de l’autre, la pratique. D’un côté, le savoir « intellectuel », rationnel, la raison, et de l’autre, les émotions. D’un côté, la tête, de l’autre le cœur. Et le cœur semble parfois avoir besoin de plus de temps que de la tête pour bien vivre une situation.

Quand la personne que l’on aime et avec laquelle on vit une relation et un attachement forts, a envie de passer du temps avec une autre personne, on peut avoir peur de perdre ce que l’on a ou avait jusqu’à présent : une connexion émotionnelle forte, des soirées ou des nuits passées ensemble, du temps intime.

Et… cette peur est légitime.
En effet, quand une nouvelle personne entre dans la vie de notre partenaire, il y a des chances qu’ielle entre dans une énergie nouvelle qu’en polyamorie, on appelle l’énergie de nouvelle relation (New Relationship Energy: NRE), qu’ielle y pense souvent, qu’ielle ait envie de passer du temps avec cette personne qu’avant ielle passait avec nous.

Ne pas reconnaître ou admettre cela, vouloir à tout prix se « rassurer » sur le fait que « cela ne va rien changer pour nous« , en se répétant que les amours s’additionnent, que si notre partenaire est heureuxe, alors on va l’être aussi, peut être une manière de ne pas regarder la réalité en face, et… se manger le mur quelque temps plus tard, si on cherche à tout prix à se raccrocher à la forme de la relation telle qu’on l’avait avant… et pour peu que l’on commence à faire des reproches ou des accusations à l’autre.

J’aurais aimé qu’ielle ne læ rencontre jamais. Je voudrais revenir comme avant. Pourquoi ne peut-on pas revenir comme avant ? Tu m’avais promis que cela ne changerait rien entre nous, et on se voit moins qu’avant. 

Mes émotions sont légitimes. L’expression de mes émotions est légitime… tant que je parle de moi, de mes peurs, de mes projections, de ce qui m’appartient.
Les problèmes commencent quand / si j’en fais le reproche à l’autre.

C’est là que les outils relationnels, de communication compassionnelle, d’accueil des émotions, d’intelligence émotionnelle, de mindsight, sont essentiels.

Accueillir, accepter mes émotions pour ce qu’elles sont, parce qu’elles sont là, et qu’elles sont légitimes : ma peur est là, je peux l’accueillir, la regarder en face, mettre des mots dessus.

J’ai peur que tu m’aimes moins qu’avant, j’ai peur d’avoir envie de te voir alors que toi tu en auras moins envie, j’ai peur d’être en manque de toi. Voire J‘ai peur qu’un jour tu me quittes. 

Alors certes, quand on choisit de vivre des relations non-exclusives consensuelles, on se confronte possiblement à des émotions parfois difficiles à gérer, mais précisément : on choisit de les regarder en face, et de les apprivoiser peu à peu.


Car reconnaissons-le par ailleurs : la monogamie – autrement dit : un cadre exclusif mis en place par consentement libre et éclairé au début d’une relation, quand l’un·e et l’autre avaient envie d’y croire, étaient en pleine énergie de nouvelle relation et… ne savaient peut-être pas qu’il était possible de faire autrement – n’a jamais empêché personne d’avoir des relations hors cadre si ielle en avait vraiment envie, et ne protège pas du divorce ou d’une séparation. Bien au contraire.

Quand l’autre est libre de vivre d’autres relations, en effet, et si la relation qu’ielle a avec nous est par ailleurs heureuse, alors ielle n’a pas de raison de vouloir la quitter.
Tandis que quand on vit en monogamie et que l’un·e des deux fait une « entorse au contrat » en trompant son partenaire, il est parfois difficile de rétablir la confiance  quand / si l’adultère est découvert. Et c’est là que, la colère et le sentiment de trahison n’aidant pas, on risque de dire ou faire des choses qu’on regrette ensuite.

Dans tous les cas, le fait de vouloir s’accrocher à la forme qu’avait la relation avant n’aide pas à accepter la réalité et le présent tel qu’il est. Quel que soit l’accord passé entre deux personnes (exclusif ou non), si l’une d’entre elles a envie, un jour, de faire évoluer la relation, voire de la quitter, rien ne l’en empêchera.

Et tandis qu’en polyamorie, plusieurs relations peuvent être complémentaires et s’additionner, en monogamie, quand un adultère est découvert, bien souvent, la personne qui l’a « commis » (tout un vocabulaire !) est « sommée de choisir » entre les deux : c’est souvent la fin de l’une des relations.

En polyamorie, il n’y a plus « besoin » de séparations, de ruptures, de « couples brisés », pour reprendre le titre d’un livre de Christophe Fauré : les relations peuvent être fluides et changeantes, on parle de transitions, d’évolution des relations.

Plus besoin de rassurer læ « prochain·e » candidat·e avec qui on voudrait monter dans l’ascenseur relationnel en lui offrant le cadavre de notre relation précédente : plus besoin de « trancher net », on peut rester proches, quelle que soit la nouvelle forme que prendra notre relation.

Et même si une relation doit effectivement se terminer (ça arrive, quand nos chemins de ne correspondent plus, quand on ne se fait plus de bien), elle n’est pas obligée de se terminer dans la violence ou les rancœurs.

On peut apprendre à gérer des transitions « en douceur » : une nouvelle relation peut s’installer en douceur dans la vie de quelqu’un·e, y trouver peu à peu sa place, tandis que la précédente saura peu à peu transitionner de son côté, de manière à ce que progressivement, dans le respect et la bienveillance mutuelschacun·e des personnes concernées y trouve son bonheur.

Hâte de lire vos commentaires.

Au plaisir,
avec amour et bienveillance,
Isabelle

 

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Voyage en Polyamorie #8. 6b. Épreuves et Obstacles

Ça y est, nous voilà parti.e.s, on a laissé derrière nous le monde rassurant et sécurisant du mythe / idéal de la monogamie (#2) auquel la société toute entière veut nous faire croire, à grands renforts de livres, films et autres culpabilisations freudiennes (Tu n’es pas « capable » de t’engager durablement de façon exclusive avec quelqu’un·e ? C’est donc que tu es (cocher la case) immature / infantile / pervers·e), on a regardé le monde autour de nous avec de nouveaux yeux (#3) (combien d’unions se soldent par une rupture douloureuse, voire conflictuelle ? Et parmi les gens qui restent ensemble alors qu’ils ne sont pas heureux (pour qui ? Pour quoi ? Pour les enfants, par conformisme, enjeu financier, matériel, par peur de se retrouver seul.e (À ton âge, te retrouver seule avec deux enfants en bas âge, ça va pas être facile pour retrouver un homme qui voudra bien de toi… – c’est du vécu !)), combien se trompent ? Et combien se résignent ?), et on a décidé de se connecter à notre petite flamme intérieure qui nous dit qu’il doit y avoir une autre manière de vivre les relations amoureuses, en conscience, en harmonie avec soi-même, en honnêteté (#4). On s’est donc préparé.e (#5), on a choisi de regarder en face nos peurs, et de se lancer dans l’aventure (#6) : et nous voilà naviguant sur des eaux inconnues, pour un voyage dont on ne sait où il va nous mener (#7).

C’est à la fois excitant, et un peu effrayant. Et c’est comme tout : c’est en faisant, qu’on apprend à faire. C’est en navigant qu’on apprend à naviguer : avec de vraies vagues, de vraies bourrasques –  pas dans les livres, pas dans les tutos sur Internet, pas en lisant ce blog. Non, c’est en y allant soi-même, en essayant, en faisant des erreurs. Que dis-je, erreurs ? Expériences ! Chaque accident de parcours, chaque moment où on trébuche, n’est qu’une étape de plus pour être plus à l’aise, pour avoir moins peur, pour mieux se connaître.

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Quand un enfant apprend à marcher, imaginez-vous une seconde de lui faire remarquer : Non mais t’es vraiment nul.le ! Ton frère, à ton âge, il courait déjà partout ! Non. Vous allez l’encourager, le/la féliciter, l’accompagner, encore et encore.
Savez-vous combien de fois un enfant tombe avant de savoir marcher ? Plus de 2000 ! Ielle ne s’arrête pas à la première chute, et vous non plus. Pourquoi ? Parce qu’ielle sait, parce que vous savez, qu’à part si ielle souffre d’un handicap particulier, ielle saura marcher un jour. Peut-être à 11 mois, peut-être à 17, peut-être encore plus tard… mais un jour, ielle saura marcher. Alors vous êtes patient.e, et lui/elle persévérant.e.
Ce qui compte, c’est votre objectif.

Connaissez-vous les travaux de Mihaly C. sur le bonheur ?  (Cf son livre Vivre – La Psychologie du bonheur et mon article : « Mes moments magiques« ) ? On est le/la plus heureuxe, quand on poursuit un objectif clair et précis, qui va nous demander des efforts et des compétences particulières, sans être non plus trop difficile à atteindre ; qui va nous donner la sensation d’avancer, petit à petit : on se sent fier.e et compétent.e d’avoir surmonté les obstacles, d’avoir franchi les épreuves.

Parfois, bien sûr, comme dans la création, on a l’impression de faire du sur-place, de « patauger dans le marais », parfois même de régresser, mais c’est souvent pour mieux avancer ensuite.

Ce qui compte, c’est d’avancer en conscience, d’avoir choisi dans quelle direction on veut aller, même si on ne sait pas encore comment y aller : on sait qu’il est possible de vivre des relations amoureuses libres, épanouies, où chacun.e peut exprimer sa personnalité et ses désirs, sans se travestir, sans mentir, en étant honnête avec soi-même et avec l’autre.

Bien sûr, il y a de grandes chances que ça ne soit pas un voyage de tout repos. Mais qui a dit qu’on avait envie de repos ? Les épreuves, les obstacles… nous permettent de mieux nous connaître, de mieux savoir qui on est, qui est l’autre, et comment on a envie de vivre.

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L’un des premiers obstacles auxquels on va se heurter, celui auquel on s’attend, est la fameuse jalousie. Le monstre vert. Mais quand on dit « jalousie », à quoi se réfère-t-on exactement ? Pour moi, c’est un « mot-valise« , qui en contient bien d’autres. Selon les personnes, selon les circonstances, il va renvoyer à bien des émotions différentes : de la colère, de la tristesse, des peurs, diverses et variées.

On dit que l’envie fait référence à quelque chose que quelqu’un.e d’autre possède, tandis que la jalousie renvoie à la peur de perdre quelque chose que l’on possède.
Un homme a peur que sa femme ne tombe amoureuse d’un autre homme : il est « jaloux », parce qu’il a peur de la perdre. Une femme va se comparer à la nouvelle amante de son partenaire, et avoir peur qu’il ait moins envie de la voir qu’avant.

Mais possède-t-on quelqu’un.e ? L’autre est libre, intrinsèquement libre. La monogamie a-t-elle jamais empêché quelqu’un.e de partir ou de tomber amoureuxe de quelqu’un.e d’autre ?
Quand on vit en polyamorie, si votre partenaire a une autre relation, elle s’ajoute à la vôtre : c’est quelque chose en plus, pas quelque chose en moins. 

La jalousie renvoie chacun.e de nous à nos propres insécurités, nos propres angoisses sur la relation : est-ce qu’ielle m’aime assez ? Est-ce qu’ielle ne risque pas d’avoir envie de me quitter ? Est-ce qu’ielle ne va pas « trouver mieux » ?
Elle est l’occasion de nous interroger sur nous-mêmes, de regarder là où ça fait mal… pour être plus solide après.

Comment se manifeste la jalousie ? Souvent par de la peur, parfois par de la colère, de la tristesse. Dans tous les cas, par des émotions désagréables : une boule dans le ventre, une lourdeur dans la poitrine, la sensation d’étouffer… Ouh la ! Pas cool…
Alors dans une vie « mono », on essaie d’éviter de se trouver dans ces situations-là : on trouve des parades, des arrangements, des accords, on met en place tout plein de stratégies d’évitement, de déni, de contournement…

Quand on se lance en polyamorie, on sait au contraire qu’on va – un jour ou l’autre – être confronté.e à ces sensations-là, de peurs, d’insécurités, d’angoisses. On choisit de les regarder en face, et de les accueillir comme des alliées, qui nous informent sur qui on est, et sur ce quoi on a encore besoin de travailler.

Certes, c’est loin d’être simple tous les jours, et la polyamorie n’est pas adaptée à tout le monde. Elle demande une sacrée dose de travail sur soi, d’écoute de l’autre. D’empathie. De compassion. À commencer par soi-même : savoir être indulgent.e avec soi-même et… patient.e.

Comme le dit Don Miguel Ruiz dans Les Quatre Accords toltèques, ça a pris des années pour nous « domestiquer » afin qu’on acquiert nos habitudes de pensée, nos manières de réagir. La polyamorie nous invite à nous déprogrammer, à changer de paradigme, et là aussi, il faut souvent des années. De la patience et de la bienveillance. De la part de toutes les personnes concernées.

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Là où ça se complique, parfois, c’est quand nos obstacles ne sont pas seulement internes (nos peurs, nos insécurités), mais aussi externes : les autres, le jugement des autres, le point de vue des autres, qui auront vite fait de mettre nos doutes, nos moments de difficultés… sur le dos de la polyamorie.

Tu m’étonnes que tu es jalouxe ! C’est complètement foireux, votre histoire ! Si les amours libres marchaient, ça se saurait, depuis le temps !

Françoise Simpère, l’autrice du Guide des Amours plurielles et de Aimer plusieurs hommes, raconte souvent qu’autour d’elle et de son mari – avec lequel elle est aujourd’hui mariée depuis plus de quarante ans – nombre de leurs « ami.e.s » les ont attendus au tournant. S’ils s’étaient séparés, sûr qu’ils auraient mis « l’échec » de leur couple sur leurs amours plurielles. Alors que par ailleurs, tant de relations monogames se terminent chaque jour par des divorces et des séparations houleuses… et ça ne vient à l’idée de personne  d’accuser la monogamie !

Le choix de la polyamorie n’est pas un choix que l’on fait par « facilité ». Au contraire. C’est un chemin souvent ardu, qui demande de la persévérance, de la patience, de la bienveillance.

Et vous, savez-vous êtes indulgent.e envers vous-même quand vous trébuchez ? Au plaisir de lire vos récits dans l’espace des commentaires ci-dessous qui vous est réservé.

À demain, avec amour et bienveillance,
Isabelle