ÉTHIQUE RELATIONNELLE #20. Poser ses limites

Dans une relation, se respecter soi-même commence par se connaître, et assumer de poser ses propres limites. Poser ses limites, les connaître et les faire connaître à l’autre, n’est pas la même chose que d’imposer des règles… à l’autre. 

Dans le premier cas, il s’agit d’assumer de protéger mon propre territoire, de délimiter ce qui fait que je me sens en sécurité ; dans le second, d’empiéter sur le territoire de l’autre, en cherchant à lea priver de son libre-arbitre, voire de sa liberté de choix.

Et le no-wo·man’s land entre les deux… est précisément là où se joue l’éthique.

Qu’est-ce qui est éthique, et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Où est la limite entre un comportement « éthique », et un qui ne le serait plus ? C’est bien tout l’enjeu. Et n’espérez pas trouver une quelconque réponse à ces questions dans cet article : comme c’est le cas dans les cafés ou groupes de parole poly, ainsi que je le dis dans mon film LUTINE, on en ressort souvent avec plus de questions que de réponses… et c’est OK.

Ouvrir le champ des consciences, se poser des questions sur soi et le monde, réaliser qu’il n’y a pas de réponses toutes faites, pas de « prêt-à-porter » des relations : voilà quelle est mon ambition ici.

Une relation ne peut être que du sur-mesure, qui tient compte de toutes les personnes concernées, de tous les enjeux spécifiques à une situation donnée et le seul objectif réaliste ne peut être que de faire de son mieux de manière à ce  chacun·e y trouve son compte, dans le respect et la confiance.

Chaque cas est particulier, chaque histoire est unique, chaque relation a ses spécificités.
Pas de règles générales, que des cas particuliers : voilà pourquoi je parle ici d’éthique, et non de « morale ».

En réalité, les véritables enjeux dans une relation sont les limites émotionnelles de l’un·e et de l’autre : les traumas hérités de l’enfance, et parfois aussi, malheureusement, des relations précédentes.

Et ce n’est souvent que lorsque l’on a appuyé (c’est-à-dire, trop tard pour revenir en arrière) sur un « trigger »,  un « bouton émotionnel« , que l’on en prend conscience :  Ah tiens, j’ai disjoncté, là, qu’a-t-il bien pu se passer ? Il était où, il est où, mon « bouton » ?

Il est important d’apprendre à se connaître, à repérer ses « boutons », pour ensuite pouvoir les travailler, et peu à peu, les apaiser.

Quand on entre en relation intime avec quelqu’un·e, on lâche les défenses, on se met à nu, au sens propre comme au sens figuré.
Il n’y a rien de plus beau, de plus fort et de plus émouvant que d’autoriser une personne à entrer dans notre espace intime, lui donnant accès à qui on est au plus profond, lui donnant la possibilité de nous transformer en profondeur – avec notre consentement – pour devenir, on l’espère, une meilleure version de nous-même.
En contrepartie, cette personne a désormais un pouvoir immense sur nous, qui est de nous blesser, nous heurter, parce qu’on lui a montré nos failles et nos vulnérabilités.

Quand quelqu’un·e nous a donné sa confiance, tâchons de nous en montrer digne. Nous avons une responsabilité envers ellui. Si, dans une relation, l’un·e est en difficulté émotionnelle, le devoir moral – à mon sens – de l’autre, est de ne pas lui lâcher la main, et de l’accompagner sur son chemin.
Il ne s’agit pas de renoncer à qui on est – tout le monde y serait perdant à un moment ou à un autre – mais de ne pas forcer les choses, de laisser le temps au temps, de respecter le rythme de chacun·e.

Et parfois, si les besoins de l’un·e et de l’autre s’avèrent incompatibles, si on se fait plus de mal que de bien, alors il peut être important de lâcher la résistance et de laisser se dissoudre le lien, de prendre de la distance, de faire évoluer la relation, voire de la rompre, si vraiment elle s’avérait toxique pour l’un·e ou l’autre.

Quelques règles de base ont prouvé leur utilité : mieux vaut avancer au rythme du / de la plus lent·e. Car si on essaie de passer en force, alors en face, se met en place la Résistance.

En effet, quand on se sent en insécurité, on n’est « pas soi-même », pas en état de raisonner : l’insécurité crée un « filtre parano », et on lit tout à travers ce filtre.

Dans sa « théorie du choix », dont je parlais dans mon article sur les besoins fondamentaux, William Glasser en dénombre cinq : la sécurité, l’amour et l’appartenance, le pouvoir, la liberté, le plaisir.

Quand notre cerveau émotionnel détecte un danger – réel ou projeté, peu importe -, il déclenche le plan Orsec : le flux sanguin quitte notre cerveau pour affluer vers nos muscles et en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, nos capacités à réfléchir et décider sont amoindries. 


Quand je me sens en insécurité – qu’elle soit donc « justifiée » ou non -, je ne suis donc plus réellement dans mon état « normal » : je vois tout à travers un filtre déformant. J’ai l’impression d’être lucide et rationnel·le… mais c’est loin d’être le cas.

C’est alors qu’il est important de savoir repérer en soi ces moments de déconnection de soi-même : ce n’est plus « nous » qui parlons, mais la partie de nous qui a peur, qui imagine le pire, qui projette ses cauchemars comme sur un écran de cinéma. Tout ça n’a plus rien à voir avec la « réalité », mais bien avec les histoires qu’on se raconte.


Important dans ces moments-là d’avoir conscience de soi-même, et de ne pas prendre ses fantasmes ou ses cauchemars pour la réalité.

N’empêche : pour pouvoir retrouver un état serein, on peut avoir besoin de temps. Et il est alors tout à fait légitime de poser ses limites.
Savoir reconnaître par exemple : En ce moment, je ne suis pas capable de gérer telle ou telle chose.
Et dans tous les cas, j’ai le droit de dire ce qui est supportable – ou pas – pour moi.

J’ai par exemple le « droit » de dire : Je ne veux pas savoir car je sens que je ne pourrais pas, là, émotionnellement gérer… – ce qui n’est pas la même chose que de dire : « Tu n’as pas le droit de… », même si je ne le sais pas.

Ce n’est en effet pas la même chose de poser ses propres limites, reconnaître ce qu’on est capable de gérer soi-même – ou pas -, ou de régenter la vie de quelqu’un·e d’autre, voire même d’une tierce personne avec laquelle notre partenaire serait en relation et, qui, elle aussi, a des droits, des désirs, des besoins et des émotions, une fois de plus – et au risque d’insister – : tout aussi légitimes que les miens.

Il est essentiel à mon sens, pour des relations positives et éthiques, que tout le monde soit sur la même ligne de respect des autres.

J’ai le droit de poser mes limites. 
Je n’ai pas le droit de dicter sa conduite à quelqu’un·e d’autre. 

Si quelqu’un·e me dicte ma conduite, me dit ce que j’ai le droit de faire ou pas, qui j’ai le droit de voir ou pas, ou dans quel créneau horaire… sous prétexte qu’ielle-même n’arrive pas à gérer ses insécurités, alors on peut très vite basculer dans l’abus.

En polyamorie, on a souvent tendance à raisonner en se plaçant du point de vue de la relation qui s’ouvre, parce que notre société et notre culture sont centrées sur le couple, et ce qu’on appelle le « couple privilege« .

Mais si, pour une fois, on faisait un « pas de côté« , et si, au lieu de voir les choses du point de vue de la personne en relation primaire qui a peur de perdre ses privilèges, on se plaçait du point de vue de la tierce personne, qui a développé une relation avec l’un·e des partenaires de cette relation primaire : elle aussi, cette tierce personne, a le droit que l’on tienne compte de ses besoins.

De même que la personne que l’on dit être « pivot« , à la « pointe du V » entre son/sa partenaire principal·e et sa nouvelle relation, a le droit que soient entendus et respectés ses besoins, ses désirs, ses émotions.
Et s’ielle a envie de passer plus de temps avec sa nouvelle relation, son/sa partenaire historique a-t-ielle le droit de régenter son emploi du temps, ce qu’ielle fait de son corps, ou comment ielle gère ses émotions ?

 

En réalité, s’agit-il bien encore ici de « droits » ?

L’enjeu est de faire la différence entre exprimer ce qu’on est capable de supporter – ou non – (je pose mes limites, elles sont miennes), et prétendre empiéter sur le territoire de l’autre – émotionnel ou concret.

Quand tout le monde est sur le même terrain de respect de l’autre, d’empathie, d’accueil des émotions, et que chacun·e des personnes impliquées dans une relation a le même objectif : le bien-être de tou·te·s, alors on peut avancer main dans la main, au rythme du/de la plus lent·e, certes, mais toujours dans la même direction : vers plus de liberté, plus d’autonomie de chacun·e.

Il est important que chacun·e travaille sur soi, sur ses propres peurs, ses propres insécurités… dans le respect des besoins, désirs et émotions de toutes les personnes concernées.

Hâte de lire vos commentaires.

Au plaisir,
avec amour et bienveillance,
Isabelle

NB. Si vous souhaitez m’encourager à écrire mon livre sur la polyamorie et les relations positives et éthiques, vous pouvez :
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21 JOURS pour des relations positives #23. Polyamorie

Quoi ? 21 jours annoncés et, une fois passé le récap’ du 22ème jour, je joue les prolongations ? Et oui ! Car des imprévus de la vie se sont parfois invités sur mes pages (je pense notamment à mes articles #2. Détournement#9. Le Choc et #20. Indulgence) et je tenais absolument à cet article sur la polyamorie, bien que j’en ai déjà beaucoup parlé dans mes 21 jours de Voyage en Polyamorie

Non seulement, en effet, je suis loin d’en avoir fait le tour, mais aussi, c’est pour moi l’aboutissement naturel de mes articles sur les « relations positives », même si, on l’aura compris, pour moi, les caractéristiques des relations « positives » que j’ai essayé de mettre en valeur (consentement, réciprocité, harmonie, accueil des émotions, sécurité, empathie, prendre soin, collaboration, attachement, connexion, réparation, indulgence…) valent autant pour toutes nos relations que nos seules relations sexo-affectives, comme les appellent nos ami·es espagnol·es.

En effet, je suis toujours surprise quand je lis des essais sur la communication non violente, ou par exemple les livres remarquables du moine bouddhiste vietnamien auquel je dois ma cloche de pleine conscience, Thich Nhat Hanh, sur l’amour : How to Love et True Love, ou encore celui de bell hooks, all about love… mais aussi tous les livres sur les couples, tel que celui d’Ywane Viart (Couple heureuxou encore ceux de John Gottman dont j’ai beaucoup parlé au cours de ces articles… d’être d’accord avec eux sur tous les points… jusqu’au moment où il est soudain question d’exclusivité – ou non.

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Commençons par un petit point de vocabulaire, afin de bien tou·tes parler de la même chose : à propos des couples, il est commun de parler de « fidélité » d’un côté, « d’infidélité » de l’autre.
Pour moi, la « fidélité » n’a rien à voir avec l’exclusivité (sexuelle ou amoureuse) : le mot « fidélité » vient du latin fides, fidei, qui veut dire confiance.

Être « fidèle », c’est être fidèle à ses idées, à ses promesses, à ses engagements ; c’est être digne de foi, au sens de confiance ; quelqu’un·e de « fidèle », c’est quelqu’un·e qui est « fiable« , sur qui on peut compter. Je fais ce que je dis, je dis ce que je fais. 
Françoise Simpère, l’autrice du Guide des Amours plurielles, se présente comme « fidèle mais non exclusive », et « fidèle à tous ses amants ».
Ce qu’habituellement on nomme « fidélité » dans une relation amoureuse… est bien en réalité de « l’exclusivité ».

En revanche, je peux comprendre qu’on parle d’ « infidélité » à propos d’un adultère quand le contrat entre deux personnes était l’exclusivité : il s’agit bien d’avoir « trompé » saon partenaire, d’avoir trahi sa confiance. On n’a pas été « fidèle » à la parole donnée ou au contrat passé.
Et souvent, précisément, ce qui fait le plus mal dans les histoires d’adultères, ce n’est pas tant le fait que votre partenaire a – ou a eu – une relation intime avec quelqu’un·e d’autre, que celui qu’ielle vous l’ait caché, qu’ielle vous ait trompé·e, ait trahi votre confiance.

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Revenons à la question qui me taraude : la quasi totalité des auteurices qui écrivent sur les couples et les relations d’amour continuent à prôner l’exclusivité (sexuelle ou amoureuse) comme un élément fondamental d’une relation heureuse.

Pourquoi pas, en effet, si cela leur convient à elleux ?
Mais pourquoi vouloir étendre et imposer leur vision à tou·tes les autres ?

L’autre soir, au café poly de Paris, un·e des participant·es a posé la question : depuis combien de temps l’exclusivité est-elle mise en avant comme essentielle au sein d’une union heureuse ?
En réalité, seulement depuis le XIXème siècle romantique, et même plus tard, quand, après des mariages arrangés pour des raisons économiques et de transmission du patrimoine (dans notre société patriarcale hiérarchique), on a commencé à vouloir associer le mariage et l’amour.
Auparavant, on vivait d’un côté son mariage, cette relation sociale de longue durée, et de l’autre ses histoires d’amour, souvent plus courtes. Les femmes étaient tenues à l’exclusivité pour ne pas risquer de tomber enceintes d’un autre homme que leur mari (les chiffres, encore aujourd’hui, des enfants dont le père biologique n’est pas le père officiel sont impressionnants : environ 20%, paraît-il) ; et il était admis que les hommes aient des maîtresses, du moment qu’ils avaient la délicatesse de rester discrets : d’où la grande tradition du vaudeville dans le théâtre français.

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Et dans les années 50 (c’est donc en réalité très récent : ça date de mes grands-parents !), quand le mariage d’amour s’est généralisé, et puisque la contraception n’existait pas et que les femmes auraient fait courir un risque à « la famille » si elles avaient eu plusieurs relations… au lieu d’étendre aux femmes la liberté accordée aux hommes, c’est aux hommes qu’on a étendu la contrainte imposée aux femmes. Et les un·es comme les autres se sont alors imposé mutuellement cette sacro-sainte « exclusivité ».

Sauf que… jamais les femmes et les hommes n’ont été réellement exclusif·ves. Jamais « vraiment ». Certain·es, oui, bien sûr. Mais statistiquement… non.

Les chiffres des adultères sont en effet impressionnants : on estime, selon les sondages (sachant que les femmes semblent avoir tendance à minimiser et les hommes, à exagérer), qu’il y aurait, après cinq ans de vie commune, entre 50 à 80% des couples dont l’un·e aurait au moins une fois trompé l’autre. Étant entendu que les sondages tiennent compte des couples « mariés », en n’interrogeant pas les gens en unions libres, et encore moins les couples non cohabitants, pourtant de plus en plus nombreux.

Alors quoi ? La société, la culture, les « autres », les comédies romantiques, les dessins animés de Walt Disney, nous encouragent à être exclusif·ves – et nous culpabilisent si on ne l’est pas – en nous faisant croire que tout le monde l’est autour de nous… quand en réalité, la majorité des gens se trompent, ou se sont trompé·es, ou se tromperont.

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Comme ielle pense être « a-normal·e », cellui qui « trompe » le vit souvent (pas toujours, mais souvent…) avec difficulté, culpabilité : ielle hésite, s’en veut, voudrait arrêter, n’ose pas l’avouer de peur de faire mal à l’autre et de mettre en péril la relation. Et comme on nous fait croire que si on va « voir ailleurs », c’est que quelque chose ne va pas / plus dans notre couple, alors ielle se demande si ielle aime encore vraiment saon partenaire. Et comme nos pensées créent notre réalité

À ce titre, le témoignage de mon amie Michèle dans LUTINE me paraît éloquent :
« J’ai trompé mon mari : je suis tombée éperdument amoureuse de quelqu’un d’autre un jour, et je l’ai trompé – l’adultère classique. Je l’ai bien vécu pendant un certain temps, et puis après, j’ai culpabilisé énormément, et j’ai arrêté la relation de ce fait. 
À l’époque, je me disais que j’étais complètement dingue. Surtout, je pensais que quand on trompait son conjoint, c’est qu’on ne l’aimait plus. Et là, je me regardais et je me disais : « Je l’aime toujours, je n’ai pas du tout envie de le quitter, je veux continuer à vivre avec lui… » »

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Quant à cellui qui est trompé·e, quand l’adultère est découvert – et c’est souvent le cas – c’est sa vie qui s’écroule – et pour cause : comment faire confiance à une personne qui vous a menti, parfois depuis de longues années ? Comment reconstruire une confiance entamée ? Comment ne pas réécrire le passé, se dire que tout ce qu’on a vécu était « faux », factice ?

J’ai trompé… parce que je ne me voyais pas renoncer à d’autres alors que je savais, moi, que ça ne remettait pas en cause mes sentiments ni mon désir de rester avec mon partenaire et qu’il m’avait prévenue que si je le trompais, il me quitterait… Quelle solution avais-je alors ? Me frustrer, me couper de mes désirs… ou le tromper. Lui parler, en effet, n’était pas une option, puisque l’issue en était connue à l’avance.
Et j’ai été trompée. Plusieurs fois, bien sûr, en plus de vingt-ans de vie de couple, toutes mises bout à bout. À chaque fois, la douleur a été intense, même quand une fois, j’ai découvert le pot-aux-roses une fois séparé·s : le sentiment de trahison, de tromperie, restait le même.

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Bien sûr, si dans un couple, l’un·e et l’autre sont très heureuxes et épanoui·es en étant exclusif.ves, sans frustration, sans doutes, sans désirs extérieurs… tant mieux !

Mais quand c’est la société, la culture, et les autres… qui nous imposent l’exclusivité, quand c’est une obligation, une contrainte sociale morale et normative, quand soi-même on sent qu’on aurait envie d’autre chose, ou même on fait autre chose… comment se sentir véritablement heureuxe et épanoui·e ?

Il arrive aussi qu’on s’impose à soi-même l’exclusivité, par idéologie, par respect du contrat passé, et non par réel désir… mais comment être sûr·e à 100% que c’est aussi le cas de notre conjoint·e, quand on sait que tant de couples traversent un jour ou l’autre une situation d’adultère ? Comment ne pas se demander : Et si ielle me trompait, le saurais-je ? Comment faire confiance à l’autre, quand on sait que tant se trompent ? Pourquoi en serait-il différemment avec nous ? Pourquoi serions-nous l’exception ?

À chaque fois que je parle avec quelqu’un·e qui me dit : Je n’ai jamais trompé maon partenaire, et ellui non plus, je pense : Comment peut-ielle en être si sûr·e ? Comment savoir ce que vit l’autre en réalité ?
Combien de thérapeutes de couples ont recueilli séparément la parole de chacun·e des deux partenaires d’un couple qui leur ont avoué qu’ielles avaient trompé leur partenaire… mais n’ont jamais osé le reconnaître devant læ-dit·e partenaire ?

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Il me semble que notre société, sur ce sujet comme sur bien d’autres, marche la tête à l’envers. On privilégie les apparences, les faux-semblants, l’hypocrisie.
Un mari qui trompe sa femme – ou une femme qui trompe son mari, car c’est de plus en plus équitablement réparti – est souvent plus proche de sa ou ses maîtresses, que de sa femme, à laquelle il ne peut plus confier ses émotions ou ses sentiments les plus intimes.
Parfois, il triche aussi avec ses amis, qui sont les « amis du couple », car il ne souhaite pas trahir sa femme une seconde fois. Donc après s’être coupé de sa femme, il se coupe émotionnellement de ses amis.

Tant de gens vivent ainsi en dehors de leur propre vie, coupé·es d’elleux-mêmes et de leurs proches, portant un masque, faisant semblant.
Et souvent, un jour, parce que leur relation principale s’est distendue, petit à petit, à force de ne plus pouvoir se confier l’un à l’autre, ielles tombent amoureux de quelqu’un·e d’autre, se séparent, et… repartent pour un cycle.

Combien de personnes, dans notre société, sont réellement « monogames » au sens où on voudrait nous le faire croire : unies à une seule et même personne « pour toute la vie » ? En réalité, la plupart sont bien plus souvent des « monogames sériel·les » : enchaînant les unions (théoriquement) monogames, avec souvent des périodes d’adultères entre deux.

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Alors, quoi ? Comment les auteurices qui nous parlent de communication positive, d’authenticité, d’accueillir les émotions, d’entendre les désirs et les besoins de l’autre avec nos oreilles de girafe, d’être capable d’exprimer nos demandes… peuvent-ielles par ailleurs continuer à prôner une monogamie de façade, une monogamie théorique… mais pas réelle dans les faits, statistiquement ?

Il me semble, moi, que si on veut être en cohérence avec ce que l’on prône : la communication compassionnelle, la bienveillance, l’écoute empathique, le non-jugement, l’accueil des émotions, désirs, besoins, demandes de soi-même et de l’autre… on ne peut que s’ouvrir à la polyamorie, définie comme : « la possibilité de vivre simultanément plusieurs relations intimes de manière consensuelle et éthique. »

Autrement dit, il ne s’agit pas d’avoir nécessairement, de fait, plusieurs relations, mais au moins de pouvoir en parler, l’envisager, sans que la relation ne soit remise en question. Il s’agit d’accueillir les émotions et les sentiments de l’autre comme lui appartenant, parce qu’ielle est un·e être libre, autonome, séparé·e de nous.
Si maon partenaire a envie d’avoir une relation avec quelqu’un·e d’autre en plus de moi (je ne parle pas d’une relation qui se soit essoufflée au point où la relation extérieure soit le symptôme d’un malaise) et que pour ellui, ça ne remet pas en cause notre relation… au nom de quoi, de quel droit, pourrais-je m’y opposer ?

Évidemment, ça n’est pas si simple, et on arrive là au cœur même de ce qui fait le quotidien d’une relation poly : vivre avec ses émotions, le délicat équilibre entre d’un côté la liberté et les désirs de l’un·e, et de l’autre, les peurs et insécurité de saon partenaire. Ce n’est pas l’enjeu de cet article de répondre à ces questions : comment on fait, au jour le jour, pour vivre avec ses émotions, apprivoiser ses insécurités, créer un attachement sécure au sein d’une relation poly ? (Si cela vous intéresse, je  vous renvoie aux 21 articles de mon Voyage en Polyamorie et aux nombreux livres ou sites consacrés à ce sujet).

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En revanche, mon idée était bien de montrer que lorsque l’on va au bout des idées de tolérance, bienveillance, non-jugement, accueil des émotions, communication non violente… au sein d’un couple, il me semble que l’on ne peut, en toute cohérence, qu’au moins s’ouvrir à la discussion sur les amours plurielles.

En effet, si maon partenaire en a envie (même si moi, je préférerais qu’ielle n’en ait pas envie…), alors n’est-il pas de ma responsabilité, si je veux être en cohérence avec moi-même, de travailler sur moi, afin de lui rendre possible l’expression et la pratique de ses désirs ou de ses sentiments pour d’autres ?

C’est en ce sens que pour moi, ce que j’ai appelé la « monogamie positive » – à savoir une relation dans laquelle il est entendu que si l’un·e des deux a un jour envie d’ouvrir le couple, alors l’autre fera en sorte de travailler sur soi pour lui permettre de vivre ce qu’ielle a à vivre -fait partie de ma définition de la polyamorie.

Et donc la polyamorie, étant entendue comme la possibilité de vivre des relations plurielles de façon consensuelle et éthique, correspond à ma définition d’une relation positive. 

Waouh.
Voici donc la fin de cette série d’articles.

Je remercie celleux qui auront eu la patience de lire cet article-ci jusqu’au bout… et m’empresse de vous demander : qu’en pensez-vous ? Hâte de lire vos commentaires !

Au plaisir,
avec amour et bienveillance,
Isabelle